Fissures et lézardes dans un Israël en guerre

Israël est entré dans cette phase d'incertitudes multiples, compte tenu de l'enlisement de sa guerre à Gaza, qui est d'ailleurs devenue la plus longue guerre menée par son armée depuis la création même de l'Etat d'Israël en 1948.
Le porte-parole même des Forces de défense israéliennes (FDI), le très tempéré contre-amiral Daniel Hagari, a osé s'interroger sur la possibilité d'atteindre l'objectif principal affiché publiquement par le gouvernement de Benjamin Netanyahou dans cette guerre, à savoir l'anéantissement du Hamas. "Le Hamas est une idéologie. Nous ne pouvons pas éliminer une idéologie. Dire que nous allons le faire disparaître, c'est jeter de la fumée et du brouillard aux yeux du public", a déclaré Hagari dans une interview accordée à la chaîne de télévision israélienne Channel 13, dans laquelle il a conclu de manière dévastatrice : "Si nous n'offrons pas d'alternative, en fin de compte, nous aurons le Hamas".
Netanyahou a trouvé cette interrogation si brutale qu'il a immédiatement réagi par une déclaration laconique mais ferme, réaffirmant son intention de ne pas conclure la guerre tant que "le gouvernement et les capacités militaires du Hamas n'auront pas été détruits".
La controverse sur Hagari fait suite à de vifs désaccords entre Netanyahou et le leader centriste Benny Gantz sur le prétendu plan d'après-guerre pour Gaza. L'absence présumée de ce dernier a été à l'origine de la démission de l'ancien général Gantz du cabinet de guerre du gouvernement, ce qui a incité le premier ministre israélien à dissoudre le cabinet. La dissolution du cabinet n'était pas non plus une manœuvre gratuite car l'un de ses ministres les plus extrémistes, Itamar Ben Gvir, avait exigé que Netanyahou rejoigne le cabinet, ce à quoi le chef du gouvernement avait répondu par une accusation plus que voilée à l'encontre de son ministre de la Sécurité, l'exhortant à prouver qu'il n'est pas la "grande gueule" qui divulgue des secrets d'État qui nuisent considérablement à l'action unie du gouvernement. Ben Gvir a répondu en demandant à Netanyahou de faire passer tous les ministres au détecteur de mensonges pour savoir qui est ou sont ceux qui donnent effectivement libre cours à la grande gueule.
Dans ce climat intérieur assurément tendu, alimenté également par les familles des personnes enlevées et toujours détenues par le Hamas, le chef du mouvement islamiste Hezbollah, Hassan Nasrallah, a fait irruption en menaçant Israël d'une guerre totale, affirmant qu'il disposait non seulement de nouvelles armes, mais aussi de capacités de renseignement novatrices au sein même d'Israël. De manière apocalyptique, Nasrallah a averti qu'"aucun endroit en Israël ne serait épargné par la portée des missiles de son groupe si ses dirigeants mettaient à exécution leurs menaces d'attaquer le Liban".
Nasrallah a enflammé ses partisans en soulignant que "nous sommes préparés au pire, donc l'ennemi [Israël] doit savoir que nous l'attaquerons par terre, par mer et par air". Le chef du Hezbollah a complété son discours en menaçant directement Chypre pour la première fois, déclarant que "nous disposons d'informations crédibles selon lesquelles Israël utiliserait les aéroports et les bases chypriotes" dans le cadre de son offensive sur le Liban. Cette déclaration répondait à celle du général de division israélien Ori Gordin, qui avait déclaré la veille qu'Israël avait déjà approuvé des plans opérationnels en vue de lancer une offensive sur le Liban.
Dans ce contexte, il est important de souligner la dernière analyse géopolitique de Zvi Bar'el, professeur au Sapir Academic College et publiée dans Haaretz : "Israël a déjà la preuve qu'il ne peut pas soutenir toutes les guerres qu'il voudrait mener, et même celles qu'il est forcé de mener", affirme catégoriquement l'analyste. Selon lui, il a été démontré que "c'est un ballon que nous sommes prêts pour n'importe quel scénario", une fois qu'il a été confirmé qu'il est impossible de détruire le Hamas, de ramener le Liban à l'âge de pierre et de détruire les capacités nucléaires de l'Iran, "alors qu'il est également incapable d'éliminer la terreur [semée par les colons] en Cisjordanie".
Le document tempère donc considérablement l'euphorie de la prétendue invincibilité d'Israël, même si elle est fondamentalement étayée par une aide militaire américaine incontestable et incontestée. Et la conclusion que l'on peut en tirer est plutôt décourageante : la guerre de Gaza risque de plus en plus de déborder et d'embraser toute la région - et au-delà.