Oumou Niare: “Me battre pour les femmes c’est un devoir moral”

Oumou Niare, épouse Samaké, est magistrat au tribunal de grande instance de la commune III de Bamako, au Mali. C’est une femme africaine avec un très grand engagement envers les femmes de son pays et sa communauté. Non seulement à travers son travail dans la justice, mais aussi avec son travail dans les associations de femmes du Mali. Elle gagne son poste dans la justice du Mali en 2002 et en 2004 elle commence à travailler en tant que substitut du procureur. C’est une époque durant laquelle le Mali souffre encore des blessures de son passé, notamment l’esclavage, maintenant sous une nouvelle forme de traite de femmes qui fait essor avec les petites industries de l’or au sud du pays. Le Mali, sans législation pour combattre effectivement le traite, devient la scène d’effroyables actes commis envers les femmes, transformées en esclaves. C’est à ce moment-là que Oumou Niare décide à quoi elle va dédier sa vie et ses efforts.
En octobre 2021, Oumou Niare fait partie d’une délégation de femmes africaines qui ont visité Madrid de la main l’AECID pour le programme RAISA. 20 femmes leaders de l’Afrique et la Méditerranée se réunissent en Espagne pour partager leurs points de vue et créer des liens qui leur permettent de travailler ensemble dans le futur.
Comment est-ce que la justice malienne a changé a l’égard de la traite et des délits qui en découlent ces derniers 20 ans ?
J'ai occupé mon premier poste en tant que substitut du procureur au tribunal de grande instance de la commune III du district de Bamako. C'est là que j'ai été vraiment confronté à des cas de traite d’êtres humains et de trafic illicite de migrants. Ce qu'il faut savoir, c'est qu’à l'époque, n’y avait pas de lois et c'était très difficile pour nous de réprimer quelque chose qui n'existait pas dans notre arsenal juridique. C'était très compliqué parce qu'il fallait être inventif. Je ne dirais pas inventer la loi, mais il fallait chercher au niveau des articles du code pénal ce qui pouvait correspondre aux conditions de formation d'un délit comme la traite ou le trafic illicite de migrants.
Il faut savoir aussi que depuis les années 2000, c'était la ruée vers l'or au Mali. Donc, cela a fait qu'il y a eu beaucoup d'étrangers qui sont venus au Mali dans les zones minières, notamment des Nigérianes qui sont venus en tant que victimes de traite. Il y en avait qui osaient venir porter plainte, mais elles n’avaient pas de répondant au niveau de la justice malienne. Il y avait déjà la barrière de la langue avec la police, avec l'administration de la justice, avec les magistrats. Cependant moi j'ai eu la chance d'avoir fait une partie de mes études aux États-Unis, donc j'ai la chance de parler anglais et je me suis dit que je devais me battre pour elles. Parce qu'elles n'ont pas de voix.

Donc j'ai mis en place un système à l'époque avec mon procureur. Il fallait créer un point focal traite des êtres humains et trafic illicite de migrants. C’était en plus à l’époque un sujet qui était très peu connu des magistrats maliens, donc nous avons aussi eu à les former en cette nouvelle problématique. Le point suivant c’était d’avoir une loi pour réprimer cela. Mais entre-temps, pendant qu'il y'avait pas la loi, il fallait chercher des infractions qui pouvait correspondre à cela, comme je déjà expliqué. Et on a trouvé dans le code pénal heureusement des infractions comme les coups et blessures, des enlèvements et séquestrations qui existent. C’est l’arsenal juridique qu'on a utilisé pendant des années. Jusqu'en 2012, juste après le coup d’État, quand nous avons la chance d'avoir une femme, magistrat, ministre de la Justice. Et de la part des associations féminines, dont je faisais aussi part, nous avons beaucoup échangé avec elle et grâce à elle, on a pu avoir une loi en 2012. Grace à cette ministre. Sanogo Aminata Mallé.
Elle en a fait son cheval de bataille, parce que la loi a été promulguée, mais elle n'était pas du tout connue, ni par le public, ni par le personnel magistrat, ni par la police.
Il a fallu faire un énorme travail sur le territoire, car tous les magistrats de l’état sont éparpillés le long tu territoire du Mali, qui est très vaste. Donc pas tous les magistrats du Mali ont la même chance ou les mêmes ressources ou les facilités. Un magistrat qui exerce à Bamako et magistrat qui exerce par exemple à Gao, ou Tombouctou, n'ont pas les mêmes moyens de s'informer par rapport à l'évolution des lois par rapport à la promulgation des lois. Donc elle en a fait son cheval de bataille. Elle a décidé qu'il fallait divulguer sur cette loi sur tout le territoire du Mali.
Pouvez-vous nous parler de ces victimes ? Qui sont-elles ? D’où elles viennent ? Qui sont les coupables, le contexte dans lequel fleurissent les cas de traite ?
D’abord il faut savoir que le Mali est un pays de départ, de transit et de destination de beaucoup de flux humains. Donc la prise en charge est très difficile dans beaucoup de cas. Certaines Nigérianes ne passent que pas Bamako, d’autre restent, beaucoup vont aux zones minières...Donc il y en a qui viennent pour la prostitution, mais il faut savoir dès le départ que quand il quitte le Nigeria, c'est tout un scénario qu'on met en place pour pouvoir les soumettre. Là-bas il y a des femmes qu'on appelle les “mama” qui recrutent justement des jeunes filles provenant, la plupart d’après les statistiques je ne veux dénigre, de Bénin City. Quand elles viennent avec, on leur fait tout un scénario, on les amène dans un temple, on leur fait jurer de ne pas trahir la “mama”. Et on les oblige à parti pendant une période de 4 ou 5 ans au Mali sous des menaces et des coactions qui les obligent à verser un tel montant d’argent pendant un tel temps, sous peine de voir des membres de leur famille exécutés en cas de ne pas tenir leur promesse. On leur coupe des cheveux ou des ongles, on met ça dans un sachet... C’est un rituel, c’est une énorme pression psychologique. Au Mali, elles sont tétanisées, c’est effrayant.

Ces femmes du Nigeria terminent, dans la très grande majorité des cas, dans des bars ou des villages des zones minières, qui, comme j’ai dit plus tôt, ont explosé au sud du pays dans les années 2000. Des villages qui sont habités principalement par des Nigérians, où l’on parle pratiquement que anglais, malgré que le français soit la langue officielle du Mali, mais pas celle du Nigeria. Ce sont des villages au sud, qui ne dédient exclusivement à l’extraction de minéraux, mais de manière très souvent artisanale.
Donc très généralement les coupables ce sont aussi des gens, des hommes, qui viennent du Nigeria. C'est des réseaux plus exactement. Ces mêmes réseaux évoluent aussi dans d’autres délits comme mais dans la drogue, et cetera. Très souvent ils arrivent au Mali car ce sont eux qui accompagnent les femmes sous ordres des ‘mama’. C’est la mauvaise face de la CEDEAO, qui comporte une libre circulation des personnes dans son territoire.
Comment réagit la société malienne face à cette problématique ?
Oui bon, parce que là en fait ce qu'il faut savoir, c'est que la prostitution est très mal vu au Mali et malheureusement, justement, avec la venue de ces Nigérianes, c'est devenu le métier des Nigérianes. Donc quand, au Mali, on parle de proxénétisme et de prostitution, on parle de Nigérianes. Alors qu'il faut le dire, il y a aussi des Maliens qui sont dans ce secteur du pays, ils y vont parfois pour travailler dans les mines, mais aussi pour la prostitution.
Malheureusement, la perception générale des Maliens par rapport aux femmes est très mauvaise, et c’est quelque chose qui va contre nos efforts pour divulguer et les présenter comme les réelles victimes de toute cette traite, car elles sont les victimes. Très souvent les Maliens ne comprennent pas ou ne savent pas que la traite ce n'est pas volontaire.
Donc il y a aussi un grand travail à la base au niveau des populations, au niveau de l'administration et on travaille beaucoup avec l'ambassade du Nigeria avec qui, heureusement, nous avons une très bonne relation car nous avons eu la chance de tomber sur des gens qui sont “très bien” à ce niveau, qui comprennent que c’est un grand problème et qui sont prêts à nous aider.
Cette coopération internationale nous permet de faire des descentes avec la police malienne, mais aussi avec Interpol dans les bars et dans les villages des zones minières. Et c’est à ce moment qu’on récupère les victimes. On le fait avec l'accompagnement, avec le soutien de l'ambassade du Nigeria. Cela nous permet de faire voir qu’on n’est pas simplement là pour chasser les Nigérians du Mali, car nous sommes avec leur administration à eux aussi.
La situation actuelle au Mali, qui a souffert un coup d’État en 2020, a un impact sur votre travail et le bon déroulement de la lutte contre la traite ?
Je pourrais dire que dans mon travail de tous les jours, au niveau de la justice, ça n'a pas eu d’impact. Mais c'est dans mon dans mon travail dans le secteur des associations, oui, il y a eu un impact. Il faut savoir que beaucoup de partenaires techniques et financiers se sont retirés du Mali après le coup d’état de 2020. Je parle par exemple de l’administration des États-Unis, les Américains qui avaient donné des fonds à la justice du Mali, justement, pour mieux combattre la traite. Ils sont très impliqués dans cette lutte eux aussi.
En 2010, le Mali était sur la liste rouge des États-Unis. Comme je l'ai dit, il a fallu la venue de de la ministre, quand on n'avait pas de loi, et on était sur la liste rouge des pays qui combattent le moins la traite et l’esclavage et on a pu inverser cette tendance à partir de 2012.
Donc le coup d’État a eu des implications indirectes sur mon travail, et plutôt qui avaient à voir avec l’extérieur du Mali, et pas l’intérieur.
Quelle est votre sensation et quelles sont vos émotions quand vous êtes une femme, au Mali, qui se bat pour les femmes ?
Pour moi c'est une obligation morale que j'ai envers ces femmes. J'ai toujours dit que quand on a la chance d'être instruite, d'aller à l'école, dans les pays comme le mien, de faire des hautes études, il faudrait aussi donner aux autres femmes. Donc je veux travailler pour les femmes de mon pays, spécialement celles du monde rural.
Et je crois que c’est totalement nécessaire. Quand les femmes viennent dans la juridiction, les femmes sont totalement perdues. Il faut travailler pour elles et avec elles, non seulement à travers les tribunaux mais aussi au niveau des associations. Pas seulement au Mali, mais toutes les femmes africaines, nous devons créer une chaîne forte, de laquelle nous sommes les maillons.