Gustavo de Arístegui : « La diplomatie vaticane peut apporter la paix dont le monde a tant besoin »

Le diplomate espagnol s'est exprimé dans l'émission « De cara al mundo » et a analysé la situation dans laquelle se trouve l'Église après l'élection de Léon XIV comme nouveau pape
El papa León XIV, el cardenal Robert Prevost de los Estados Unidos, aparece en el balcón de la Basílica de San Pedro, en el Vaticano, el 8 de mayo de 2025 - REUTERS/ GUGLIELMO MANGIAPANE
Le pape Léon XIV, le cardinal Robert Prevost des États-Unis, apparaît sur le balcon de la basilique Saint-Pierre au Vatican le 8 mai 2025 - REUTERS/ GUGLIELMO MANGIAPANE

Dans la dernière édition de « De cara al mundo » sur Onda Madrid, nous avons reçu Gustavo de Arístegui, diplomate et analyste international, qui a passé en revue les conséquences mondiales du conflit entre l'Inde et le Pakistan, le parcours du nouveau pape de l'Église, Léon XIV, et le caractère de la diplomatie ecclésiastique, ainsi que les conséquences de la réunion sur la Place Rouge de Moscou à l'occasion de la célébration du 80e anniversaire du Jour de la Victoire, entre Xi Jinping, président chinois, Nicolás Maduro, président du Venezuela, et Vladimir Poutine, président russe. 

Gustavo de Aristegui, diplomate, expert et analyste international, vous avez été ambassadeur d'Espagne en Inde. D'après ce que j'ai lu dans vos articles et entendu à la télévision, vous êtes très préoccupé par le risque d'escalade militaire, encore plus entre l'Inde et le Pakistan. 

C'est certain, et je trouve surprenant que les médias espagnols n'accordent pas à cette crise toute l'importance qu'elle mérite. Il s'agit d'une crise très grave, et je trouve d'ailleurs les analyses quelque peu superficielles. Fausse indépendance, conflits vieux de plusieurs décennies, conflits religieux... En fin de compte, tout cela n'est que partiellement vrai, et la seule chose qui ne l'est pas, ce sont les conflits religieux. 

Nous assistons à une démonstration de force de la part du Pakistan, qui traverse une crise interne très grave et qui, à travers les tensions avec l'Inde, en générant ce conflit et, disons, en renforçant le sentiment d'avoir un ennemi extérieur très dangereux, à savoir l'Inde, tente de masquer ses faiblesses et ses crises internes, qui sont extrêmement graves. 

Le Pakistan est en pleine implosion économique, sociale et politique, et il y a même actuellement des rumeurs de tensions au sein de l'armée elle-même. Hier soir, différentes réseaux sociaux indiens ont même fait état, sans confirmation bien sûr, d'un coup d'État interne de l'armée contre son chef actuel, pour avoir engagé le pays dans un conflit aux conséquences imprévisibles. 

Un soldado del Ejército paquistaní saluda mientras está de pie sobre un sistema de misiles de defensa aérea durante el desfile militar del Día de Pakistán en Islamabad, Pakistán - REUTERS/SAIYNA BASHIR
Un soldat de l'armée pakistanaise salue alors qu'il se tient sur un système de missiles de défense aérienne lors de la parade militaire de la Journée du Pakistan à Islamabad, Pakistan - REUTERS/SAIYNA BASHIR

Quelle influence peuvent avoir des intérêts extérieurs, la Chine, les États-Unis ? Y a-t-il quelqu'un qui tire les ficelles en coulisses, ou s'agit-il uniquement des intérêts contradictoires de l'Inde et du Pakistan, ou, comme vous l'expliquez, des intérêts internes ? Peut-être peut-on également parler d'une certaine influence islamiste, qui justifie ou explique ce qui se passe. 

Sans aucun doute, il y a évidemment une composante territoriale évidente, le Cachemire indien a été occupé en 1947, au moment de la partition, en partie par le Pakistan, sur les 222 000 kilomètres carrés que compte le Cachemire historique, 80 000 ont été occupés principalement par les montagnes, sur leur versant occidental, par le Pakistan, et 32 000 ont été occupés par la Chine, surtout dans la partie du Ladakh. Le reste, soit 100 000 kilomètres carrés, principalement des vallées, dont la vallée principale où se trouvent les populations musulmanes les plus importantes, et où a été expulsée, il convient de le dire, en 1986, il y a très peu de temps, une population très importante de brahmanes cachemiris, qui ont été expulsés par un véritable nettoyage ethnique et religieux, dont on ne parle pas non plus.

Il est d'ailleurs important de souligner que la confrontation entre la Chine et l'Inde, qui sont de vieux rivaux, ennemis, concurrents, tout à la fois, n'est pas étrangère à cette question. La Chine est un allié très proche du Pakistan, qui a remplacé les États-Unis, lesquels ont une position très hésitante et très réticente à l'égard du Pakistan, car il s'est révélé être un allié peu fiable, avec cette étrange relation amour-haine qu'il entretient avec les talibans, le double, triple, quadruple jeu auquel se livre toujours l'ISI, l'Inter Services Intelligence, c'est-à-dire le seul service de renseignement qui existe dans le pays, qui est le renseignement militaire.

D'autre part, il existe une certaine tension interne au sein de l'administration Trump, car Trump lui-même a déclaré qu'il était prêt à intervenir si les parties le lui demandaient, qu'il connaissait très bien les deux pays, qu'il trouvait terrible ce qui se passait et qu'il appelait à la désescalade, ajoutant : « Je suis là, si une intervention ou une médiation s'avère nécessaire ». Et dans la foulée, on entend les déclarations inquiétantes et quelque peu irresponsables du vice-président des États-Unis, J.D. Vance, qui a déclaré que le conflit entre ces deux puissances nucléaires ne nous regardait pas. Si la confrontation entre deux puissances nucléaires qui ont une frontière terrestre avec la Chine, qui est une autre puissance nucléaire, et qui a également une frontière terrestre dans cette région très sensible du monde, n'est pas l'affaire de la première puissance militaire mondiale, nous voyons très clairement qu'il ne s'agit plus d'une question d'isolationnisme, mais d'une perte d'influence réelle des États-Unis par leur propre choix.

El secretario de Relaciones Exteriores de la India, Vikram Misri, ofrece una conferencia de prensa tras los ataques militares de la India contra Pakistán, en Nueva Delhi, India, el 7 de mayo de 2025 - REUTERS/ PRIYANSHU SINGH
Le ministre indien des Affaires étrangères Vikram Misri s'exprime lors d'une conférence de presse après les frappes militaires indiennes contre le Pakistan, à New Delhi, Inde, 7 mai 2025 - REUTERS/ PRIYANSHU SINGH

Et une perte assez inquiétante. Cara y Cruz, monsieur Aristegui, nouveau pape, Léon XIV, paix, paix, paix, je n'ai pas compté, mais il l'a prononcé plusieurs fois dans son premier discours après avoir été élu pape. Cet Américain à double nationalité, en raison de sa longue vie au Pérou auprès des pauvres, a prononcé le mot paix, un message clair au monde, n'est-ce pas ? 

C'est clair et encourageant, j'ai entendu des déclarations de personnes connues, récemment à la télévision, j'ai entendu une déclaration intéressante du père prieur de l'Ordre des Augustins, qui l'a qualifié de pape centriste unificateur de l'Église, ce qui me semble une très bonne définition. 

C'est un pape qui, précisément en raison de son caractère multiracial, parce qu'en Espagne on lui a collé l'étiquette d'Espagnol, nous pensons que lorsqu'on l'appelle Martínez, il est de Chamberí, pas exactement, le pape a des racines créoles, créoles au sens de la Louisiane américaine, qui a également des racines espagnoles très profondes, comme vous le savez très bien, et créoles haïtiennes. Le nom Martínez dénote donc clairement une ascendance hispanique, mais hispanique, pas même latine, au sens américain, et encore moins espagnole. Mais ce multiracialisme du pape et son caractère me semblent exactement ce dont nous avions besoin en ce moment. 

Un pape qui intégrera les deux secteurs que certains décrivaient ou craignaient comme un facteur d'affaiblissement au sein de l'Église. Il ne faut pas oublier que l'Église universelle, pour les croyants comme pour les non-croyants, a une influence qui va bien au-delà de l'importance doctrinale et dogmatique d'un pape en tant que chef spirituel de 1,4 milliard de catholiques, voire un peu plus. La dévotion, l'intérêt, la passion avec lesquels des non-catholiques, des non-chrétiens, ont suivi les funérailles du pape François, ainsi que tous les détails de ce conclave, méritent d'être soulignés. 

Plaza de San Pedro y la Basílica de San Pedro, en el segundo día del cónclave para elegir al nuevo Papa, visto desde Roma, Italia, el 8 de mayo de 2025 - REUTERS/ALKIS KONSTANTINIDIS
La place Saint-Pierre et la basilique Saint-Pierre au deuxième jour du conclave pour l'élection du nouveau pape, vue de Rome, Italie, 8 mai 2025 - REUTERS/ALKIS KONSTANTINIDIS

Vous et moi connaissons de nombreux musulmans, avec lesquels nous avons discuté ces derniers jours, qui ont suivi le déroulement de ce conclave avec presque plus d'intérêt que nous, et qui étaient rivés à leur télévision pour voir quand la fumée blanche allait apparaître. Cela m'a semblé être un signe très clair de l'importance de l'Église, de son importance géopolitique, sociale et sociologique, qui ne peut être sous-estimée. Et quand on dit que l'importance du pape est fondamentalement spirituelle, cela ne fait aucun doute pour le croyant, mais le croyant devrait se sentir profondément fier que les non-croyants accordent une autorité morale aussi profonde, aussi large, aussi respectée à la figure du souverain pontife de l'Église catholique, car à un moment où le monde est au bord d'un possible holocauste nucléaire régional ou non, car lorsqu'une guerre commence et qu'il y a des armes nucléaires en jeu, on sait comment cela commence mais on ne sait pas comment cela finit, c'est une bénédiction, presque un miracle, ou une coïncidence si l'on n'est pas croyant, qu'un pape aussi unificateur et qui a suscité tant d'enthousiasme, tant d'espoir, à un moment aussi terrifiant, est très positif. 

Et espérons également que ce message de paix, qui a été écrit de sa propre main, comme nous l'avons appris par la suite, dans un italien parfait, ce qui a d'ailleurs surpris beaucoup de gens, car beaucoup disent que les cardinaux sont créés cardinaux et qu'ils apprennent peu à peu l'italien, montre que ce nouveau pape maîtrisait déjà très bien l'italien, le castillan et l'espagnol, qu'il a utilisé pour s'adresser aux 650 millions d'hispanophones dans le monde, m'a particulièrement ému, c'était un espagnol parfait, sans aucun accent étranger. 

D'autre part, on lui connaît sa multidimensionnalité déformative, c'est-à-dire qu'il est théologien, juriste, mathématicien, il a été administrateur, nous savons qu'il était très apprécié par l'ordre des Augustins en tant que père prieur, ce qui n'est pas une mince affaire. Il faut comprendre que dans l'Église catholique, les ordres religieux sont énormes, et que souvent, c'est beaucoup, beaucoup plus complexe, beaucoup plus difficile, et que c'est une responsabilité beaucoup plus grande, sans enlever le mérite aux évêques de diocèses plutôt petits, voire d'archidiocèses, c'est beaucoup plus important du point de vue de la gestion quotidienne, du point de vue spirituel, du point de vue de la mission et de l'évangélisation, d'être le père prieur, le chef de l'un de ces ordres religieux, qui ont en outre des écoles, des collèges, des séminaires, des universités. D'ailleurs, les Augustins sont l'ordre qui a la responsabilité de la garde de l'Escorial, et ce sont également eux qui dirigent le collège religieux de l'Escorial et l'université dont le président du gouvernement a d'ailleurs été le recteur.

La gente observa mientras el recién elegido papa León XIV, el cardenal Robert Prevost de Estados Unidos, que aparece en la pantalla, aparece en el balcón de la Basílica de San Pedro, visto desde Roma, Italia, el 8 de mayo de 2025 - REUTERS/ ALKIS KONSTANTINIDIS
Les gens regardent le nouveau pape Léon XIV, le cardinal Robert Prevost des États-Unis, montré sur l'écran, apparaître sur le balcon de la basilique Saint-Pierre, vu de Rome, Italie, le 8 mai 2025 - REUTERS/ ALKIS KONSTANTINIDIS

Et puis il y a le collège San Agustín, à côté du stade Santiago Bernabéu, que je mentionne parce que mon père y a enseigné. Mathématicien, philosophe, missionnaire, prieur de l'ordre des Augustins et préfet du dicastère pour les évêques, sa gestion et ses connaissances sont donc évidentes. Va-t-il poursuivre la ligne de François, celle du dialogue, des accords, de la signature de documents importants avec les musulmans et les autres religions ? 

J'en suis sûr, d'autant plus que ce dernier point, à savoir le fait qu'il était préfet du dicastère pour les évêques, est également un élément central de son élection, car s'il y avait quelqu'un dans le conclave actuel qui connaissait ou pouvait connaître pratiquement tous les cardinaux, à part le secrétaire d'État ou le cardinal doyen ou le camarlengo, qui sont les trois autres autorités centrales du Vatican, s'il y a quelqu'un qui connaît tous les évêques ou tous les archevêques du monde, c'est précisément le préfet de ce dicastère. Il s'agit donc, en effet, d'une préparation très opportune pour exercer la fonction de souverain pontife, et j'espère sincèrement que l'inspiration de saint Augustin, dont nous sommes nombreux à être très dévots, saint, berbère, nord-africain et docteur de l'Église, inspirera le nouveau pape et qu'il pourra être un élément fondamental pour parvenir à la paix, à la stabilité et à un monde meilleur. 

Papa Francisco saluda a los fieles a su llegada a una misa al aire libre en un estadio de Irbil, Irak, el domingo 7 de marzo de 2021 - AP/ HADI MIZBAN
Le pape François salue les fidèles à son arrivée pour une messe en plein air dans un stade d'Irbil, en Irak, dimanche 7 mars 2021 - AP/ HADI MIZBAN

Deux questions rapides, nous savons que vous avez un engagement, Monsieur Díaz Arístegui, León 14 peut-il être un contrepoids à Donald Trump, entre Américains, le jeu est-il lancé ? 

Ce n'est pas le rôle du pape, l'élément positif est que Donald Trump ne va pas se mettre dans des situations délicates avec un pape américain, qui a d'ailleurs montré qu'il n'avait pas la langue dans sa poche, mais l'Église est dans une autre sphère, et l'Église ne se mêle pas de politique, mais de diplomatie, car lorsque des commentateurs, plutôt croyants et religieux, minimisent l'importance de la dimension diplomatique, ils ignorent et méconnaissent une partie fondamentale de l'Église catholique.

L'Église catholique, la diplomatie vaticane, est la plus ancienne, la plus intelligente, la plus fine, celle qui a la plus grande vision et la plus grande portée de toutes celles qui ont existé. La deuxième plus ancienne est la nôtre, l'espagnole, qui a justement été établie, la première ambassade permanente au monde est l'ambassade d'Espagne auprès du Vatican, c'est-à-dire que nous avons là une histoire commune, qui n'est pas négligeable, et en tout cas, la diplomatie vaticane est l'une des mieux informées de la planète.

Au cours de mes années à l'école diplomatique, l'un de mes professeurs, et mes formateurs avant eux, nous rappelaient toujours ceci : « N'oubliez pas que l'Église catholique est représentée dans toutes les paroisses du monde, où les chrétiens sont majoritaires et où ils ne le sont pas, et que parfois, les informations provenant des diocèses et des paroisses des pays où les chrétiens sont minoritaires sont plus importantes que celles provenant des pays où ils sont majoritaires ».

Je me souviens par exemple d'une question concernant quelqu'un qui était papabile, mais qui était également un conseiller essentiel du pape François et qui le restera certainement, à savoir le cardinal archevêque de Rabat, espagnol de nationalité, qui a une connaissance très approfondie de l'islam modéré et du djihadisme, ennemi commun de l'islam et du reste du monde.

El presidente de Estados Unidos, Donald Trump - REUTERS/KEVIN LAMARQUE
Le président américain Donald Trump - REUTERS/KEVIN LAMARQUE

Une dernière question rapidement, paix et paix à Rome, alors qu'aujourd'hui, ce sont les armes qui parlent à Moscou avec Poutine, Xi Jinping et Maduro. Rien n'est peut-être fortuit. 

Rien n'est fortuit, le monde se divise à nouveau en deux blocs et cela ne fait aucun doute. Je m'adresse ici à tous les populistes de gauche ou de droite, car je suis surpris, scandalisé et attristé de voir que de nombreux conservateurs et centristes admirent ouvertement une figure comme Poutine, confondant la grandeur du peuple russe, son histoire, sa culture, sa musique, sa philosophie, sa littérature, sa technologie, son ingénierie, tout ce que l'on veut, et la classe dirigeante actuelle dirigée par Poutine dans le monde. 

Je trouve très grave d'excuser ce qui est excusé, car si la guerre en Ukraine se termine de manière erronée, ce monde qui est représenté aujourd'hui assis sur la Place Rouge assistant à un défilé réduit, fragmenté et complètement biaisé de la libération de l'Europe, qui n'était pas un exploit soviétique mais collectif des alliés contre l'axe, cette fausse clôture de la guerre en Ukraine ne fera que jeter les bases d'une future guerre généralisée en Europe et de l'invasion chinoise de Taïwan. Et c'est le début de quelque chose de très terrible.