Avis

L'Union européenne ne laissera pas la Chine prendre le contrôle de l'Amérique latine

AFP/JOHN THYS - La presidenta de la Comisión Europea Ursula von der Leyen
photo_camera AFP/JOHN THYS - La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen

L'Union européenne (UE), distante de l'Amérique latine depuis près de dix ans, peu soucieuse d'entendre ses gouvernements respectifs sur la situation qu'ils vivent, a soudain retrouvé un intérêt inhabituel pour la région et souhaite relancer les relations UE-Amérique latine.  À tel point qu'elle analyse la possibilité d'établir une représentation dans la région.  

C'est l'avancée inhabituelle de la Chine dans la région, avec ses investissements et son écrasante capacité commerciale, qui inquiète aujourd'hui Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. À tel point qu'au cours des onze derniers mois, les conseillers des instances européennes à Bruxelles ont mis à plusieurs reprises sur la table la nécessité pour l'UE de regarder à nouveau de l'autre côté de l'Atlantique. Non pas pour augmenter les flux d'investissements, mais pour changer le ton de la stratégie à l'égard d'une région qui trouve de plus en plus d'affinités idéologiques avec les influences chinoises et russes.  

Ce n'est pas pour rien que Von der Leyen, dans son discours sur l'état de l'Union de 2022, a insisté à plusieurs reprises sur l'appel à l'unité de tous les partenaires de l'UE pour créer une stratégie et investir dans "le pouvoir des démocraties" et construire un bloc qui partage les mêmes idées.  

Il y a plus d'intérêts idéologiques et politiques (qu'économiques ou commerciaux), bien que Bruxelles ait déjà annoncé qu'il y aurait une série d'annonces pertinentes dans le cadre de la stratégie Global Gateway, dans la tournée que Von der Leyen a commencée au Brésil. La représentante européenne a dû attendre un changement de ton politique au Brésil pour ne pas avoir à rencontrer Jair Bolsonaro. Le rapprochement a aussi été en partie retardé par la pandémie.  

L'exécutif sera confronté à Luiz Inácio Lula da Silva, qui est revenu au pouvoir au Brésil avec la ferme intention de devenir un leader régional et international. Il est l'un des rares Latino-Américains à avoir osé proposer et accepter un plan de paix entre l'Ukraine et la Russie.  

Le Brésil est la dixième économie mondiale en termes de PIB et la première d'Amérique latine. Il n'est donc pas surprenant que Von der Leyen l'ait choisi comme première destination d'arrivée.  

Le mardi 23 juin, la présidente de la Commission européenne s'envolera pour Buenos Aires, où elle renforcera ses liens avec le président Alberto Fernández et participera au forum commercial UE-Argentine. Le lendemain, elle arrivera à Santiago du Chili, où elle rencontrera le président Gabriel Boric et visitera l'entreprise chilienne Comberplast, qui se consacre au recyclage des matières plastiques.  

Le jeudi 15 juin, Von der Leyen sera à Mexico et, comme confirmé, rencontrera le président Andrés Manuel López Obrador. Cette rencontre est très attendue, non seulement parce que le Mexique est la quinzième économie mondiale et que de nombreux pays européens ont d'importants investissements dans le pays aztèque, mais aussi parce que l'accord global entre le Mexique et l'UE n'a pas encore été approuvé.  

La rencontre entre López Obrador et Von der Leyen risque d'être un choc de visions équidistantes ; le premier ne parle même pas anglais et considère les Européens comme des exploiteurs et des pilleurs historiques et récidivistes.

 

Sur le sujet 

La Chine trouve utile dans la région de ne pas avoir de passé colonialiste avec les Latino-Américains et, en fin de compte, la diplomatie des vaccins anti-COVID, appliquée à la fois par Pékin et par Moscou, a été une poignée de porte pour renouer avec plusieurs gouvernements latino-américains. La région a vu les États-Unis vacciner ses habitants pour la première fois avec des flacons dont le coût par habitant dépassait les attentes budgétaires des caisses de nombreux pays d'Amérique latine. 

L'UE est également handicapée par le retard de sa prise de décision. Il s'agit d'un éléphant lourd et lent. Vingt-trois ans de négociations sur un accord commercial entre l'UE et le Mercosur se sont écoulés, ce que Mme Von der Leyen considère comme un fardeau lorsqu'il s'agit de faire passer l'idée que les Européens se soucient de leurs partenaires latins.  

Le Mercosur a essuyé des échecs répétés de la part de Bruxelles : le 28 juin 2019, l'UE et le Mercosur ont conclu un accord politique visant à établir un accord commercial interrégional dans le cadre d'un accord d'association plus large entre les deux régions. Et cet accord n'est jamais entré en vigueur car il n'a pas été voté au Parlement européen, en partie parce qu'il est contesté par plus d'une douzaine d'États membres de l'UE.  

Avec le Mexique, elle modernise son accord commercial depuis 2016 et n'a pas pu aboutir non plus, bien que l'UE et le Mexique soient parvenus le 21 avril 2018 à un accord de principe "sur un pilier commercial modernisé" de l'accord de partenariat économique, de coordination politique et de coopération entre l'UE et le Mexique, également connu sous le nom d'accord global, qui est en vigueur depuis 2000. 

On suppose qu'au cours de la présidence du Conseil européen, qui sera exercée par l'Espagne au cours du second semestre, les deux questions seront abordées, à savoir le sort de l'accord Mercosur-UE et l'accord modernisé entre l'UE et le Mexique.  Et, de plus, avec l'intention de les débloquer.  

Qu'il s'agisse de pommes ou de poires. Les 17 et 18 juillet prochains se tiendra à Bruxelles le troisième sommet de la Communauté des États d'Amérique latine et des Caraïbes et de l'Union européenne. Bruxelles veut revenir à l'ère des sommets constants et des échanges d'idées et de propositions ; toutefois, si elle veut séduire les dirigeants en place, elle devra ouvrir ses poches en promettant de généreux investissements dans la région.