La droite radicale bouleverse la carte de l'UE

Comme s'il s'agissait d'un germe qui, à chaque élection, se positionne de mieux en mieux au fur et à mesure que le centre s'affaiblit. Lors des récentes élections visant à renouveler le Parlement européen, et donc la Commission européenne et les autres instances dirigeantes, les partis de la droite radicale ont continué à gagner des sièges. Ils disposent donc d'une plus grande marge de manœuvre pour influencer la politique européenne.
En données préliminaires, nous savons que le Parti populaire européen a gagné avec 186 sièges et tout indique qu'il parviendra à maintenir la coalition qu'il avait déjà au Parlement européen s'il s'associe à nouveau au groupe Renouveau européen qui a 79 sièges, ensemble ils seraient 265 sièges par rapport aux 224 de la somme des différents groupes de gauche dont le Parti socialiste et démocrate avec 135 sièges et les Verts avec 53 sièges plus la gauche avec 36. Les partis de la droite radicale ont réussi à s'emparer de 20 % des sièges, alors qu'ils en avaient 18,4 % auparavant. Ils en auront désormais 130, mais il y a un groupe enregistré comme "Autres" qui a obtenu 55 sièges et un autre enregistré comme "Non-inscrits" qui aura 46 sièges, dont on ne sait pas combien de députés européens pourraient avoir un certain alignement idéologique sur les différents programmes et politiques de la droite radicale.
Au cours des trois dernières années, les élections européennes ont été vécues comme une véritable bataille pour la survie de l'Union européenne (UE). Malgré ses 67 ans d'existence, on pourrait penser qu'à sa pleine maturité, aucune menace ne pèse sur sa consolidation. Et pourtant, il y en a.
Depuis sa signature le 25 mars 1957, lorsque le traité de Rome est devenu la pierre angulaire de la création du cadre qui constitue aujourd'hui l'UE avec ses 27 pays membres, ce grand effort de paix, d'unité, de coopération et de poursuite commune du progrès n'a pas été exempt de voix discordantes, en particulier de nationalistes et d'ultranationalistes qui, au lieu d'y contribuer, cherchent à briser l'unité et à enfermer leurs nations respectives dans leurs intérêts les plus locaux.
Et alors que le changement générationnel progresse, que la transmission des valeurs des baby-boomers s'éteint et que la génération X se désenchante et vote de moins en moins, les millennials et la génération Z, qui sont loin de l'impact de la Première et de la Seconde Guerre mondiale et des mouvements de 1968, participent plus activement, manifestant leur désaccord avec les politiques plus centristes et apportant en échange davantage de soutien aux partis à l'idéologie radicale et nationaliste de rupture.
La France, qui a été le berceau historique des grandes revendications libérales et sociales, est la première grande victime de ce schisme que l'avancée de la droite radicale provoque.
Le président Emmanuel Macron a surpris tout le monde en dissolvant l'Assemblée nationale. Macron n'en fait pas qu'à sa tête, et avec des forces politiques en plein désarroi, faire passer ses initiatives législatives relève du parcours du combattant.
Avec cette décision politique extrêmement risquée, Macron se met en danger et, en plus, si cela ne marche pas, il ouvrirait la grande porte en 2027 à la dirigeante d'extrême droite Marine Le Pen, du Rassemblement national.
Selon les premiers résultats, en France, le Rassemblement national aurait obtenu 31,5 % des suffrages exprimés par les citoyens français lors de ces élections européennes.
Tandis que le Parti de la renaissance, sociolibéral, du président Macron, n'aurait obtenu que 14,7 % des voix. Autrement dit : une véritable catastrophe politique en France, qui se dirige vers l'ingouvernabilité ; ainsi, au Parlement européen, le parti de Macron aura 14 sièges et celui de Le Pen 31 eurodéputés.
Macron, qui n'est pas un caméléon politique comme le président espagnol, le socialiste Pedro Sánchez, avec ses coups politiques audacieux dont il parvient à sortir, entend, avec la dissolution de l'Assemblée nationale, que lors des élections législatives du 30 juin (premier tour) et du 7 juillet (second tour) les citoyens français votent pour la Renaissance et reprennent le contrôle de l'Assemblée nationale à l'extrême droite. En réalité, cela s'annonce très difficile.
Le Pen imite Giorgia Meloni, qui, en Italie, a réussi avec son parti de droite radicale, Frères d'Italie, à devenir Première ministre avec une image plutôt édulcorée de l'ultra-nationalisme.
En fait, Meloni, avec son parti Frères d'Italie, était la grande gagnante des élections européennes : son parti aurait obtenu entre 26 et 30 % des voix. Il aurait battu le Parti démocrate et arraché des voix à d'autres partis radicaux tels que le Mouvement 5 étoiles, Forza Italia et même la Ligue de Matteo Salvini.
Les élections européennes ne sont pas seulement un exercice démocratique profond pour façonner les différentes forces de représentation politique dans chacun des 27 pays afin qu'elles apportent leur voix et leur vote au Parlement européen, elles sont aussi un thermomètre politique interne pour mesurer la force politique de chaque gouvernement et sa capacité de gestion, ainsi que sa force ou sa faiblesse dans le domaine du soutien législatif et citoyen.
Un autre qui était déjà affaibli depuis des mois était le premier ministre belge, qui a également rejoint le découragement de Macron en France et a décidé de démissionner : Alexander De Croo avait un gouvernement des impossibilités soutenu par une coalition de sept partis, dans un pays où la compréhension politique est très compliquée. Son parti de centre-droit, l'Open VLD, n'a obtenu que 7 % des voix.
En Belgique, le parti de droite nationaliste Alliance néo-flamande N-VA a remporté 22 % des voix, suivi par le parti d'extrême droite Vlaams Belang avec 17,5 % des voix.
En Allemagne, l'extrême droite a failli l'emporter avec Alternative pour l'Allemagne (AfD) qui est arrivé en deuxième position avec 16,5 % des voix, les chrétiens-démocrates allemands ont gagné, mais, à chaque élection, la marge se réduit, tandis que les sociaux-démocrates du parti du chancelier Olaf Scholz ont obtenu 14 % des voix.
En Autriche, l'extrême droite a également remporté les élections européennes : le parti ultranationaliste FPÖ a obtenu 27 % des voix, devant le parti chrétien-démocrate ÖVP au pouvoir, qui aurait obtenu 23,5 % des voix. Et en Espagne, la droite radicale VOX est devenue la troisième force politique avec 6 députés européens. Presque partout, ils se frottent déjà les mains pour gouverner.
Il faut savoir interpréter le signe des temps dans la clé du soleil : les nouvelles générations veulent un changement radical, elles ont le sentiment que le système les a laissées tomber. Il y a un tsunami migratoire. Il y a le désenchantement face à l'avenir économique : l'Allemagne, locomotive de l'UE, a un moteur en panne et c'est inquiétant, et la France connaît une décomposition sociale interne sous la menace du terrorisme djihadiste.
Il y a de la lassitude, du pessimisme, du désenchantement, de l'ostracisme et même de la peur. Un mélange de sensations et de sentiments qui, chez les plus jeunes, qui ont peu de mémoire historique, met le feu aux poudres. Ces élections marquent déjà un tournant.