Les professeurs de français sont dans une situation irrégulière depuis six mois, sans renouvellement de leur contrat ou de leur permis de séjour

Les professeurs de français en Turquie se sentent otages d'un tir à la corde Erdogan-Macron

PHOTO/AFP - Recep Tayyip Erdogan et Emmanuel Macron

Une vingtaine de professeurs d'université français en Turquie se sentent "otages" d'une lutte politique entre le président français Emmanuel Macron et le président turc Recep Tayyip Erdogan, car ils sont obligés de démontrer une bonne maîtrise de la langue turque pour continuer à travailler, a déclaré l'un d'entre eux à Efe. 

"Nous sommes venus travailler dans une université qui symbolise l'amitié franco-turque, mais maintenant nous sommes les otages d'un jeu politique entre la France et la Turquie, avec lequel nous n'avons rien à voir", se plaint un professeur de l'université de Galatasaray, francophone et créée en 1992 à Istanbul par un accord bilatéral. 

Un limbe d'irrégularité

Les enseignants français sont dans une situation d'irrégularité depuis six mois, sans renouvellement de leur contrat ou de leur permis de séjour, en raison de l'imposition de nouvelles règles. 

Contactés par Efe, plusieurs d'entre eux, sans vouloir s'identifier, ont accepté d'attribuer cette situation aux tensions politiques entre Erdogan et Macron. 

"Tout a commencé en décembre", dit l'une des personnes interrogées. Il a ensuite reçu un appel téléphonique l'informant que le renouvellement de son permis de séjour, demandé comme chaque année en septembre, lui serait refusé s'il ne prouvait pas un niveau B2 de turc, c'est-à-dire une maîtrise parfaite de la langue. 

La règle "est non seulement soudaine mais illégale, car l'accord bilatéral signé il y a 25 ans ne dit rien sur le niveau de langue et stipule que tout changement doit être communiqué un an à l'avance", dit-il. 

Il est clair, tout le monde en convient, qu'il s'agit là de représailles à la nouvelle loi qui impose un B2 en français à tous les enseignants étrangers travaillant en France pour enseigner aux enfants d'immigrés leur langue d'origine. 

La peur de l'islamisme en France

Paris a renégocié cet accord avec le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, la Serbie et la Croatie, mais en raison de son accusation selon laquelle les enseignants turcs propagent l'idéologie islamiste dans les écoles françaises, elle a maintenu une longue impasse avec Ankara. 

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Ajoutez à cela la "loi contre le séparatisme", introduite l'automne dernier par Macron comme moyen de lutte contre l'islamisme et critiquée par Erdogan comme une attaque directe contre l'islam, qui a fait de la France l'ennemi numéro un de la presse turque conservatrice. 

Les professeurs français en Turquie craignent que les nouvelles règles qui leur sont imposées par Ankara ne nuisent à la qualité de l'université francophone : "J'ai finalement pu passer mon examen, heureusement que j'ai le niveau requis, mais qu'en est-il de ceux qui ne sont ici que depuis un an ou qui viennent d'arriver ? Comment vont-ils connaître le turc au niveau B2 ? Ce n'est pas comme si c'étaient des génies", dit l'un d'entre eux. 

"Il y a des enseignants qui viennent avec des contrats de recherche d'un ou deux ans ; pour eux, cela n'a aucun sens de se préparer à cet examen. Ils ne viendront plus. La qualité de l'université va baisser", prédit un autre. 

"Nous sommes bloqués" est une phrase récurrente. "L'ambassadeur français nous a dit que la question sera résolue lors d'une prochaine conversation entre Macron et Erdogan. Ce sera une négociation ; il est pratiquement certain que M. Erdogan demandera quelque chose. Mais la France n'est pas prête à renoncer à grand-chose. Nous ne sommes pas si importants que ça non plus", reflète un autre. 

A cela s'ajoute le fait qu'"il y a eu une vague de désinvestissement français en Turquie ces derniers temps. Paris ne veut plus investir d'argent, et le ministère des affaires étrangères réduit le budget des salaires des enseignants à l'étranger", ajoute-t-il. 

Contrôle de l'université

Mais si l'un d'eux attribue le problème à "l'incompétence" des Turcs, "qui ont voulu adopter une mesure similaire à celle des Français, un geste politique sans en mesurer les conséquences", un autre estime que le problème va au-delà. 

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"L'essentiel est l'intention de reprendre l'université. Depuis 2016, tous les recteurs qui ont été nommés sont conservateurs, proches du parti d'Erdogan ; à l'université de Bogaziçi, il y a des protestations contre le nouveau recteur et à Galatasaray, on essaie de faire pression sur les enseignants étrangers, parce qu'ils ont un esprit critique, et ils ne peuvent pas le supporter. Le reste n'est qu'un prétexte", dit-il. 

En attendant, tout le monde continue à enseigner comme si de rien n'était, en ayant confiance en l'avenir. Parce qu'ils ne veulent pas que les étudiants paient le prix du conflit. "Heureusement, pour l'instant, avec la pandémie, tout est virtuel dans les classes, cela évite les problèmes", dit un professeur en riant.