Controverse face à la mobilisation générale en Algérie

- Légalité et exception
- La menace comme justification
- Une surveillance omniprésente
- L'ombre du Hirak et la contention interne
- Force nationale ou dérive autoritaire ?
La récente activation de la loi sur la mobilisation générale en Algérie inaugure non seulement un nouveau cadre juridique, mais propose également une refonte structurelle de l'État dans un contexte d'exception.
Au nom de la défense nationale, le pays met en place des mécanismes qui placent l'ensemble de la société – ses citoyens, son économie, ses institutions et sa presse – dans une logique de mobilisation permanente face à des menaces internes et externes, certaines réelles, d'autres potentielles. Cette mesure, prise par le gouvernement d'Abdelmadjid Tebboune dans un contexte de tensions croissantes au Sahel, a relancé le débat politique et social sur les limites entre sécurité et liberté, et sur le rôle de l'armée dans la configuration du pouvoir civil.

Légalité et exception
Le 22 juillet 2025, le gouvernement algérien a officialisé l'entrée en vigueur de la loi sur la mobilisation générale, après son adoption par l'Assemblée populaire nationale et sa publication au Journal officiel. Bien qu'elle doive encore être validée par le Conseil de la Nation et signée par le président, les effets juridiques et administratifs de cette loi ont déjà commencé à se faire sentir. Le texte, élaboré par les ministères de la Justice et de la Solidarité nationale, modifie l'article 99 de la Constitution et établit un ensemble de mesures visant à réorganiser l'appareil étatique en cas de menace grave pour la sécurité nationale.
La loi stipule que l'État, ses institutions, mais aussi les secteurs privés et civils doivent se soumettre aux exigences d'un « état de guerre ou d'urgence », mettant en place une structure de commandement dirigée par le président de la République, mais directement gérée par le ministère de la Défense. Les conséquences ne sont pas négligeables : suspension des droits du travail, pénalisation du silence médiatique, réquisition des ressources matérielles, censure des médias et obligation de dénoncer les comportements jugés « hostiles ».
Ce qui apparaît comme un outil de défense nationale devient une architecture juridique qui, selon certains observateurs, permet de transformer les citoyens en rouages militaires. « La loi condense tout le pays en fonction de l'appareil sécuritaire. Le citoyen, ses biens et sa liberté sont à la disposition de l'état-major, sans justification judiciaire », a écrit le journaliste Mounir Douley sur son compte X. Pour lui, cette réglementation consacre une logique d'exception permanente : « C'est une loi qu'un État qui se considère en paix ne promulguerait pas ».

La menace comme justification
Pour comprendre la logique derrière cette loi, il est indispensable de s'intéresser à l'évolution du contexte régional. L'Algérie partage plus de 6 000 kilomètres de frontières avec des pays marqués par l'instabilité : le Mali, la Libye et le Niger traversent de profondes crises politiques et militaires qui ont favorisé l'expansion des groupes armés, la contrebande et les flux migratoires incontrôlés. L'activité des drones et des milices dans la région du Sahel a augmenté de manière exponentielle, et Alger a adopté une position de plus en plus vigilante face à d'éventuelles incursions ou provocations.
L'incident le plus illustratif s'est produit en avril de cette année, lorsque l'armée de l'air algérienne a abattu un drone militaire malien qui, selon les autorités, avait pénétré sans autorisation dans l'espace aérien du pays. La réaction de Bamako a été immédiate : il a qualifié cet acte de « déclaration unilatérale de guerre ». Depuis lors, les tensions diplomatiques avec ses voisins du sud se sont accrues, dans un contexte régional où des puissances étrangères telles que la France, la Russie, la Turquie ou les Émirats arabes unis se disputent également l'influence géopolitique.
La position du gouvernement algérien est claire : la sécurité nationale ne peut se limiter à répondre aux attaques, elle doit les anticiper. Comme l'a déclaré un conseiller militaire dans les médias locaux, « le changement est doctrinal : l'Algérie n'attend pas d'être attaquée, elle s'organise pour l'éviter ». Dans cette optique, la mobilisation générale n'est pas un acte d'urgence, mais une stratégie soutenue de blindage institutionnel.

Une surveillance omniprésente
Le contenu de la loi va bien au-delà du domaine strictement militaire. La nouvelle réglementation autorise la création de comités spéciaux chargés de gérer la mobilisation, oblige tous les secteurs économiques à s'aligner sur l'effort de défense et habilite le gouvernement à centraliser le contrôle des transports, de l'énergie, de l'eau et des exportations. Il s'agit d'un modèle de sécurité intégrale qui englobe aussi bien la production industrielle que le discours public.
L'un des articles les plus controversés prévoit des peines pouvant aller jusqu'à deux ans de prison pour tout citoyen qui, « délibérément », ne signale pas aux autorités des personnes ou des entités considérées comme « hostiles » au pays. L'ambiguïté de cette formulation, qui ne précise pas exactement ce que signifie « hostile », a suscité l'inquiétude des organisations de défense des droits humains, qui y voient une légalisation de la délation.
Parallèlement, le contrôle de la presse se durcit : la diffusion non autorisée d'informations relatives à la mobilisation ou à des activités militaires peut être punie de dix ans de prison. En conséquence, de nombreux médias locaux ont commencé à s'autocensurer. Les rédactions évitent de couvrir certains sujets, non pas sur ordre direct, mais par crainte croissante de sanctions. Comme l'a déclaré un journaliste algérien sous couvert d'anonymat : « Nous ne savons pas exactement où se situent les limites, alors mieux vaut ne pas s'en approcher ».

L'ombre du Hirak et la contention interne
Le timing politique de cette loi n'est pas anodin. Après les manifestations massives du mouvement Hirak, qui ont secoué les rues depuis 2019 pour réclamer la démocratisation, l'État algérien a choisi de renforcer les mécanismes de contrôle politique plutôt que d'avancer vers des réformes structurelles.
Les secteurs de l'opposition et de la société civile craignent que la loi ne serve d'outil pour empêcher de nouvelles mobilisations, grâce à un cadre juridique qui criminalise l'organisation sociale et la liberté d'expression. Le parti d'opposition « Unir pour le changement » l'a exprimé avec force dans un communiqué récent : « Il s'agit d'une décision qui aura un impact sur toute une génération et qui ne peut être adoptée sans un débat national large et pluraliste, incluant tous les acteurs politiques et sociaux ainsi que la communauté algérienne à l'étranger ».
Selon lui, il ne s'agit pas seulement d'une mesure juridique, mais d'une décision politique de grande envergure, qui devrait s'accompagner d'un processus de concertation démocratique. Cependant, le gouvernement a choisi de présenter la loi comme une politique d'État incontestable, en alignant ses partis alliés et en utilisant les médias pro-gouvernementaux pour promouvoir un discours d'unité face à l'ennemi extérieur.

Force nationale ou dérive autoritaire ?
Le modèle de mobilisation adopté par l'Algérie n'est pas inédit dans l'histoire, mais il représente un tournant significatif par rapport aux cadres institutionnels qui ont régit sa vie politique depuis les années 1990. Face à l'effondrement de l'ordre régional au Sahel, l'État algérien choisit non seulement de militariser ses frontières, mais aussi de préparer sa société à une forme prolongée d'exception.
Ce que beaucoup craignent, c'est que cette exception devienne structurelle. La mobilisation générale, présentée comme un instrument de protection, peut devenir une nouvelle norme politique, où le contrôle remplace le consensus et la surveillance remplace le débat public. Comme l'a écrit un utilisateur sur les réseaux sociaux : « La guerre n'a pas encore commencé, mais nous sommes déjà en train de perdre nos libertés ».
En fin de compte, la loi reflète une tension sous-jacente entre deux modèles de gouvernance. L'un fondé sur la participation démocratique, le pluralisme et l'État de droit. L'autre axé sur l'obéissance, la sécurité préventive et le pouvoir centralisé.