Pourquoi les droits numériques doivent-ils être identifiés, diffusés et protégés ?

UE

Toutes les affirmations de droits sont nées de grands bouleversements historiques. Ils transforment la perspective des ensembles sociaux, amenant des millions de personnes à réorganiser et à réajuster leurs valeurs. Si, au cours du siècle dernier, la première guerre mondiale a donné naissance au suffrage des femmes et la seconde à l'État-providence, c'est parce que les deux grandes guerres ont fondamentalement modifié les valeurs consensuelles de la société.

La pandémie que nous vivons encore est un choc équivalent dans tout ce qui touche à la façon dont nous comprenons le numérique, son importance et les valeurs qui doivent guider sa régulation. Il suffit d'écouter les réseaux d'enseignants et de professeurs, les équipes de télétravail dans les entreprises, les travailleurs de la santé eux-mêmes ou les enquêtes sociologiques pour se rendre compte qu'il y a eu une réorganisation de la hiérarchie des valeurs. Les citoyens exigent davantage de l'internet parce que leur vie a été - et continuera d'être - véhiculée par l'internet d'une manière nouvelle.

Depuis des années et dans divers domaines, d'importantes initiatives, dont certaines de nature réglementaire, témoignent de la préoccupation de plus en plus répandue pour la reconnaissance et la réglementation des droits des citoyens dans l'environnement numérique. Cette préoccupation s'est fortement développée au cours des trois dernières années. En 2018-19 en raison d'une série de scandales liés à des pratiques non éthiques d'entreprises technologiques et en 2020 à cause de la pandémie, qui, du jour au lendemain, a placé l'internet au centre de nos vies, rendant les problèmes à résoudre encore plus évidents.

En raison de l'évolution technologique rapide et de la mondialisation, un cadre réglementaire plus solide et plus cohérent est nécessaire pour instaurer la confiance et permettre à l'économie numérique de se développer. Mais la culture européenne est très ancienne et donc lente à changer les lois ou à promulguer de nouveaux codes, qui doivent également suivre, et non précéder, une prise de conscience sociale qui exige de tels changements.

Le Forum économique mondial définit déjà les droits numériques comme des droits de l'homme à l'ère de l'internet, en précisant, par exemple, que les droits à la vie privée et à la liberté d'expression en ligne sont des extensions des droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations unies.

Mais, comme l'expérience nous le montre, la nature de la numérisation empêche de faire respecter efficacement de nombreux droits largement reconnus dans l'environnement numérique.

Le premier rapprochement sérieux au niveau européen a eu lieu avec le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

Toutefois, lorsqu'il s'agit des droits des citoyens dans l'environnement numérique, au-delà de la protection de leurs données, la situation n'en est encore qu'à ses débuts. Même dans le cas de la protection des données personnelles, les violations sont quotidiennes. Dans le cas des groupes vulnérables, le travail à accomplir est encore plus urgent et nécessaire.

Le gouvernement espagnol vient de présenter la Charte des droits numériques. Une initiative pionnière créée pour servir de boussole aux initiatives législatives à partir de maintenant, et qui vise à sauvegarder l'État de droit dans le processus compliqué de la numérisation plus que nécessaire. Cette charte est sans aucun doute une étape importante et un grand pas en avant, mais nous devons continuer à travailler.

C'est pourquoi nous avons besoin de l'engagement de tous les acteurs pour faire avancer les initiatives qui renforcent et consolident un scénario pour la promotion et la reconnaissance effective des droits de citoyenneté numérique. Tout cela, dans une perspective européenne, car ce n'est qu'en tenant compte de cette perspective qu'il sera possible de progresser efficacement dans la reconnaissance des droits numériques.

Dans ce contexte, il semble évident que les initiatives visant à stimuler et à accélérer la prise de conscience et l'engagement en faveur des droits numériques des citoyens peuvent constituer un instrument clé pour consolider un nouveau droit dans un scénario européen qui réponde aux lacunes détectées et renforce la confiance dans l'environnement numérique. La première étape, rappelons-le, est que la société prenne conscience du problème.

Ce "nouveau domaine" des droits numériques englobe les questions législatives et l'application d'une protection judiciaire efficace, mais aussi les questions de politique commerciale et organisationnelle, allant de l'engagement en faveur de la véracité des informations et de la cyberintimidation, aux systèmes de participation, à la transparence des procédures et à la relation entre les entreprises et leurs clients.

L'objectif doit être de protéger l'intégrité morale du citoyen numérique et son identité personnelle, quelles que soient les conditions, tout en renforçant les concepts de souveraineté citoyenne et de dignité numérique dans l'environnement virtuel européen.

Droits de la citoyenneté numérique

À la Fondation de l'Institut Hermes, qui se consacre à l'identification, à la diffusion et à la défense des droits de la citoyenneté numérique, nous souhaitons partager, pour votre réflexion, une série de droits et de principes que nous considérons comme essentiels pour commencer à parler de démocratie numérique.

  • - Universalité : tout le monde doit avoir accès à tout (informations publiques, services publics...).
  • - Non-exclusion : ceux qui ne souhaitent pas accéder ne peuvent être exclus (il ne peut être obligatoire d'être connecté pour accéder à l'État, aux opportunités, aux services publics, etc.)
  • - Égalité d'accès : l'accès ne peut être conditionné ni par la complexité technologique, ni par des options qui obligent les citoyens à devenir des clients ou des utilisateurs de certaines entreprises (par exemple, nous ne pouvons pas demander aux citoyens de mettre à jour et de configurer Java, de manipuler et de comprendre les certificats de sécurité et d'installer une version particulière, ancienne et pas nécessairement accessible, d'un navigateur afin de s'identifier numériquement auprès de l'administration).
  • - Abondance (vs. rareté artificielle) : lorsqu'il est possible d'universaliser l'accès, tout système qui impose artificiellement la rareté pour un avantage particulier doit être évité... que ce soit pour éviter de modifier une procédure administrative, pour générer des revenus ou des bénéfices supplémentaires sans ajouter de services, etc. Par exemple, dans le cas ci-dessus, des solutions inclusives et accessibles à tous sont possibles.
  • - Défense de la souveraineté personnelle, collective et organisationnelle. Ce principe est à la base de tout, depuis le droit du citoyen à la propriété des données qu'il génère dans sa relation avec les administrations, les entreprises, etc. jusqu'au droit de savoir quand elles fonctionnent, d'exiger un audit et de contester le résultat dans les processus décisionnels automatisés.
  • - L'intégrité morale de l'individu liée à l'identité numérique. Ce principe est celui qui, d'une part, sert à reconnaître la dignité de la personne dans la sphère numérique et, d'autre part, l'anonymat avec une réglementation qui garantit que l'anonymat ne signifie pas impunité lorsqu'il s'agit de porter atteinte à l'intégrité morale d'autrui (cyberintimidation sexuelle, intimidation, assassinat de la personnalité, vol d'identité, etc.)

 

Enrique Goñi. Président de l'Institut Hermès