L'Iran cherche à maintenir son influence en Syrie après l'éviction d'Al-Assad

L'ayatollah Ali Khamenei - PHOTO / HO / KHAMENEI.IR
En plus de tendre la main aux rebelles syriens, Téhéran évite d'accuser la Turquie d'avoir renversé le régime syrien, conscient du pouvoir actuel d'Ankara dans le pays
  1. L'Iran ne peut pas se permettre de perdre la Syrie

Le guide suprême de la République islamique d'Iran, Ali Khamenei, a une nouvelle fois évité de pointer du doigt le rôle de la Turquie et du Qatar dans la chute du régime de Bachar Al-Assad en Syrie, rejetant la faute sur Israël et les États-Unis.

M. Khamenei, dont le pays était l'un des principaux alliés d'Al-Assad, a déclaré que ce qui s'est passé en Syrie « est le produit d'un plan commun américano-sioniste ». Au début de l'offensive rebelle qui a fini par renverser le régime syrien, le dirigeant iranien avait déjà parlé d'une « conspiration sioniste », sans préciser que de nombreux groupes rebelles qui la menaient étaient financés et soutenus par la Turquie.

Dans sa dernière déclaration, M. Khamenei a indiqué qu'« un pays voisin a joué et continue de jouer un rôle évident dans les événements » qui se déroulent en Syrie, en faisant référence à la Turquie

« Tous ceux qui attaquent la Syrie ont un objectif. Certains d'entre eux aspirent à occuper des terres dans le nord ou le sud de la Syrie, et les États-Unis cherchent à établir leur présence au Moyen-Orient », a déclaré M. Khamenei. Alors que les États-Unis ont attaqué des cibles de Daesh et l'arsenal conventionnel et chimique d'Israël de l'ancien régime, la Turquie - par le biais de ses milices en Syrie - a lancé une offensive dans le nord du pays contre les groupes kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS) soutenues par Washington.

Ankara, par cette offensive, cherche à s'emparer du territoire des Kurdes et à continuer d'étendre l'occupation turque du nord de la Syrie. « Des factions pro-turques se sont emparées de vastes quartiers de la ville de Manbij dans l'est rural d'Alep après de violents affrontements avec le Conseil militaire de Manbij (lié aux FDS) », selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme.

Le fait que Khamenei évite de faire directement référence au rôle de la Turquie dans le renversement d'Al-Assad reflète la faiblesse de l'Iran, qui semble réticent à affronter Ankara par crainte de répercussions sur son influence dans la région. La Turquie, en contrôlant directement ce qui se passe en Syrie par le biais de ses milices, devient un acteur clé capable d'empêcher l'Iran d'accéder au Hezbollah au Liban et de lui fournir des armes. Avec Al-Assad à Damas, la Syrie était le principal canal utilisé par le régime iranien pour envoyer des armes au groupe armé libanais. 

Le Qatar, pour sa part, a également travaillé en étroite collaboration avec la Turquie pour promouvoir la chute d'Al-Assad. Pendant la guerre civile syrienne, Doha a principalement soutenu les groupes anti-régime en leur apportant un soutien financier, diplomatique et, dans certains cas, militaire. Toutefois, le soutien du Qatar aux groupes d'opposition a suscité la controverse, certaines milices ayant des liens avec des factions plus radicales et islamistes.

Majed Al-Ansari, porte-parole du ministère qatari des Affaires étrangères - REUTERS/IMAD CREIDI

Les autorités iraniennes évitent également d'accuser le Qatar et la Turquie afin d'éviter un isolement régional. Téhéran a réussi à établir un partenariat diplomatique et sécuritaire étroit avec le Qatar. En outre, les médias affiliés à Doha, en particulier Al Jazeera, ont joué un rôle clé dans le soutien et la promotion de l'agenda de l'Iran et de ce que l'on appelle « l'axe de la résistance » dans sa guerre contre Israël.

L'Iran ne peut pas se permettre de perdre la Syrie

Le régime iranien et ses milices régionales sont à un moment de faiblesse. La chute d'Al-Assad représente le dernier coup dur pour Téhéran après les défaites du Hamas et du Hezbollah à Gaza et au Liban respectivement.

La prise d'une partie de la Syrie par le groupe Hay'at Tahrir al-Sham (HTS) et ses alliés représente un problème important pour Téhéran, car elle coupe le corridor terrestre reliant l'Iran au Liban. Cela rend difficile l'envoi d'armes et de combattants dans le pays du Cèdre pour soutenir le Hezbollah et entrave les efforts de l'Iran pour renforcer et reconstruire les capacités de la milice chiite après sa guerre avec Israël.  

Après une attaque israélienne près de l'hôpital universitaire Rafik Hariri, au milieu des hostilités entre le Hezbollah et les forces israéliennes, à Beyrouth, au Liban, le 22 octobre 2024 - REUTERS/ EMILIE MADI

Téhéran ne souhaite pas perdre davantage d'influence et de pouvoir dans la région et a déjà établi une ligne de communication directe avec les nouveaux dirigeants des rebelles afin de « prévenir une trajectoire hostile » entre les deux pays, a déclaré un haut fonctionnaire iranien à Reuters.

Quelques heures après la chute d'Al-Assad, l'Iran a exprimé son désir de maintenir des relations avec Damas sur la base de « l'approche prudente et prévoyante » des deux pays. Par cette stratégie, Téhéran cherche à trouver des moyens de travailler avec les nouveaux dirigeants syriens afin d'éviter son isolement régional et de continuer à maintenir une certaine influence dans le pays. « La principale préoccupation de l'Iran est de savoir si le successeur d'Al-Assad éloignera la Syrie de l'orbite de Téhéran », a déclaré un autre responsable iranien à l'agence de presse.

Toutefois, il sera difficile pour l'Iran de s'attirer les faveurs des groupes qui contrôlent Damas. Le chef du HTS, Abu Mohammed Al-Jolani, a critiqué à plusieurs reprises l'ingérence de l'Iran en Syrie. En effet, dans son récent discours prononcé depuis la mosquée des Omeyyades à Damas, M. Al-Jolani a critiqué les « ambitions iraniennes » en Syrie, estimant qu'elles « propagent le sectarisme et favorisent la corruption ».