Habillez-moi lentement, je suis pressé
Malgré quatre-vingts ans à vivre dans l'illusion et à attendre que le « cousin » de l'autre côté de l'Atlantique vienne à notre secours chaque fois que nous nous sentons menacés de l'intérieur ou de l'extérieur, et malgré les avertissements de diverses sources fiables, nous n'avons rien appris et n'avons même pas posé les jalons fondamentaux pour résoudre par nous-mêmes une situation de crise grave.
L'Europe a connu la période la plus longue de paix de toute son histoire, la guerre était quelque chose de lointain, presque oublié, qui ne nous affectait pas, même lorsque ses tambours et ses coups de canon résonnaient dans nos oreilles ou à nos frontières. Nous pensions que l'Oncle Sam serait là pour couper court à toute prétention extérieure ou à un expansionnisme démesuré de la part d'un partenaire proche ou appartenant au même club d'amis.
Peu à peu, et par dégénérescence interne, la tant vantée et appelée UE est devenue une réalité, un club économique et social, qui se consacre à dépenser de l'argent à tout va, à légiférer jusqu'à la manière dont les bouchons en plastique doivent être accrochés aux petites bouteilles de ce matériau, parler de dénucléarisation, d'énergies propres, de voitures électriques, de protection du monde animal et rural en général et nous faire payer des impôts à tous ceux qui osent bouger la tête ou sortir du rang.
De nombreuses voix et initiatives de toutes sortes en matière de sécurité et de défense ont été mises sur la table depuis plus d'une décennie. Des initiatives qui, pour diverses raisons, n'ont pas trouvé l'écho ni le soutien nécessaires pour porter leurs fruits et se transformer en quelque chose de réel ou, du moins, en l'embryon d'une entité facilement convertible en une organisation ou une alliance militaire beaucoup plus grande, qui, en tout cas, serait propre, exclusivement européenne et dotée de matériel plus que suffisant et qui n'aurait pas besoin de technologies ou de soutiens externes pour son utilisation et sa direction. Ces questions, si elles ne sont pas préalablement réglées, s'avèrent très fastidieuses car elles se traduisent toujours, et inévitablement, par de gros problèmes si elles ne sont pas résolues à l'avance.
Je me souviens que lorsque j'étais un jeune commandant, étudiant à l'École d'état-major qui porte son nom, les professeurs d'organisation et de tactique nous faisaient toujours remarquer et réfléchir sur l'opportunité et l'exigence de définir correctement et de remplir correctement ce que l'on appelle un plan-programme-budget.
Dans la première phase du plan, il faut définir concrètement les menaces que nous devons couvrir, identifier leurs voies et modes d'action possibles, les quantifier et les affronter avec nos possibilités et capacités après une longue et détaillée confrontation et comparaison de certaines capacités contre d'autres.
Dans cette phase, il est très important de définir à la fois les objectifs, la doctrine d'emploi et surtout la chaîne de commandement propre et, fondamentalement, les points de non-retour.
Cette phase, si elle est réalisée avec sincérité, nous donnera de nombreuses indications sur les chances de succès, aidera à quantifier les nouveaux besoins en moyens et en matériel et, surtout, nous donnera des indications sur le degré de préparation et d'entraînement requis pour les forces propres. Il va sans dire qu'il est essentiel, lors de la définition du matériel à utiliser, de déterminer s'il est nouveau et qui le fournira, si quelques-uns ou tous ensemble.
Ces plans, qui se traduiront par une série variée de programmes de sélection et d'acquisition du matériel nécessaire, de recherche sélective et de formation des troupes nécessaires et de leurs remplaçants, nous aideront à quantifier le temps nécessaire à l'accumulation du matériel nécessaire et à déterminer l'emplacement des centres d'instruction et d'entraînement pour simuler efficacement et conjointement des opérations de ce nom dans chaque pays ou combinées avec la participation de forces de plusieurs pays.
Une fois ces deux phases terminées et redéfinies, si nécessaire, on arrive au point douloureux de vérifier quel budget est nécessaire et/ou si nous devons nous conformer à un budget déjà défini (comme dans ce cas), puis de voir si tous les besoins sont couverts dans les montants requis, quels points restent en suspens, en gardant à l'esprit que, si les éventuels déséquilibres qui en résultent sont insurmontables, il faudra recommencer le processus, l'ajuster ou le rejeter complètement.
Tout cela, défini et dit de manière schématique et assez simple, n'est en réalité pas du tout simple, et il ne faut pas non plus attendre que cela se réalise ou se fasse rapidement et d'un seul coup. Si l'on ne trace pas la route avec propreté, sincérité et sans aucun chauvinisme, l'échec est servi sur la table et attend les convives. On ne peut pas prétendre utiliser du matériel obsolète dans des combats modernes, ni attendre que le Primo Donald ait pitié de nous et, quand il nous verra au pied du mur, qu'il vienne à notre secours, car, honnêtement, je ne le vois pas très décidé à le faire.
Chaque membre ne peut pas fournir du matériel de tout type de calibre, de précision douteuse, d'utilisation variée et, surtout, si nous ne les avons pas en quantités précises et suffisantes pour alimenter des combats de longue durée. Actuellement, l'Europe dispose, toujours en production, de plusieurs modèles de chars de combat et de transports de troupes à chenilles d'âges, de degrés de protection, de précision des armes et de types d'armes et de calibres divers. Il en va de même pour certains modèles d'hélicoptères d'attaque et de transport, ainsi que pour les moyens aériens de combat, de transport, de renseignement cybernétique et d'électronique de guerre. Enfin, et ce n'est pas le moins important, pour les pièces d'artillerie et les lance-roquettes.
Avons-nous besoin d'une force militaire européenne ? Oui, mais pas à n'importe quel prix. Elle ne peut ni ne doit être formée par vague, comme cela a été le cas jusqu'à présent avec l'aide européenne à l'Ukraine, dont le souvenir et les résultats sont si néfastes. Il est très douteux qu'il soit efficace de fixer un montant de plusieurs millions au hasard, aussi exorbitant soit-il ; il faut mettre en place, même de manière primaire et en l'absence de redéfinitions et d'améliorations ultérieures et successives, un plan-programme-budget complet et, comme nous commençons à le voir et comme le disent les Britanniques, « ce n'est pas une simple tasse de café ».
La précipitation n'a jamais été et n'est pas de bon conseil et pour partir en guerre contre un colosse qui, bien qu'en perte de vitesse, bénéficie d'un soutien interne et externe direct et indirect d'une certaine importance et qui, en outre, occupe désormais une place de choix dans les relations avec les États-Unis, il faut être bien conscient de ce que nous voulons faire et, plus important encore, si avec les moyens et la volonté de combattre dont nous disposons, nous pouvons le faire avec suffisamment de garanties de succès sans nous brûler les doigts.
Une défaite ignominieuse face à Poutine serait le pire résultat de cette aventure, impossible à effacer ; d'où la nécessité d'une bonne planification, de moyens suffisants et d'une précipitation faible ou nulle. Il ne faudrait pas que ce résultat soit ce que certains attendent sur la scène internationale complexe.