L'Espagne à la queue du train franco-marocain

El rey de Marruecos, Mohamed VI, y el presidente de Francia, Emmanuel Macron saludan a la multitud mientras recorren una carretera de la capital, Rabat, el 28 de octubre de 2024 - PHOTO/LUDOVIC MARIN / POOL/AFP
Le roi du Maroc Mohamed VI et le président français Emmanuel Macron saluent la foule alors qu'ils marchent le long d'une route dans la capitale Rabat, le 28 octobre 2024 - PHOTO/LUDOVIC MARIN / POOL/AFP
L'Espagne a une capacité extraordinaire à gaspiller les opportunités que l'histoire lui offre. 

Non seulement nous ne savons pas en profiter, mais nous les offrons à nos rivaux et concurrents. Quelques exemples suffiront : 

Alors que l'Espagne et l'Ibéro-Amérique continuent à se livrer à des débats stériles sur l'histoire coloniale, sur les fautes des uns et des autres, sur l'héritage hispanique du Rio Grande au Cap Horn, d'autres pays européens saisissent l'occasion de se lancer dans le puissant marché émergent du Sud américain. 

C'est le cas de la France qui, au cours de la dernière décennie, a lancé 245 projets au Brésil, 192 au Mexique, 104 en Colombie, 62 en Argentine et 54 au Chili, pour un montant de plusieurs dizaines de milliards d'euros. Au Mexique, la France a annoncé des investissements d'une valeur de 3,35 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années, dont 2,5 milliards de dollars pour l'hydrogène vert, 800 millions de dollars pour l'entreprise automobile Valeo et 50 millions de dollars pour l'entreprise pharmaceutique Sanofi. 

La Grande-Bretagne fait de même, et loin d'avoir terni son image en Amérique latine pour avoir joué un rôle de premier plan dans le seul affrontement militaire de la guerre des Malouines contre la revendication légitime de l'Argentine de récupérer son archipel atlantique, elle va signer des accords commerciaux préférentiels avec le Mexique, le Brésil et la Colombie pour contourner les restrictions européennes qui, après le Brexit, ne concernent plus Londres. En 2023, le Mexique et le Royaume-Uni signent un accord de partenariat stratégique qui prévoit une coopération en matière de commerce et d'investissement. De puissants groupes britanniques investissent dans les technologies innovantes et durables, les énergies renouvelables et l'agriculture. Avec des pays comme le Chili et le Brésil, les entreprises britanniques sont à la pointe de l'installation de capacités solaires et éoliennes. 

Si la perte d'opportunités en Amérique latine est consternante, au Maroc, c'est encore pire. La visite d'État du président français Emmanuel Macron au royaume marocain témoigne de l'échec de l'Espagne. 

Le gouvernement de Pedro Sánchez, suivant les traces - mais pas entièrement - de la Maison Blanche sous Donald Trump (2017 à 2021), a été le premier en Europe à prendre le taureau par les cornes et à reconnaître implicitement la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en considérant la proposition d'autonomie comme « la plus sérieuse, réaliste et crédible » pour résoudre définitivement le conflit. A l'époque, la France navigue dans l'ambiguïté sans prendre parti dans la rivalité géopolitique entre l'Algérie et le Maroc. 

Mais l'Espagne n'a pas su saisir l'opportunité et s'imposer comme le principal investisseur étranger au Maroc, en décrochant les contrats de plusieurs millions de dollars dans les chemins de fer, les ports, les réseaux routiers et les énergies renouvelables qui étaient sur la table des relations extérieures du Maroc. 

Le gouvernement espagnol n'a pas été en mesure de mettre en œuvre l'Université des Deux Rois à Tétouan, un projet phare hispano-marocain pour la formation des cadres supérieurs marocains. Le président Macron envisage de créer une université polytechnique au Maroc, en lien avec les universités françaises. 

Le gouvernement espagnol n'a pas eu l'audace d'installer un bureau de l'ICO (Institut de crédit officiel) dans aucune des villes du Sahara, alors que la France l'a fait en installant un bureau de l'Agence française de développement (AFD) à Laayoune pour soutenir les investissements français au Sahara. 

Le gouvernement de Pedro Sánchez n'a pas franchi le pas d'ouvrir un bureau consulaire ni à Laayoune ni à Dakhla, alors que la France devrait le faire dans les prochains jours dans l'ancienne capitale du Sahara espagnol, et que les États-Unis ont déjà annoncé qu'ils le feraient à Dakhla « après trois ans de préparation ». Le retard de l'Espagne ne manquera pas d'avoir des répercussions négatives sur les relations bilatérales dans plusieurs domaines. 

Dans les exercices militaires conjoints entre le Maroc et les Etats-Unis, connus sous le nom de « African Lion », qui se déroulent depuis 20 ans, la France a toujours été observatrice dans certains cas, et directement impliquée dans d'autres. L'Espagne, quant à elle, a décidé de ne pas participer aux quatre derniers exercices, de sorte que, malgré la réconciliation hispano-marocaine, l'industrie espagnole de l'armement figure en bas de la liste des fournisseurs internationaux du royaume voisin du Sud. 

Pour la plupart des analystes et observateurs des relations bilatérales entre Madrid et Rabat, il ne fait aucun doute que le principal obstacle et le facteur déterminant de cet échec se trouve dans le gouvernement de coalition espagnol lui-même. Tant qu'il y aura cinq ministres ouvertement anti-marocains, en plus des partenaires parlementaires de Pedro Sánchez qui sont également des partisans du Front Polisario et ouvertement hostiles à la monarchie alaouite, l'Espagne continuera à manquer des opportunités. Au mieux, Pedro Sánchez aspire à sauter dans le train franco-marocain impulsé par Emmanuel Macron et Mohammed VI.