La France va jusqu’au bout, le récit viendra plus tard

Une victoire dans n'importe quelle guerre sera à la Pyrrhus si le pays ou la société vainqueur n'en sort pas plus uni et plus façonné par l'expérience. Un tel triomphe ne servirait pas à grand-chose si la grande majorité de ses citoyens ne partageait pas leurs miels et même, et surtout, n'intériorisait pas conjointement le sacrifice de ceux qui sont morts. Placer l'objectif de victoire collective avant toute autre considération, c'est ce que le Président de la République française, Emmamuel Macron, a mis à l'horizon personnel et général de tous ses concitoyens dans son troisième discours à la radio et à la télévision depuis le début de la pandémie.
Macron fut moins épique qu'en d'autres occasions et beaucoup plus inclusif, bien qu'en tant que commandant en chef, il ait dessiné un horizon d'espoir ainsi qu'un programme d'opérations pour ce qui est censé être une nouvelle phase décisive de la guerre contre la COVID-19.
Avant le déclenchement de la pandémie, le président français n'avait pas réussi à insuffler un tel espoir aux millions de Français dont l'agitation et les protestations s'exprimaient semaine après semaine à travers les « gilets jaunes ». Le fait que les manifestations et les émeutes aient été moins nombreuses qu'il y a dix-huit mois, et qu'elles aient même langui de semaine en semaine, n'enlève rien au mécontentement évident des nombreuses couches de la société qui disent jeûner pour l'avenir.
Les réformes structurelles indispensables dont la France a besoin, notamment de son système de retraite, qui est plein de privilèges et d'exceptions, ont été mises en veilleuse. Il est donc urgent de gagner la guerre, et c'est l'objectif principal que Macron a fixé à ses compatriotes. Et, sans doute bien conseillé, entre autres, par ses prédécesseurs en fonction, il a reconnu les erreurs et les imprévus sans blâmer les pavés.
Avec la solennité qui caractérise les discours d'un chef d'État, qui détient également le pouvoir exécutif dans son cas, Macron a esquissé les grandes lignes du changement qui aura lieu dans l'après-guerre, de la réindustrialisation du pays, qui comme tant d'autres avait laissé entre les mains de la Chine « l'usine » de produits qui se sont maintenant avérés stratégiques, au renforcement conjoint d'une Union européenne, auquel pas mal d'haruspices se préparent à mettre fin.
La France elle-même s'apprête à saisir cette opportunité pour unir un pays qui s'effondrait à bien des égards, à commencer par la division, voire l'antagonisme avec les Français d'origine arabe et la résurgence d'un antisémitisme explosif, et incluant des citoyens de culture subsaharienne ou créole. Nombreux sont ceux qui éprouvent de sérieuses difficultés à enterrer ou à rapatrier dans leur pays d'origine les personnes tuées par le coronavirus.
Bref, Macron est conscient de l'opportunité que l'histoire lui offre pour reconstruire l'unité et la grandeur de la France, sans oublier non plus que cette fois-ci cet horizon ne sera pas séparé du reste de l'UE, dont l'échec hypothétique serait une défaite collective décisive.
En plus des Français, Macron devrait alors persuader les autres membres de l'UE de la nécessité d'agir ensemble et non dans un ordre dispersé. Ce n'est pas le moment de fabriquer des histoires, que la réalité actuelle nierait bientôt, mais d'agir, en rassemblant la grande majorité des citoyens, quels que soient leur idéologie et leur statut social. Il n'est pas non plus temps de dévaloriser des concepts aussi épiques que l'héroïsme. Les héros sont ceux qui donnent leur vie en sauvant de nombreuses personnes par des actes aussi risqués que décisifs. Macron n'est donc pas tombé dans la banale habitude d'appeler les héros ceux qui s'ennuient sur le canapé de leur maison, entourés de toute la panoplie de la technologie.
« Nous ne gagnerons jamais seuls », a proclamé le président français pour défendre cette Europe dont les citoyens ont besoin de se sentir enfin du côté des vainqueurs. Des citoyens qui, comme dans chaque période d'après-guerre, peuvent alors se raconter leurs expériences communes, leurs petites batailles, bref, celles sur lesquelles l'avenir s'est construit et qui sont devenues le présent, même si elles deviennent les histoires répétitives de ceux qui, avec toute la gloire qu'ils méritent, passeront à la catégorie immortelle des anciens combattants.