Mauthausen-Barcelone-Tel Aviv

S'il n'y avait pas les commémorations périodiques des événements qui ont marqué l'histoire, l'existence de la race humaine ne serait guère différente de celle des animaux : naître, grandir et mourir sans laisser de trace ni de souvenir. Des événements qui, dans bien des cas, ont été tragiques et qui, malgré la détermination de l'homme à répéter de telles hécatombes, doivent être rappelés, ne serait-ce que pour essayer de faire en sorte que des atrocités ne soient plus commises, ou du moins qu'elles restent soumises à la condamnation spirituelle de l'humanité.
C'est précisément le mois de la mémoire de l'Holocauste, l'occasion de rappeler que le régime national-socialiste qui a dirigé l'Allemagne entre 1933 et 1945 a exterminé près de dix millions de personnes, dont six millions de Juifs et le reste appartenant à des groupes considérés comme ennemis du Troisième Reich allemand : tziganes, membres de ce que l'on appelle aujourd'hui le collectif LGTBI, témoins de Jéhovah, "asociaux" et opposants politiques. En outre, parmi les opposants politiques au nazisme figurent les républicains espagnols, exilés en France après la victoire de l'armée franquiste dans la Guerre civile. L'histoire des Juifs et des Républicains espagnols s'est croisée dans les camps de concentration nazis, où ils ont emprunté un chemin parallèle sous l'oppression à laquelle ils étaient soumis. Ce petit aspect de cette histoire est visible au Centro Sefarad-Israel, où l'on peut voir les témoignages écrits et graphiques de plus de 7 000 Espagnols et 170 000 Juifs qui sont passés par le camp de concentration de Mauthausen, un complexe de 40 installations dans les environs de Linz, destiné à l'exploitation et à l'extermination de ses prisonniers.
Rien qu'entre janvier et février 1939, un demi-million de personnes ont franchi les Pyrénées, la plupart venant de Catalogne. Le gouvernement français a improvisé leur accueil, poussant beaucoup d'entre eux à retourner en Espagne. Beaucoup d'autres ont pu profiter de l'hospitalité de pays tiers, mais plusieurs milliers ont réussi à rester en France. Certains d'entre eux ont été utilisés comme chair à canon sur la ligne de front lorsque l'armée allemande a envahi la France dans son imparable "Blitzkrieg". Enrôlés dans la Légion étrangère, les régiments de marche volontaires ou les compagnies de travailleurs étrangers, 80 000 Espagnols ont rejoint ces organisations.
Le fait que l'exode des Espagnols vers l'exil ait été largement canalisé par la Catalogne et que beaucoup de ceux qui ont fui étaient des Catalans a créé des liens particuliers entre les Espagnols qui ont souffert et sont morts à Mauthausen et les Juifs internés dans le camp avec pour objectif prioritaire de les faire disparaître de la surface de la terre. Le Catalan Francesc Boix, connu comme le photographe de Mauthausen, est chargé de préserver les négatifs des photos que lui-même, Antonio García et José Cereceda ont prises de la vie quotidienne dans le camp, et que les Allemands ont tenté de faire disparaître pour que les Alliés ne trouvent pas de preuves du génocide. Ces photos, ainsi que la déclaration de Boix lui-même, ont servi de preuves accablantes contre les dirigeants nazis lors des procès de Nuremberg et de Dachau, qui se sont tenus en 1945 et 1946.
L'un des fruits de ces liens a été le jumelage en 1998 entre les villes de Barcelone et de Tel Aviv. Dans la capitale catalane, la mairesse actuelle, Ada Colau, promeut la rupture de cette union sous couvert d'accuser l'État d'Israël d'avoir mis en place un régime d'"apartheid", un boycott qui passe aussi par l'incitation à rompre les relations avec Israël.
La Fédération des communautés juives d'Espagne (FCJE) qualifie d'"alarmant" le slogan de la campagne de boycott, "Barcelona amb l'apartheid no", et appelle l'ensemble du conseil municipal de Barcelone, comme ses prédécesseurs, à permettre à la ville de continuer à construire des ponts d'harmonie et à éviter de promouvoir un discours de rejet et d'isolement.
Le FCJE rappelle à Colau que les sociétés de Barcelone et de Tel Aviv sont toutes deux ouvertes et accueillantes ; des leaders reconnus dans de nombreux domaines tels que l'organisation de congrès de haute technologie ; des aimants pour attirer les investissements, les start-ups et le tourisme ; des découvreurs d'art et de culture ; des défenseurs des droits LGBT et un port accueillant pour tous. Un rappel plus que subtil que la tentative de Barcelone de retracer l'histoire et de promouvoir une condamnation d'Israël ne serait pas sans conséquences.