Barnier, un bouclier pour Macron

Mais il a aussi fini par obtenir l'assentiment du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, dont les 143 députés à l'Assemblée nationale sont indispensables pour dépasser le seuil des 289 sièges nécessaires à la majorité absolue.
L'extrême droite du RN affirme toutefois qu'elle prendra sa décision finale sur le soutien à apporter à Michel Barnier une fois que celui-ci aura présenté son programme à l'Assemblée. Mais il ne fait guère de doute que M. Macron s'est assuré de leur vote positif avant de procéder à la nomination de ce vétéran de la politique, aujourd'hui âgé de 73 ans, qui est entré en fonction pour la première fois alors qu'il n'avait que 22 ans.
Michel Barnier a été pratiquement tout, détenant quatre fois plus de portefeuilles ministériels, en plus d'être un eurodéputé et un commissaire européen chevronné, couronnant près d'un quart de siècle de sa longue carrière en Europe en tant que négociateur en chef pour le Brexit, la sortie traumatisante du Royaume-Uni de l'Union européenne, mais qu'il a réussi à piloter tout en préservant les intérêts de l'Europe. Homme de consensus et habile négociateur avéré, il est parvenu à briser l'offensive britannique rusée et constante visant à diviser les Européens par la tactique consistant à informer tous les membres de l'UE d'absolument tout, défaisant ainsi la stratégie britannique traditionnelle consistant à jouer les uns contre les autres.
Ce fut le dernier service précieux rendu par Barnier à la cause européenne, qui eut pour meilleur résultat de resserrer les rangs alors que, de ce côté-ci de la Manche, on voyait que rien ne venait du membre de l'UE transfuge tel que les gouvernements successifs de Londres l'avaient dépeint à leurs citoyens.
Il eut cependant une autre tentation, et un choc : se présenter aux primaires de l'élection présidentielle pour son parti, les Républicains, l'ancienne droite gaulliste conservatrice, rebaptisée « droite républicaine ». Il a perdu et a décidé de se retirer pour « cultiver son jardin », comme le dit l'expression française. Macron le tire aujourd'hui de sa retraite et le charge de « former un gouvernement d'union nationale ». Une tâche à laquelle on peut supposer que les députés du Nouveau front populaire (NFP), et plus précisément ceux de La France insoumise (LFI) du turbulent Jean-Luc Mélenchon, qui s'est empressé de qualifier la nomination de Michel Barnier de « vol de ceux qui ont gagné les élections », ne participeront pas.
Quoi qu'il en soit, Michel Barnier a fort à faire pour tempérer les cris dans la cage de grillon qu'est l'actuel hémicycle de la chambre basse française. Au sein de l'alliance de circonstance que constitue cette nouvelle version du Front populaire, le Parti socialiste, ou plutôt une partie de sa formation plus que décharnée, n'a pas apprécié que Macron ne nomme pas le vétéran Bertrand Cazeneuve, un social-démocrate modéré. Pour compenser, Macron a également snobé la candidature du centriste Xavier Bertrand. Le président étant pieds et poings liés par le maigre poids du macronisme qui le soutient, essentiellement le parti Renaissance, le véritable arbitre de la situation est précisément le RN. Et il a déjà posé deux conditions pour ne pas soumettre une motion de censure à Barnier : revoir le mode de décompte des voix, au moins en donnant beaucoup plus de poids à la proportionnelle, et organiser immédiatement après de nouvelles élections, c'est-à-dire plus ou moins à la fin de l'année 2025. Au vu des derniers résultats du scrutin, le RN aurait raflé la mise en termes de nombre de sièges, alors qu'avec le système actuel, il a dû se contenter d'une maigre deuxième place.
Macron échappe ainsi à l'impasse qu'il avait lui-même créée en avançant les élections, assortie d'une attente très longue et inédite pour nommer un premier ministre, ce qui en France se fait rapidement, presque dès le dépouillement, sans donner lieu aux tripatouillages des investitures avec des délais plus typiques de l'époque des diligences que des transports hypersoniques d'aujourd'hui. Avec Barnier, il gagne aussi un grand bouclier personnel et de prestige. Il devra gérer l'épineux dossier de l'immigration - lui-même, pro-européen convaincu, a été jusqu'à demander un moratoire sur l'accord européen - et, surtout, s'attaquer au problème déjà endémique du déficit de la France. Le ministre Bruno Le Maire a chiffré à 16 milliards d'euros les réductions que la France doit commencer à mettre en œuvre cette année, et la Commission européenne elle-même est sur le point d'ouvrir le dossier correspondant à l'encontre de Paris pour déficit excessif.
Barnier a souvent visité l'Espagne et a été un professeur accrédité des vertus de la grande aventure qu'est l'UE. Invité par l'Association des journalistes européens, il a été l'un des grands diffuseurs de l'histoire, des vicissitudes, des guerres et des bouleversements de l'Europe, heureusement délaissée face au présent et à l'avenir de l'expérience de sa force par l'adhésion et l'association volontaire de ceux qui ont mené tant de guerres sanglantes au cours de tant de siècles.