L'orientalisme du regard « progressiste » : comment le discours anti-marocain recycle les tropes morophobes

Tren de alta velocidad Al-Boraq - PHOTO/ATALAYAR
Train à grande vitesse Al-Boraq - PHOTO/ATALAYAR
Quelle que soit la manière dont on mesure l'alignement politique, on pourrait s'attendre à ce que le front dit progressiste dans certains cercles intellectuels et médiatiques espagnols fasse preuve d'une certaine nuance lorsqu'il aborde des États postcoloniaux tels que le Maroc

Pourtant, paradoxalement, le discours qui émerge des voix « de gauche » les plus influentes, en particulier dans l'écosystème médiatique espagnol, reflète souvent, consciemment ou non, les tropes morophobes historiquement utilisés par l'extrême droite espagnole. Ces récits, bien qu'enrobés dans un discours sur les « droits humains » ou la « justice décoloniale », trahissent un malaise profond vis-à-vis de la souveraineté, de l'identité et de l'action géopolitique du Maroc.

Le critique culturel Edward Said a mis en garde contre ce phénomène dans Orientalism (1978), où il soulignait la tendance des discours occidentaux à infantiliser ou à diaboliser l'Autre non européen, en particulier lorsque celui-ci revendique son autonomie en dehors des paradigmes occidentaux. Aujourd'hui, une logique similaire persiste, bien que dissimulée sous de nouveaux habits rhétoriques. La représentation incessante du Maroc comme un État « totalitaire », « répressif » ou « expansionniste » fonctionne moins comme une critique que comme une reproduction de l'angoisse coloniale : la crainte que les subalternes puissent non seulement s'exprimer, mais aussi gouverner – et réussir.

Prenons le cas d'un éminent chroniqueur espagnol qui se positionne depuis longtemps comme un spécialiste du Maroc et du Maghreb en général. Ses écrits, largement diffusés et souvent considérés comme faisant autorité, s'écartent rarement d'un scénario familier : le Maroc est invariablement présenté comme opaque, hypocrite et menaçant. Dans de nombreuses chroniques et interventions médiatiques, le pays est dépeint non pas comme un acteur régional complexe et en voie de modernisation, mais comme une monarchie quasi impériale déterminée à subvertir les normes internationales.

En revanche, l'Algérie, malgré son autoritarisme bien documenté et l'enracinement de son régime civilo-militaire, fait l'objet de relativement peu de critiques. Cette asymétrie en dit moins sur la politique nord-africaine que sur l'économie psychique du discours de la gauche radicale : contrairement à l'Algérie, le Maroc défie le scénario. Il est pro-monarchique, pro-marché et connaît un succès croissant. C'est peut-être là que réside la véritable « menace ».

Les voix issues du milieu militant sahraoui apportent un éclairage parallèle, bien que distinct, à ce phénomène. Leurs critiques, souvent reprises sans discernement par des médias sympathisants, réduisent la dynamique politique de la région à une opposition binaire entre oppresseurs et opprimés, présentant les Marocains comme intrinsèquement dominateurs et les Sahraouis comme éternellement asservis. Ce récit aplatit les identités, nie la diversité interne et occulte la complexité de la vie des communautés sahraouies. Surtout, il converge avec les discours de droite qui dépeignent le Maroc comme patriarcal, islamique, monarchique et donc incompatible avec la modernité européenne.

En effet, la convergence de ces critiques prétendument progressistes avec les inquiétudes de l'extrême droite est plus que sémantique. Elle est structurelle. L'extrême droite espagnole a longtemps présenté le Maroc – et les Marocains de la diaspora – comme une menace, un peuple étranger et culturellement inconciliable avec l'Europe. Ce qui est frappant, c'est la facilité avec laquelle certaines voix de gauche reprennent ce discours : l'État marocain serait un « Makhzen » obscur, sa diplomatie serait conspiratrice, sa politique serait intrinsèquement illégitime. Ce ne sont pas des analyses. Ce sont des mythologies recyclées, enracinées dans une épistémologie orientaliste qui nie l'autonomie du Maroc.

Comme l'a fait valoir le théoricien culturel Rey Chow, les discours « progressistes » réinscrivent souvent le pouvoir lorsqu'ils présentent l'Autre non occidental uniquement en termes de victimisation et de carence. En niant au Maroc toute capacité de légitimité ou de réussite en dehors des paradigmes approuvés par l'Occident, ces critiques exercent une forme subtile mais persistante de violence épistémique. Elles réduisent le Maroc à un cas d'étude de dysfonctionnement plutôt qu'à un sujet politique à part entière.

Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille renoncer à la critique. Comme tous les États, le Maroc doit rendre des comptes en matière de droits humains, de transparence et de réformes démocratiques. Mais la critique ne doit pas devenir caricaturale. Elle ne doit pas non plus servir de vecteur à des discours plus anciens et plus insidieux, surtout lorsque ceux-ci renforcent l'architecture symbolique de l'exclusion sur laquelle se nourrit l'extrême droite européenne.

En fin de compte, la question n'est pas de savoir si ces commentateurs s'alignent consciemment sur une politique réactionnaire. Ils peuvent très bien croire qu'ils défendent les principes de justice et de décolonialité. Mais dans le champ discursif, l'intention est secondaire par rapport à l'effet. Et l'effet de leur discours est de fournir à l'imaginaire anti-marocain espagnol une nouvelle armure intellectuelle, polie non pas avec des slogans nationalistes, mais avec le langage de la vertu progressiste.