Pourquoi Trump est si pressé de résoudre le conflit du Sahara

El presidente electo de Estados Unidos, Donald Trump - REUTERS/ ALLISON ROBBERT
Le président américain élu Donald Trump - REUTERS/ ALLISON ROBBERT
L’empressement américain à résoudre le conflit du Sahara s’explique également par ses implications directes sur la stabilité du Sahel, région stratégique confrontée à de multiples défis sécuritaires
  1. I. Le Sahara occidental : une urgence diplomatique américaine
  2. II. Le Sahel : stabiliser pour mieux influencer
  3. III. L’Afrique : nouveau terrain de la compétition mondiale
  4. IV. L’Algérie sous pression : la stratégie du bras de fer américain
  5. Conclusion : une course contre la montre

I. Le Sahara occidental : une urgence diplomatique américaine

L’administration Trump, revenue au pouvoir en janvier 2025, fait preuve d’un empressement remarquable pour résoudre le conflit du Sahara occidental, comme en témoigne l’annonce récente par Massad Boulos, conseiller présidentiel pour l’Afrique et le Moyen-Orient, d’une médiation directe entre le Maroc et l’Algérie. Dans son interview à Al Arabiya du 18 avril 2025, Boulos a clairement affirmé : « L’annonce américaine de soutien à la souveraineté marocaine sur le Sahara ne signifie pas que Washington n’est pas concernée par le rapprochement des points de vue entre le Maroc et l’Algérie », ajoutant que « 200 000 réfugiés sahraouis en Algérie attendent une solution définitive ».

Cette déclaration intervient dans un contexte d’accélération des efforts diplomatiques américains. Le 8 avril 2025, comme l’a rapporté officiellement la porte-parole du Département d’État américain Tami Bruce, le secrétaire d’État Marco Rubio a « réaffirmé que les États-Unis reconnaissent la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental et soutiennent le plan d’autonomie sérieux, crédible et réaliste proposé par le Maroc, comme seule base pour une solution juste et durable à ce conflit ».

S’agissant du conflit du Sahara, la Maison Blanche a commencé à agir bien avant la déclaration de Boulos, en exerçant discrètement des pressions sur Alger pour le désarmement du Polisario et le démantèlement des camps de Tindouf. Ces pressions ont été partiellement confirmées par la déclaration du président algérien Abdelmadjid Tebboune lors d’une interview accordée au quotidien français L’Opinion : « Nous avons refusé de fournir des armes au Polisario pour le moment ». Cette formulation, incluant la réserve « pour le moment », illustre à la fois l’impact des pressions américaines et les réticences persistantes d’Alger.

Ces dernières semaines, d’autres pressions, publiques celles-ci, s’exercent indirectement sur l’Algérie via la menace de déclarer le Front Polisario comme organisation terroriste étrangère (FTO). Le récent article publié par le Hudson Institute le 18 avril 2025, intitulé « The Strategic Case for Designating the Polisario Front as a Foreign Terrorist Organization », présente des arguments juridiques détaillés et avance que « le Polisario Front remplit tous les trois critères statutaires pour une désignation FTO » selon la section 219 de la loi américaine sur l’immigration et la nationalité.

La nomination de Massad Boulos, beau-père de Tiffany Trump, comme conseiller présidentiel pour l’Afrique et le Moyen-Orient en décembre 2024, illustre l’importance accordée par l’administration Trump à cette région. Comme indiqué dans sa biographie officielle, son parcours d’homme d’affaires au Nigeria à travers l’entreprise familiale SCOA lui confère une connaissance approfondie des réalités économiques africaines.

II. Le Sahel : stabiliser pour mieux influencer

L’empressement américain à résoudre le conflit du Sahara s’explique également par ses implications directes sur la stabilité du Sahel, région stratégique confrontée à de multiples défis sécuritaires. Cette préoccupation est renforcée par la présence croissante de puissances rivales dans la région.

Le lien entre le conflit du Sahara et l’instabilité au Sahel est explicitement souligné dans l’article du Hudson Institute du 18 avril 2025, qui affirme que « des militants liés au Polisario alimentent l’instabilité dans tout le Sahel, menaçant le personnel américain, sapant les gouvernements régionaux et perturbant l’accès aux gisements d’uranium, d’or et de terres rares qui sont vitaux pour les chaînes d’approvisionnement mondiales. »

L’article du Hudson Institute rappelle également que « le Maroc est le dernier rempart fiable contre cet effondrement », soulignant que « au milieu de cette turbulence, le Maroc reste un partenaire indéfectible des États-Unis – neutralisant les cellules terroristes, formant les forces régionales et servant de porte d’entrée pour un engagement occidental constructif. »

L’administration Trump perçoit le Maroc comme un partenaire essentiel dans sa stratégie de stabilisation du Sahel. Comme l’a rappelé le communiqué officiel du Département d’État du 8 avril 2025, Marco Rubio a « salué le leadership du Roi Mohammed VI et ses efforts continus pour promouvoir la paix et la sécurité dans la région ».

III. L’Afrique : nouveau terrain de la compétition mondiale

L’empressement de Trump ne concerne pas uniquement le dossier du Sahara mais pratiquement tout l’agenda international de sa nouvelle administration. Si Trump a bien un mandat de 4 ans, il doit mettre à profit ses majorités républicaines aux deux chambres du Congrès avant les élections de mi-mandat de 2026, qui pourraient modifier cet équilibre favorable.

Une des priorités internationales de Trump est de contrer l’influence croissante de la Chine dans le monde, dont l’Afrique. L’administration américaine est consciente du très fort potentiel économique stratégique du continent africain, qui promet les plus fortes croissances à venir (démographique et économique) mais aussi d’immenses richesses minières.

Le Maroc comme État-pivot : la « Doctrine d’Abidjan » adoptée par Washington

Les attentes américaines concernant le Sahara visent à conforter le Maroc dans un nouveau statut d’État-pivot dans la stratégie américaine en Afrique. Ce qui est particulièrement remarquable, c’est que le « Deep State » américain a été « converti » à la « Doctrine d’Abidjan », géostratégie marocaine dont les principes fondateurs basés sur le win-win avaient été énoncés par le roi Mohammed VI lors de son discours historique au forum économique ivoiro-marocain de février 2014.

Cette vision, qui prône une coopération Sud-Sud pragmatique basée sur des partenariats économiques mutuellement bénéfiques, a progressivement gagné en influence dans les cercles stratégiques américains. En nommant un connaisseur de l’Afrique en la personne de Massad Boulos, Trump veut une Afrique pacifiée où les entreprises américaines pourront développer leurs activités selon cette nouvelle approche.

Cette convergence stratégique marque une rupture profonde avec les méthodes d’influence américaines des années 70 en Amérique Latine ou même en Afrique, où le « bateau amiral » de la géostratégie US était la CIA. L’approche actuelle privilégie les partenariats économiques, les investissements directs et le développement d’infrastructures, s’éloignant des anciennes pratiques d’ingérence politique et de déstabilisation.

Cette nouvelle orientation s’applique particulièrement au dossier du Sahara, où la reconnaissance de la souveraineté marocaine s’accompagne d’attentes américaines en termes de partenariat stratégique global. Dans sa déclaration officielle du 8 avril 2025, le Département d’État précise que Marco Rubio et Nasser Bourita ont « discuté des moyens de renforcer la coopération économique et commerciale entre les États-Unis et le Maroc, notamment dans les secteurs des énergies renouvelables et des minéraux critiques », illustrant cette nouvelle approche win-win inspirée par la doctrine marocaine.

IV. L’Algérie sous pression : la stratégie du bras de fer américain

L’empressement de Trump à clore définitivement le dossier du Sahara occidental sous-entend que l’Algérie va se voir soumise à des pressions d’une intensité sans précédent, qui ne lui laisseront pratiquement aucune marge de manœuvre. Ces pressions, déjà perceptibles dans les déclarations et actions récentes de l’administration américaine, devraient s’intensifier dans les semaines à venir.

1. La menace de désignation FTO

La possible désignation du Front Polisario comme organisation terroriste étrangère (FTO) constitue la plus visible de ces pressions. Cette menace, explicitement évoquée dans l’article du Hudson Institute du 18 avril 2025, aurait des conséquences dévastatrices pour l’Algérie : isolement diplomatique accru, complications juridiques pour son soutien au mouvement, et probables sanctions secondaires contre les entités algériennes maintenant des liens avec le Polisario.

L’article du Hudson Institute, intitulé « The Strategic Case for Designating the Polisario Front as a Foreign Terrorist Organization », détaille les bénéfices stratégiques d’une telle désignation, notamment qu’elle « contribuerait à la stabilité régionale en renforçant les efforts antiterroristes marocains, en renforçant la reconnaissance par Trump en 2020 du Sahara occidental comme territoire marocain, et en renforçant la légitimité du plan d’autonomie de Rabat ».

2. Les pressions économiques et sécuritaires

Le deuxième levier majeur concerne les intérêts économiques et sécuritaires de l’Algérie. L’article du Hudson Institute souligne qu’une désignation FTO du Polisario « exposerait et isolerait la stratégie de déstabilisation régionale de l’Algérie » et « diminuerait les flux d’armes vers les djihadistes du Sahel ».

Cette pression multiforme s’inscrit dans un contexte où l’Algérie est déjà fragilisée par sa dépendance aux hydrocarbures et par les défis sécuritaires auxquels elle fait face à ses frontières. Un haut responsable du Département d’État américain nous a confié sous couvert d’anonymat : « Notre nouvelle approche en Afrique combine sécurité, commerce et énergie. Nous proposons des partenariats complets : protection sécuritaire en échange d’accès préférentiel aux ressources et aux marchés. C’est du gagnant-gagnant. Avec l’Algérie, nous sommes prêts à offrir une intégration plus profonde dans l’économie occidentale, mais cela nécessite des ajustements significatifs de sa position sur certains dossiers régionaux. »

Les investissements américains dans le secteur énergétique algérien et l’accès aux technologies de pointe pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures pourraient être conditionnés à une évolution de la position d’Alger sur le Sahara. La médiation américaine se présente ainsi comme une offre difficile à refuser pour Alger, sous peine de conséquences potentiellement déstabilisantes.

Tebboune face à des choix difficiles

Dans ce contexte, le président algérien Abdelmadjid Tebboune pourrait se retrouver dans une position de négociation extrêmement fragile, contraint de faire des concessions majeures sans obtenir de véritables garanties en retour. Sa marge de manœuvre apparaît considérablement réduite : céder aux pressions américaines remettrait en cause un pilier de la politique étrangère algérienne depuis près de cinquante ans, mais résister pourrait exposer le pays à des sanctions et un isolement aux conséquences potentiellement graves.

Un diplomate européen en poste à Alger, qui a requis l’anonymat en raison de la sensibilité du sujet, nous a confié : « Le président Tebboune se trouve dans une situation pratiquement intenable. D’un côté, les pressions américaines sont devenues si intenses qu’elles ne laissent presque aucune échappatoire. De l’autre, abandonner le soutien au Polisario après cinquante ans d’engagement serait perçu comme une capitulation par une partie significative de l’establishment algérien. Il est pris en étau entre des forces extérieures et intérieures contradictoires, et chaque option comporte des risques considérables pour la stabilité du pays. »

Cette analyse est partagée par plusieurs observateurs qui voient dans la stratégie américaine une volonté délibérée de mettre le président algérien dans une position similaire à celle d’autres dirigeants ayant dû faire face à la diplomatie de pression maximale caractéristique de l’administration Trump.

Le déplacement annoncé de Massad Boulos à Alger, qu’il a lui-même confirmé lors de son interview à Al Arabiya du 18 avril 2025 (« Nous aurons une visite au Maroc et en Algérie pour discuter du dossier du Sahara »), sera donc crucial pour déterminer la position algérienne face à cette pression américaine sans précédent.

Conclusion : une course contre la montre

L’empressement américain à résoudre le conflit du Sahara résulte d’une conjonction de facteurs stratégiques : contraintes de calendrier politique intérieur avec les élections de mi-mandat en ligne de mire, volonté de conforter le Maroc comme État-pivot en Afrique, compétition pour les ressources minières africaines, et détermination à contrer l’influence des puissances rivales sur le continent.

La stratégie mise en œuvre par l’administration Trump, inspirée par la « Doctrine d’Abidjan » promue par le Maroc, rompt avec les anciennes méthodes d’influence américaine en privilégiant une approche économique « win-win ». Cependant, comme le montre le traitement réservé à l’Algérie, elle conserve une dimension de pression maximum caractéristique de la diplomatie trumpienne.

Selon un diplomate européen familier des négociations transatlantiques : « Les Américains ne se rendront pas à Alger pour négocier, mais pour présenter leurs exigences. La question n’est plus de savoir si l’Algérie acceptera de modifier sa position sur le Sahara, mais plutôt quelles concessions elle pourra obtenir en échange de son inévitable retraite sur ce dossier. Cette méthode rappelle irrésistiblement d’autres épisodes de diplomatie sous pression maximale que nous avons observés ces dernières années. »

La visite annoncée de Massad Boulos au Maroc et en Algérie constituera un moment décisif. Comme le suggère la déclaration finale de Boulos dans son interview à Al Arabiya, réaffirmant que « la position américaine sur la souveraineté du Maroc sur le Sahara est inébranlable », la médiation à venir semble déjà orientée vers un résultat précis : non pas une remise en question de la reconnaissance américaine, mais bien l’exercice de pressions sur l’Algérie pour qu’elle accepte le cadre marocain.

Un haut responsable du Département d’État américain résume ainsi la situation : « Ce dossier a trop duré. Nous avons maintenant une fenêtre d’opportunité pour le résoudre définitivement, et nous sommes déterminés à ne pas la laisser passer. La stabilité du Sahel et notre capacité à contrer l’influence chinoise en Afrique en dépendent. Avec les majorités dont nous disposons actuellement au Congrès, nous avons les moyens politiques de faire avancer ce dossier. Mais cette configuration pourrait changer après les élections de mi-mandat, d’où l’urgence d’agir maintenant. »

L’année 2025, qui marque le cinquantenaire de la Marche Verte, pourrait ainsi voir se dessiner une résolution définitive du conflit du Sahara occidental sous l’égide américaine, avec des implications majeures pour l’ensemble du continent africain et pour l’équilibre des forces dans la compétition mondiale entre grandes puissances.