Pérou : le Congrès appelle la présidente Dina Boluarte à repenser sa position sur le Sahara occidental

La destitution en décembre dernier de l’ancien président Pedro Castillo a laissé le Pérou dans une crise politique sans précédent. En seulement seize mois, le mandat de Pedro Castillo a souffert d’une importante instabilité gouvernementale et ministérielle. Au total, cinq gouvernements ont été formés, plusieurs ministres ont démissionnés, d’autres ont été limogés, sans oublier les six enquêtes pour corruption présumée réalisées contre l’ancien président péruvien.
Cependant, l’affaire qui préoccupe aujourd’hui le plus le Congrès concerne l’héritage de la position de Pedro Castillo sur la question du Sahara occidental. Il convient de rappeler que la politique prônée par l’ancien président était favorable au Front Polisario, un mouvement politique, armé et indépendantiste du Sahara occidental. Cette position a dès lors confronté le pays à une crise diplomatique avec son vieil allié marocain ; une crise qui ne s’est pas apaisée après la destitution et l’arrestation de Pedro Castillo.
Le Congrès invite l’exécutif à repenser sa position sur la RASD
Dans une lettre adressée à la présidente péruvienne Dina Boluarte, la présidente de la commission de la défense au congrès péruvien Patricia Chirinos a appelé la chef d’État à « reconsidérer dans les plus brefs délais » la position de son pays à l'égard du Sahara marocain en « dissociant » le Pérou de la RASD.
El Perú no puede poner en peligro las relaciones de cooperación con el Reino de Marruecos por vincularse con la autoproclamada República Árabe Saharaui Democrática - RASD, una entidad q carece de elementos para ser un Estado, no tiene legitimidad internacional y está relacionada… pic.twitter.com/WYvJEzGb62
— Patty Chirinos (@PattyChirinosVe) August 21, 2023
La députée rappelle que le Maroc et le Pérou partagent une « histoire commune » qui « invite à renforcer et à consolider les liens avec le Royaume du Maroc, une puissance de plus en plus importante en Afrique et dans le système actuel des relations internationales, et à œuvrer ensemble à la promotion de la paix, de la sécurité et du respect de l'intégrité territoriale ».
Elle a également rappelé que le Royaume chérifien a été le premier pays arabe et africain dont le chef d’État s’est rendu au Pérou. « La visite historique réalisée au Pérou par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en 2004, […] a marqué un tournant en faveur de nos relations bilatérales, étant le premier chef d'État arabe et africain à se rendre au Pérou », a déclaré Patricia Chirinos.

Pour elle, il est d’autant plus important de normaliser à nouveau les relations entre Rabat et Lima que les deux États s’apprêtent à célébrer « le soixantième anniversaire de relations bilatérales ininterrompues, déterminées avec des missions diplomatiques ouvertes dans les deux capitales, depuis 1986, et toujours présidées par des ambassadeurs extraordinaires et plénipotentiaires, signe d’un lien politico-diplomatique de haut niveau, continu et permanent ».
Dans sa lettre, Patricia Chirinos tient à rappeler que les relations entre le Maroc et le Pérou ont souvent été fragilisées par ce différend sur la RASD. En effet, le Pérou avait reconnu la RASD en 1984, « dans un contexte international marqué par le monde bipolaire de la guerre froide ». La députée péruvienne salue la mise à jour de cette position en 1996, « lorsque cette reconnaissance a été suspendue, ouvrant ainsi un nouveau chapitre bilatéral prometteur entre les États péruvien et marocain ».

Vingt-cinq ans après cette déclaration, l’ancien président Pedro Castillo avait annoncé que le Pérou renouerait des relations avec la RASD, une position que déplore Patricia Chirinos dans sa lettre adressée à l’exécutif. « Ce positionnement de notre politique étrangère a été gravement affecté le 8 septembre 2021, lorsque, par un acte insolite et sans précédent, l’ancien président Pedro Castillo a décidé que notre pays devait faire marche arrière et reprendre les relations avec la RASD, ce qui a été considéré comme une rupture d’une position péruvienne inébranlable de plus de 24 ans de respect inconditionnel du droit international », a-t-elle déclaré. Bien que cette position eût été modifiée en août 2022, Pedro Castillo a réaffirmé son soutien au Front Polisario le mois suivant, accélérant ainsi sa chute.
La présidente de la commission de la Défense se dit « systématiquement et constamment préoccupée par la question du Sahara marocain », dont elle rappelle le statut qui lui a été conféré en vertu du droit international. « La RASD n’est pas une entité réelle, car elle ne répond pas aux exigences de base d’un État, ce qui est encore plus vrai si nous prenons en compte qu’elle n’est pas reconnue par des organisations internationales telles que les Nations unies, l’Union européenne, la Ligue arabe ou l’Organisation de la coopération islamique », a-t-elle affirmé.

Outre le fait qu’une reconnaissance du Sahara occidental serait une entaille au droit international, la députée péruvienne est préoccupée par « une série de menaces nouvelles et émergentes qui s’appuient, entre autres, sur l’interconnexion entre les États qui ne respectent pas les principes démocratiques et des organisations terroristes, des mouvements séparatistes ou du crime organisé ». Selon elle, « cette situation menace gravement la sécurité de nos pays, une menace qui s’est accrue dans la région latino-américaine, mettant nos peuples, notre unité, la paix et la souveraineté de nos États en grave danger de vulnérabilité ».
Il est donc impératif et « attendu » que le Pérou corrige sa position sur la RASD, qui « sera perçue [par le Maroc] comme un acte transcendant d’amitié, surtout de la part d’une femme d’État » et sera accueillie « comme un geste d’identification authentique avec l’intégrité territoriale du Royaume ».
Une position soutenue par d’autres personnalités péruviennes
L’ancien ministre péruvien des Affaires étrangères, Miguel Angel Rodriguez Mackay partage le point de vue du Congrès. Ce dernier avait d’ailleurs publié une tribune vendredi dernier dans le quotidien péruvien Expreso, indiquant que son pays devrait suivre de manière cohérente la voie du bon sens adoptée par des pays comme les États-Unis, l'Espagne et Israël, qui ont récemment reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, à l’image d’une grande majorité de pays de la communauté internationale.
Le vice-président de la Fédération des journalistes péruviens, Ricardo Sanchez Serra, a également soutenu la lettre de Patricia Chirinos dans un tweet. Sanchez Serra avait également dénoncé dans une chronique publiée sur le site d’information CafeViena « le choix idéologique » du Pérou pour une entité terroriste violant les droits de l’homme, au lieu de raffermir ses relations avec le Maroc et observer « une neutralité positive au sein de l’ONU » concernant l’intégrité territoriale du Royaume.
Cuánto más debemos esperar que Dina Boluaerte @presidenciaperu @CancilleriaPeru enmienda el error, que perjudica al Perú en sus relaciones internacionales? https://t.co/UmsZpti6Ob
— Ricardo Sanchez Serra S. (@sanchezserra) August 21, 2023
À ce jour, Dina Boluarte, présidente par intérim après la destitution de son prédécesseur, n’a pas encore adressé de réponse à cet appel. Le média Maroc Diplomatique juge la décision de la présidente péruvienne « déterminante pour l’avenir des relations entre le Pérou et le Maroc ». « La communauté internationale attend avec intérêt de voir si le Pérou choisira de rétablir l’équilibre diplomatique et de mettre en œuvre des mesures propices à la résolution de cette crise », conclue-t-il.
Coordinateur pour les Amériques : José Antonio Sierra.