Le pari risqué de Macron

Emmanuel Macron - REUTERS/ CHRISTOPHE SIMON
Emmanuel Macron - REUTERS/ CHRISTOPHE SIMON
La dissolution de l'Assemblée nationale française par Emmanuel Macron n'est pas seulement surprenante, elle illustre également la complexité de la gouvernance à notre époque. La débâcle de son parti Rennaissance aux élections européennes du 9 juin a démontré un mécontentement évident du peuple français à l'égard de son administration. 

Alors que le monde est de plus en plus interconnecté, que les défis sont transnationaux et que la vulnérabilité de l'État est inévitable, le citoyen français semble pencher vers une vision nationaliste et souverainiste, rejeter l'immigration et s'éloigner de l'esprit européen incarné par l'Union européenne. Toutes ces idées sont typiques d'une extrême droite française qui, bien que démagogique, a réussi à séduire une grande partie de l'électorat français. 

La convocation rapide des élections législatives prévues le 30 juin 2024 pour un premier tour, et vraisemblablement un second tour le 7 juillet, sont "en soi " historiques. Il ne s'agit pas seulement de l'élection des 577 députés de l'Assemblée et, par conséquent, de la figure du Premier ministre, mais aussi de la possible fragilité de l'État français sur son propre territoire, ainsi qu'au niveau européen et international. La possibilité d'une cohabitation, c'est-à-dire d'un chef d'État issu d'un parti et d'un premier ministre issu d'un autre parti, est une formule que le général Charles de Gaulle avait envisagée à l'époque, et cette forme inédite de gouvernance institutionnelle est possible. Sous la Vème République, la France a connu trois cohabitations, Mitterrand-Chirac (1986-1988), Mitterrand-Balladur (1993-1995) et Chirac-Jospin (1997-2002). 

Alors pourquoi la cohabitation possible en 2024 est-elle si alarmante, alors que la France a déjà connu des cohabitations par le passé ? En réalité, les différences politiques entre la gauche et la droite en France dans les années 1980 et 1990 étaient plutôt nuancées, jamais aussi opposées. Tout porte à croire qu'une éventuelle cohabitation entre le chef de l'État Emmanuel Macron (centre) et Jordan Bardella (extrême droite) susciterait une inquiétude nationale et européenne inhabituelle. Le jeune Jordan Bardella s'impose comme un possible premier ministre à 28 ans, fils d'immigrés italiens, scolarisé en banlieue parisienne, élève brillant à l'adolescence, bien qu'il n'ait pas terminé son cursus universitaire en géographie à la Sorbonne, il est devenu la figure préférée de la jeunesse française. Une figure qui contraste avec l'actuel Premier ministre Gabriel Attal, 35 ans, candidat centriste, brillant étudiant à la prestigieuse Sciences Po qui incarne l'élite que le peuple rejette visiblement aujourd'hui. Deux figures qui rivalisent avec la coalition de gauche, formée dans l'urgence sous le nom de Nouveau Front Populaire, regroupant écologistes, socialistes, communistes, ainsi que la France Insoumise. Bien que l'on ne sache pas encore qui pourrait devenir premier ministre, le politicien controversé Jean-Luc Mélenchon semble être le choix le plus probable. 

Mais qu'est-ce qui ne va pas en France et pourquoi l'extrême droite va-t-elle "crescendo" ? Le mécontentement des Français à l'égard du gouvernement actuel est remarquable. L'extrême droite est de plus en plus visible, passant de 8 députés aux élections nationales de 2017, à 88 à celles de 2022, progressant de manière exponentielle aux élections européennes du 9 juin, étant la force politique la plus votée sur le territoire français (31,37%), obtenant 30 députés européens sur les 59 qui ont constitué ce groupe (Identité et Démocratie) au sein du Parlement européen. Ce n'est pas la première fois que l'extrême droite remporte les élections européennes, mais c'est la première fois qu'elle le fait avec une victoire aussi éclatante. Paradoxalement, le pays fondateur de l'Union européenne a placé plus d'eurodéputés en désaccord avec le projet européen que jamais dans son histoire et a même doublé les centristes pro-européens du parti d'Emmanuel Macron (14,60%).

La société française souffre d'une perte latente de pouvoir d'achat, qui est l'une de ses principales préoccupations, à laquelle s'ajoutent une forte insécurité et une immigration massive mal maîtrisée. Les Français ne comprennent pas comment ils peuvent s'engager dans une transition écologique alors que leur pouvoir d'achat est de plus en plus érodé par l'inflation provoquée par la hausse des prix de l'énergie à partir de 2022. C'est à cette date que la guerre a éclaté entre la Russie et l'Ukraine, déstabilisant le continent et l'obligeant à chercher des alternatives énergétiques plus coûteuses, avec des répercussions inévitables sur les portefeuilles. Bien que le gouvernement de Macron ait réussi à réduire le chômage de 10 à 7,5 %, la vérité est que l'économie française stagne, avec un déficit de -5,5 % du PIB et une dette de 110,6 % de son PIB en 2023, avec un déficit et une dette qui dépassent ceux de l'Espagne et de l'Allemagne. Des perspectives sombres dont les idéologies extrêmes de droite et de gauche ont profité pour présenter de nouvelles alternatives de gestion peu crédibles. 

A titre d'exemple, la "restauration" du pouvoir d'achat des Français est devenue un étendard pour chaque parti politique. Jordan Bardella propose comme solution la réduction drastique de la TVA dans tout le secteur de l'énergie, de 20 à 5%, afin de redonner "systématiquement" du pouvoir d'achat au citoyen. Les ressources perdues par la baisse de la TVA seront obtenues, entre autres, par la réduction de la contribution de la France au budget de l'UE. D'autre part, le Nouveau Front Populaire (gauche) affirme qu'il porterait le salaire minimum net à 1 600 euros (il est actuellement de 1 400 euros). Une mesure que l'actuel premier ministre juge controversée, soulignant que de nombreux employeurs choisiraient de licencier leurs employés, car les coûts augmenteraient de manière significative et qu'ils ne pourraient pas les supporter. Au contraire, Gabriel Attal souligne que le rétablissement du pouvoir d'achat pourrait passer par la "Prime Macron", qui passerait de 3.000 euros à 10.000 euros par an. Cette prime consisterait pour les employeurs à pouvoir augmenter exceptionnellement ce montant annuel à leurs salariés, l'entreprise étant exonérée de charges et d'impôts. Cette prime pourrait être perçue mensuellement. Trois mesures qui dessinent trois visions très différentes de la relance de l'économie française.

Certes, beaucoup de mesures proposées par les extrêmes, gauche et droite, sont incongrues. La transition écologique n'en est pas moins importante, et sa gestion est donc clé pour l'avenir du pays, du continent et de la planète. L'UE a indiqué que d'ici 2035, plus aucune nouvelle voiture thermique ne devrait être vendue, elles devraient toutes être électriques. La nécessité d'augmenter la production d'électricité est donc primordiale, c'est pourquoi le gouvernement Macron a décidé de construire 14 réacteurs nucléaires qui seront opérationnels à partir de 2035. Une mesure visionnaire qui vise à réduire toujours plus les émissions de CO2, afin que l'éolien et le nucléaire puissent largement répondre à la future demande énergétique. Le candidat d'extrême droite n'est pas d'accord et souligne qu'il faut mettre fin à l'énergie éolienne, car son énergie ne peut pas être stockée. Il ne dit pas non plus comment cette énergie sera fournie en cas de déséquilibre entre la demande et la production, et qu'il n'est pas d'accord avec les exigences de l'UE en matière de voitures électriques. De son côté, le groupe de gauche ne parvient pas à proposer une idée uniforme, certains de ses membres s'opposant à l'énergie nucléaire. 

La France n'est pas un État isolé sur la scène internationale et nombre de ses décisions et actions peuvent avoir des conséquences graves pour tous. Une éventuelle cohabitation institutionnelle avec l'extrême droite pourrait réduire la contribution financière de la France à l'UE, et pourrait même "bloquer" une partie du soutien français au gouvernement ukrainien, puisque la constitution française stipule dans son article 20 que c'est le gouvernement qui a le droit d'utiliser la force armée. De plus, en ce qui concerne le climat, sa gestion serait ralentie et en contradiction avec les politiques de l'UE.

La France est aujourd'hui un exemple clair de vulnérabilité à l'ère de la mondialisation, les conséquences tangibles d'une guerre inattendue sur l'économie nationale, ou les flux massifs de migrants fuyant les guerres, les défis climatiques et la pauvreté sont difficiles à gérer économiquement et socialement. Le projet européen a été d'une grande aide face à des adversités majeures comme les pandémies ou la gestion de l'énergie, où la collaboration entre les 27 États membres a été cruciale. Un projet qui est maintenant entre les mains des électeurs français, qui auront le dernier mot le 7 juillet, lorsqu'ils décideront enfin quelle idéologie devrait obtenir une majorité absolue (289 députés) ou une majorité relative, montrant ainsi au monde ce que les Français et les Européens veulent vraiment.