Robert Prevost et son élection comme nouveau pontife : une leçon de tactique de la part des « faiseurs de rois » ?

Finalement, la « fumée blanche » est apparue au deuxième jour du conclave, et le résultat a été une élection vraiment surprenante : Robert Prevost, cardinal de la Curie et préfet de la Congrégation pour la Congrégation des évêques, sera le nouveau pontife sous le nom de « Léon XIV ». Nous pouvons donc dire que la grande majorité de ceux qui ont écrit sur le successeur du pape François se sont trompés du début à la fin sur le choix du nouveau pontife. Celui qui écrit ces lignes avait toutefois vu juste en affirmant qu'il s'agirait d'un homme dans la lignée de François (ce qui était d'ailleurs facile à deviner lorsque 107 des 133 cardinaux avaient reçu la pourpre cardinalice des mains du pape Bergoglio) ; qu'il serait originaire d'Europe (j'avais misé sur l'Amérique latine ou l'Asie, et il est vrai que Prevost, bien que né aux États-Unis, est péruvien et se sent péruvien) ; et qu'il aurait une forte composante sociale ; mais je dois reconnaître que je n'aurais jamais pensé au nom d'un cardinal appartenant aux États-Unis d'Amérique, un pays où, au cours du siècle dernier, il n'y a eu que deux présidents catholiques (John Fitzgerald Kennedy et Joe Biden) et où les catholiques sont minoritaires face aux puritains calvinistes, regroupés essentiellement autour de l'Église presbytérienne.
Mais, comme nous le disons, non seulement l'auteur de cet article s'est trompé, mais aussi l'ambassade d'Espagne auprès du Saint-Siège, qui, peu avant le début du conclave, a transmis un rapport au ministère des Affaires étrangères dans lequel elle donnait comme favoris Pietro Parolin, secrétaire d'État, et Luis Tagle, ancien cardinal-archevêque de Manille (Philippines) et désormais deuxième membre de la Sacrée Congrégation pour l'Évangélisation.
Ce rapport de l'ambassade espagnole ne doit en aucun cas être minimisé, car il a très certainement été rédigé par Antonio Pelayo, attaché culturel de l'ambassade (je précise bien qu'il s'agit là d'une déduction personnelle et non d'une information vérifiée). Pelayo, que j'ai personnellement rencontré en novembre 2013 et vu pour la dernière fois en mai 2022, est un visage très connu des Espagnols, car il informe l'une des deux principales chaînes privées de notre pays sur ce qui se passe à Rome. En effet, Pelayo, originaire de Valladolid et âgé de 81 ans, est non seulement prêtre, ce que beaucoup ignorent, mais il était déjà dans les années 70 l'un des plus proches collaborateurs du prêtre-journaliste le plus important de notre pays à l'époque (José Luis Martín Descalzo). De plus, Pelayo, qui avait déjà couvert les deux conclaves de 1978 (dont sont sortis, successivement, Jean-Paul Ier et Jean-Paul II), est à Rome depuis le milieu des années 80, ce qui lui confère une connaissance unique de la Curie romaine. Et Pelayo, comme nous l'avons dit, n'a même pas mentionné le nom de Prevost, alors qu'il savait certainement qu'il pouvait constituer un candidat alternatif en cas de blocage entre les principaux favoris.

En réalité, les mêmes noms revenaient constamment dans les différents médias : s'il s'agissait d'un membre de la Curie, le choix se porterait sur Parolin ; si l'on recherchait quelqu'un avec un profil social fort, alors le choix se porterait sur Tagle ou Matteo Maria Zuppi, cardinal-archevêque de Bologne ; s'il fallait trouver un pontife ayant une stature internationale, alors le plus indiqué était le patriarche de Jérusalem (Pizzaballa), qui sert depuis des années de médiateur entre Arabes et Israéliens ; et si finalement les cardinaux penchaient pour un Africain, alors le nom était celui du cardinal Ambongo, de la République démocratique du Congo. Et pendant ce temps, le cardinal Prevost était un parfait outsider.
Je suis d'accord avec José Francisco Serrano Oceja, professeur de communication à l'université San Pablo-CEU, qui a fait deux déclarations dans un média catholique : il n'était pas prévisible qu'un « troisième candidat » ou « plan B » apparaisse dès le quatrième tour de scrutin (trop tôt), et que les « congrégations cardinalices » soient devenues un conclave officieux préalable au conclave officiel. Car c'est là que les cardinaux qui soutenaient l'élection pontificale ont pu deviner vers qui penchaient les partisans d'un cardinal opposé à la ligne tracée par François, et également le nom qu'ils devaient « sortir de leur manche » au cas où Tagle n'obtiendrait pas suffisamment de voix.
Nous avions déjà signalé dans un article précédent que l'une des nouveautés importantes de ce conclave était qu'il n'était pas seulement précédé par le décès du pape et la présence d'un secrétaire d'État parmi les « papables », mais qu'il serait également précédé par un Conseil des cardinaux composé de quelques « faiseurs de rois » capables de mobiliser un nombre important de voix. Ce « Conseil des cardinaux » avait été créé par François en avril 2013, mais sa composition actuelle date essentiellement du 7 mars 2023 (même si certains membres déjà présents auparavant sont restés, comme le cardinal Ambongo ou le cardinal Mellino), et dont fait d'ailleurs partie un Espagnol, Omella, actuellement cardinal-archevêque de Barcelone.

Je ne connais pas le profil et le parcours de la plupart des cardinaux membres de ce conseil particulier, mais je connais bien la figure d'Omella. Combien savent que dans la Catalogne la plus indépendantiste, l'archevêque de Barcelone était, depuis décembre 2015, un Aragonais qui n'a pas su manœuvrer avec beaucoup d'habileté entre les partis favorables à la « rupture » avec l'Espagne ? Et qu'il serait même le premier cardinal-archevêque de Barcelone à avoir accédé à la présidence de la Conférence épiscopale espagnole, organisme qu'il a dirigé entre 2020 et 2024 ? Avec des hommes aussi discrètement habiles, élaborer un « plan B » aussi tactiquement parfait que celui consistant à déplacer le nom de Prevost semble une tâche moins ardue qu'on ne le croit, et montre que François a su très bien choisir son cercle de collaborateurs les plus proches. Car ce n'est certainement pas Prevost qui a remporté ce conclave, mais François, par l'intermédiaire des « faiseurs de rois » qui, pour nous catholiques, se sont laissés guider par la Divine Providence.
Il est maintenant facile de dire que le cardinal Prevost était un candidat évident à l'élection pontificale, pour deux raisons : premièrement, il avait été nommé cardinal par le pape François ; deuxièmement, il était à la tête de la plus importante Congrégation sacrée (celle des évêques).
Mais la réalité est, premièrement, que traditionnellement, c'est un membre du clergé diocésain et non d'un ordre religieux qui est élu pontife : François était jésuite, mais Benoît XVI, Jean-Paul II, Jean-Paul Ier, Paul VI, Jean XXIII, Pie XII et Pie XI (pour citer les sept pontifes précédents, correspondant au dernier siècle de l'histoire de l'Église) appartenaient tous, sans exception, au clergé diocésain.
Deuxièmement, Prevost a dû attendre pas moins que le neuvième des dix consistoires célébrés par François pour être élevé au rang de cardinal : bien que François ait déjà nommé ses premiers cardinaux le 22 février 2014, Prevost a dû attendre près d'une décennie pour devenir « prince de l'Église ».
Et troisièmement, il est vrai qu'il était à la tête de la Sacrée Congrégation des évêques, ce qui faisait de lui un collaborateur très proche et de confiance du pape Bergoglio, mais cela ne s'est produit qu'en avril 2023, c'est-à-dire seulement deux ans avant la mort de François et alors que le pape Bergoglio était « Vicaire du Christ » depuis une décennie.
Avec le temps, nous le saurons, mais ce qui s'est sûrement passé, c'est que les « faiseurs de rois » ont attendu le premier vote (celui qui a lieu le premier jour du conclave), qui est une sorte de « vote indicatif », pour savoir quelle était la force de Pietro Parolin parmi les traditionalistes et les opposants à François, et combien de soutiens avait son rival, le « franciscain » Luis Tagle. Comme Parolin était certainement le plus voté (même s'il n'a sans doute pas dépassé la cinquantaine de voix, alors qu'il en fallait près de quatre-vingt-dix), ils ont alors activé le « plan B » :
lors du deuxième tour, Prevost devait déjà figurer parmi les plus votés ; lors du troisième tour, il devait devenir le plus voté ; et enfin, lors du quatrième et dernier tour, il a dépassé la majorité des deux tiers pour devenir le troisième pontife élu au XXIe siècle.

Passons maintenant à la figure du nouveau pontife, qui a décidé d'entrer dans l'Histoire sous le nom de Léon XIV : à mon avis, son nom ne pouvait être mieux choisi, puisque Léon XIII (1878-1903) est l'auteur de la célèbre encyclique « Rerum Novarum », certainement la plus socio-économique de toute l'histoire de l'Église contemporaine. Léon XIII était un pontife très préoccupé par les inégalités créées par le capitalisme, à une époque où les partis socialistes commençaient à émerger dans toute l'Europe : en Espagne, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a été fondé en 1879, et son syndicat « frère », l'Union générale des travailleurs (UGT), en 1888. Robert Prevost sait que le capitalisme s'est révélé être le moins mauvais des systèmes (face au fiasco qu'a été le communisme), mais aussi qu'il peut créer une répartition très inégale des richesses. Nous verrons donc certainement, au cours de son pontificat, une exigence de « capitalisme à visage humain » dans un monde où, comme nous le disons, la répartition des richesses doit être considérablement améliorée.
D'autre part, même si certains veulent voir en Léon XIV un continuateur de François, il existe des différences sensibles entre eux. La plus importante est le profil intellectuel marqué de Robert Prevost, qui est docteur en droit canonique de l'Université pontificale Saint-Thomas-d'Aquin (en plus d'être licencié en sciences mathématiques) : n'est-il pas frappant qu'il soit apparu avec la même tenue que Benoît XVI ? Moi, cela m'a frappé, et je ne pense pas que ce soit un hasard.
D'autre part, alors que François était à la tête du principal diocèse de son pays (Buenos Aires, Argentine), Prevost a préféré être prêtre missionnaire, consacrant la majeure partie de sa vie à son Pérou natal. Il est également beaucoup plus international que Bergoglio : père d'origine italo-française et mère d'origine espagnole pour un homme né aux États-Unis, face à un Bergoglio qui était d'origine purement transalpine.
Il partage toutefois avec Bergoglio le fait d'être un homme de commandement : si François était, avant de devenir pape, provincial des jésuites argentins, Prevost a été supérieur de son ordre (les augustins, un ordre fondé en 1244 et appartenant au groupe des ordres « mendiants ») pendant plus d'une décennie. Et l'élément le plus important qui le lie au pontife récemment décédé : il est fils d'émigration, dans ce cas de l'Europe vers les États-Unis. Ce qui constitue une gifle retentissante pour deux dirigeants politiques : Donald Trump, président des États-Unis, qui veut expulser des masses d'immigrants de son pays (avec l'accord du président du Salvador, Bukele), d'une part, et la Première ministre italienne, Meloni, d'autre part. En effet, alors que la première femme « premier ministre » de l'histoire de la République italienne s'emploie à expulser des migrants vers un centre de détention créé en Albanie, dans sa ville natale même, 133 cardinaux lui ont répondu en élisant comme Souverain Pontife un fils de l'immigration. On peut donc s'attendre à ce que Léon XIV, tout en dénonçant les inégalités générées par le capitalisme actuel, consacre également beaucoup de temps à dénoncer les politiques radicalement opposées à l'immigration.
Aujourd'hui, ils sont particulièrement heureux dans une ville de second rang du Pérou : Chiclayo, où le prêtre augustin Prevost était évêque entre septembre 2015 et avril 2023. Il ne faut pas oublier que, bien que Prevost soit né à Chicago (Illinois, États-Unis), lors de son premier discours en tant que pape, il a utilisé l'italien et l'espagnol, mais pas l'anglais. Car, au fond, il ne se sent pas américain, mais latino-américain. Un monde qui reste très catholique, mais qui considère, en partie, que l'Église catholique n'a pas répondu au problème de la pauvreté, abandonnant un grand nombre de fidèles au catholicisme pour se tourner vers les églises chrétiennes évangéliques : aujourd'hui, leur demande d'une plus grande attention de la part de la hiérarchie catholique a été entendue par les cardinaux, et pour la deuxième fois consécutive, nous avons un pontife latino-américain après François. Nous verrons ce que cette élection nous réserve, mais le fait que Léon XIV soit une figure de premier plan pour des temps extrêmement difficiles est une très bonne nouvelle pour les catholiques, mais aussi pour les non-catholiques. Il s'agit certes d'une nomination très surprenante, mais tout aussi très judicieuse, qui répond véritablement au « signe » des temps que nous vivons.
Pablo Martín de Santa Olalla Saludes est professeur de droit ecclésiastique à l'université Camilo José Cela (UCJC)