L'Égypte et la simulation démocratique

Élections sénatoriales égyptiennes sans concurrence 
Bandera de Egipto en el El Cairo - PHOTO/REDES SOCIALES
Drapeau égyptien au Caire - PHOTO/RÉSEAUX SOCIAUX

Alors que la machine électorale s'active en Égypte, le processus de renouvellement du Sénat se déroule sans tension ni surprise. Les élections au Sénat égyptien se tiendront les 1er et 2 août à l'étranger, et les 4 et 5 août en Égypte. La structure institutionnelle et les règles du jeu favorisent d'emblée les partis alignés sur le pouvoir, tandis que la représentation politique s'éloigne de plus en plus de la vie quotidienne de la majorité. 

Une élection sans concurrence ni alternatives réelles

La clôture des candidatures a confirmé ce que l'on pressentait déjà : le processus électoral sera pratiquement unilatéral. Dans chacun des quatre districts soumis au système des listes fermées, une seule liste a été présentée, la « Liste nationale pour l'Égypte », composée de 13 partis, pour la plupart fidèles au régime. Cette situation garantit une victoire automatique s'ils obtiennent à peine 5 % des voix, conformément à la loi électorale.  

« Il n'y a pas de concurrence, il s'agit simplement de remplir les formalités », souligne le politologue Saeed Sadiq. Sur les 100 sièges attribués par liste, 83 iront aux partis pro-gouvernementaux et les 17 restants à des partis nominalement d'opposition, dont le Parti social-démocrate égyptien et le Parti de la réforme et du développement, qui acceptent de faire partie de la liste officielle sans s'engager politiquement. Malgré leurs nuances, les deux groupes ont reconnu que leur participation répondait à une logique stratégique plutôt qu'à une réelle attente de changement. 

Au-delà des partis, les noms derrière les candidatures reflètent un autre phénomène : le contrôle croissant des entreprises sur la politique. Des personnalités telles que Mohamed Halawa et Mohamed Al-Murshidi, liées aux secteurs immobilier et industriel, sont en tête des listes fermées au Caire. Le financement privé et le profil économique des candidats consolident une classe politique déconnectée des préoccupations des citoyens. Certains partis au pouvoir ont justifié cette tendance en invoquant « l'expérience technique » des candidats, mais les voix critiques y voient une nouvelle avancée dans la privatisation du pouvoir politique. 

Comme l'a souligné l'ancien ministre de la Solidarité sociale et professeur d'économie politique, Jouda Abdel Khaliq, l'Égypte n'est plus confrontée à une « paralysie politique », mais à la « mort de la politique ». Dans un article récent, Abdel Khaliq a averti que le système des listes absolues a vidé le processus électoral de son contenu, laissant l'électeur sans réelle volonté et le représentant sans légitimité. Il a dénoncé le fait que la « Liste nationale » se bat contre elle-même dans une œuvre dont la fin est écrite : « Une naissance qui a le goût d'une élection ». 

AP/VASILY FEDOSENKO - El presidente egipcio Abdel Fattah al-Sisi
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sisi - AP/VASILY FEDOSENKO

Restriction et favoritisme

À cette hégémonie s'ajoute le cercle institutionnel qui entoure toute alternative. Les candidats indépendants et ceux issus de petits partis dénoncent les obstacles imposés par les autorités locales et les forces de sécurité. Ils sont empêchés d'organiser des meetings, d'apposer des affiches ou d'accéder aux espaces publics, tandis que les candidats de la liste officielle jouissent d'une totale liberté. Ce déséquilibre se reflète également dans l'accès inégal aux médias et aux plateformes de communication, où les voix critiques ont été systématiquement réduites au silence ou marginalisées. 

Ce déséquilibre institutionnel a été confirmé par des fonctionnaires locaux, qui admettent avoir reçu des « instructions directes » pour faciliter la campagne des partis au pouvoir, en particulier celle du Futuro de la Patria, qui détient actuellement la majorité parlementaire. La campagne se transforme ainsi en une mise en scène où les règles du jeu ne s'appliquent qu'à quelques-uns. Même les rassemblements massifs organisés par le pouvoir en place, comme ceux du Front national, qui ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes, contrastent avec l'impossibilité pour l'opposition d'organiser le moindre événement sans ingérence. 

Un candidat du parti Al-Jil dans le district de Dakahlia a expliqué qu'il n'avait même pas pu obtenir les autorisations nécessaires pour tenir une conférence avec ses partisans, alors que les candidats de la liste nationale avaient librement accès aux espaces publics et à une propagande privilégiée dans les rues. Cette pression se reflète également dans le fait que, sur les 424 candidats admis à se présenter aux élections individuelles, au moins 41 ont été exclus par des décisions du tribunal administratif, sur fond de plaintes pour manipulation et favoritisme. 

Parlamento de Egipto - PHOTO/BIBLIOTECA DEL PARLAMENTO NACIONAL DE EGIPTO
Parlement d'Egypte - PHOTO/ LIBRAIRE DU PARLEMENT NATIONAL D'EGYPTE

Un Sénat sans fonctions réelles ni légitimité politique

Bien que le Sénat égyptien compte 300 membres - 100 élus sur des listes, 100 élus au suffrage universel et 100 nommés par le président -, son rôle est en pratique purement consultatif. L'article 249 de la Constitution actuelle réduit encore ses compétences, faisant du Sénat une institution purement décorative. En effet, au moins 10 % de ses membres doivent être des femmes, un quota qui, s'il est formellement respecté, ne se traduit pas par une participation substantielle ou influente dans les processus législatifs. 

Au cours de la législature précédente, le Parlement dominé par Mostaqbal Watan a été vivement critiqué pour avoir agi comme un « tampon en caoutchouc » de l'exécutif. Le Sénat court le même risque : sans délibération, sans contrôle et avec une représentation politique déconnectée du citoyen lambda. Les campagnes officielles de 2025, davantage axées sur la louange des réalisations du gouvernement que sur la discussion de propositions concrètes, renforcent cette perception d'inefficacité. 

Dans ce contexte, le sociologue politique Saeed Sadiq souligne que l'Égypte occupe la 170e place sur 180 dans l'indice de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (2024), ce qui reflète non seulement la répression médiatique, mais aussi son impact direct sur la dépolitisation des citoyens et l'apathie électorale. 

De l'apathie au « suicide politique », des avertissements ignorés

Des personnalités de longue date du parti au pouvoir ont lancé des avertissements sérieux. Le libéral Hossam Badrawi, ancien député du Parti national avant 2011, a intitulé l'un de ses articles « Suicide politique ». Il y avertit que le régime répète les mêmes erreurs qui ont conduit à la révolution du 25 janvier : fermeture de l'espace public, exclusion des voix critiques, marginalisation des élites et manipulation des institutions. 

Badrawi a également rappelé comment il avait été écarté du pouvoir en 2011 pour avoir conseillé des réformes modérées à Moubarak avant qu'il ne soit trop tard. Il voit aujourd'hui une situation encore plus fermée et faussée, marquée par la politisation de la religion, la domination des entreprises sur la politique et l'exclusion des professionnels indépendants. Pour lui, ce modèle autoréférentiel ne peut que déboucher sur une explosion aux conséquences imprévisibles. 

Même des initiatives telles que le dialogue national de 2023, qui promettait de véritables réformes, sont tombées dans l'oubli. Les propositions en faveur d'un système électoral mixte proportionnel ont été rejetées par les partis du régime, et aucune recommandation pertinente n'a été mise en œuvre. Pour beaucoup, il s'agissait d'un simple « drame triste » avec une façade participative, mais sans volonté de transformation. Jouda Abdel Khaliq, qui a participé à ce processus, a estimé que le refus du régime d'adopter ne serait-ce que des réformes minimales confirmait que les décisions réelles ne sont pas prises dans les instances visibles, mais dans des cercles fermés et sans obligation de rendre des comptes. 

El liberal Hossam Badrawi, exdiputado del Partido Nacional antes de 2011, durante una conferencia - PHOTO/REDES SOCIALES
Le libéral Hossam Badrawi, ancien député du Parti national avant 2011, lors d'une conférence - PHOTO/RÉSEAUX SOCIAUX

Un galop d'essai avant le véritable bras de fer législatif

Dans ce contexte, les élections sénatoriales d'août sont perçues comme un galop d'essai avant les élections de novembre pour la Chambre des représentants, où se joue réellement le pouvoir législatif. « Le Sénat est une vitrine, l'important, c'est novembre », a déclaré un responsable de Mostaqbal Watan. 

La question n'est pas de savoir qui va gagner, mais combien de temps ce modèle de représentation vide de sens pourra se maintenir. L'exclusion de candidats, le contrôle absolu des médias et l'absence de nouvelles voix créent un scénario à risque sur le plan politique. La crainte croissante parmi les secteurs réformistes ne répond pas à une révolte soudaine, mais à une accumulation silencieuse de frustrations ignorées. 

Si des réformes structurelles ne sont pas entreprises, ce qui se présente aujourd'hui comme un processus électoral finira par consolider une façade démocratique qui légitime le pouvoir, mais ne représente pas la volonté populaire. Comme l'a averti Badrawi : « La forme sans contenu ne confère pas de légitimité. Et celui qui répète ses erreurs ne leur échappe pas. »