La dictature parfaite revient-elle au Mexique ?

Mais l'auteur de cette expression, qui fait référence au système de gouvernement mexicain qui a permis au Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) d'occuper le pouvoir sans interruption pendant soixante-dix ans, est l'écrivain hispano-péruvien Mario Vargas Llosa, récemment décédé.
Nous étions en 1989 et le mur de Berlin venait de tomber, dont les décombres annonçaient l'effondrement imminent des dictatures communistes européennes soumises au pouvoir implacable de l'Union soviétique. En Amérique latine, ces événements étaient suivis avec beaucoup d'attention et, parmi de nombreux autres forums, Octavio Paz a organisé trois journées intenses de débat en août 1990, sous le titre générique « Le XXe siècle : l'expérience de la liberté », lors de l'ouverture desquelles il a appelé les intellectuels des deux côtés de l'Atlantique à s'unir dans la maison de la nouvelle démocratie.
Paz coordonnait une brochette impressionnante d'intervenants venus d'Amérique et d'Europe : Milosz, Revel, Michnik, Krauze, Semprún, Bell, Castoriadis, Heller, Kolakowski, Ignatieff et Vargas Llosa. Retransmis en direct par la puissante chaîne de télévision priiste Televisa, lorsque vint le tour du futur prix Nobel, celui-ci déclara textuellement : « Le Mexique est la dictature parfaite. Ce n'est pas le communisme ni Fidel Castro. C'est le Mexique », laissant entendre qu'il faisait référence à la machine de corruption politique qui permettait au PRI de jouir d'un pouvoir ininterrompu. Des élections périodiques, dont les résultats étaient toutefois connus à l'avance, contribuaient à donner une apparence démocratique au régime.
Ce débat s'inscrivait également dans un contexte de changements au Mexique et sur le continent latino-américain. L'année précédant la chute du mur de Berlin, le PRI mexicain s'était divisé en raison de la dissidence de Cuauhtémoc Cárdenas, qui avait non seulement défié le candidat officiel du parti, mais semblait également l'avoir battu. Le PRI s'est rebellé, n'a pas cédé le pouvoir et a déclenché une répression sévère contre les secteurs qui soutenaient la dissidence. Ce n'est que l'année suivante, en 1989, que le PRI a reconnu pour la première fois avoir été battu aux élections au poste de gouverneur de Basse-Californie.
Depuis ces événements, le Mexique a porté au pouvoir des présidents issus d'autres formations, certaines issues de scissions d'autres partis. Le mouvement qui domine actuellement la scène politique du pays est le Mouvement de régénération nationale (MORENA), fondé en 2011 par Andrés Manuel López Obrador, que les Mexicains appellent eux-mêmes AMLO.
Dominant absolument les pouvoirs exécutif et législatif, AMLO a fait adopter à la fin de son mandat présidentiel (2018-2024) une réforme radicale du pouvoir judiciaire, sous prétexte de le rendre « démocratique », afin que les juges et les magistrats soient élus au suffrage universel. En vertu de ce principe sacré, tout candidat soutenu par une majorité des suffrages populaires peut aspirer à occuper les fonctions de juge local, de magistrat ou de ministre de la Cour suprême.
Ce dimanche 1er juin 2025, ces élections ont eu lieu afin de pourvoir un premier contingent de 881 postes de juges fédéraux et locaux, pour lesquels 3 422 candidats se sont présentés. Selon de nombreux témoignages concordants sur les réseaux sociaux, une grande partie d'entre eux bénéficient de l'approbation des barons du trafic de drogue, lorsqu'ils n'ont pas été directement imposés par ces derniers. C'est précisément AMLO qui a changé la politique répressive à l'égard du narcoterrorisme, sous le slogan « des câlins plutôt que des balles », ce qui a eu pour conséquence qu'une partie non négligeable du vaste territoire mexicain se trouve sous le contrôle du crime organisé.
L'actuelle présidente du pays, Claudia Sheinbaum, qui a adopté sans réserve ce changement radical dans l'un des pouvoirs qui articulent la société, ne semble pas s'offusquer de la formation et de la consolidation d'un pouvoir monolithique. Bien que de nombreux cas d'accords illégaux entre juges et criminels aient été découverts, la loi leur reconnaissait l'indépendance nécessaire pour juger et condamner sans pression. Aujourd'hui, du moins dans les médias d'opposition, peu de gens doutent que le nouveau pouvoir judiciaire ressemblera davantage à celui de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua qu'à celui des démocraties où règnent encore les contrepoids, la responsabilité, la transparence et les libertés.
Le crime organisé, qui en était à ses balbutiements lorsque Vargas Llosa a inventé le terme de « dictature parfaite », affiche désormais sans vergogne sa puissance, y compris son impunité dans les territoires qu'il contrôle grâce à des accords avec les dirigeants ou à l'imposition d'une violence irrésistible.
Selon le Mouvement Zéro Impunité, au cours des dernières années, sur 100 crimes signalés, seuls 14 ont été résolus, ce qui signifie que la probabilité qu'un crime commis au Mexique soit élucidé n'est que de 0,9 %. Le procureur général de la République lui-même estimait à 95,5 % le nombre de crimes restant impunis.
Au vu de la très faible participation populaire au vote pour le nouveau pouvoir judiciaire, il ne semble pas y avoir une grande confiance dans le fait que ces chiffres accablants puissent changer la donne. Des élections, d'ailleurs, dont le dépouillement n'est pas effectué par les fonctionnaires habituels et dont les résultats ne seront en principe pas connus avant la mi-juin.