Mémoire et vérité pour la réconciliation franco-algérienne

Il reste à peine une année pour commémorer le 60e anniversaire des accords d'Évian (1962), qui ont mis un terme définitif à la terrible et sanglante guerre d'indépendance de l'Algérie, et dont les blessures continuent de se cicatriser aujourd'hui. Le président français Emmanuel Macron se lance dans une nouvelle tentative de les guérir, conscient que l'absence d'une réconciliation définitive entre Alger et son ancienne métropole empêche le développement des nombreuses potentialités d'une coopération qui serait très fructueuse si l'amertume des vieux griefs ne restait pas en arrière-plan.
Après les premières tentatives avortées des présidents Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy de réconcilier les "mémoires historiques" des deux pays, Emmanuel Macron a confié à l'historien Benjamin Stora en juillet dernier la mission d'élaborer "la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie", sans préjugés ni pressions.
Né dans la ville de Constantine en 1950, Stora est considéré comme l'un des grands spécialistes de l'histoire algérienne, et plus particulièrement de la guerre qui, entre 1954 et 1962, a déchiré la société métropolitaine et les Français et Algériens du plus grand département français d'outre-mer de l'époque. Sept mois après avoir accepté la mission, Stora vient de remettre à Macron ses conclusions et recommandations, dont la première est la reconnaissance des faits historiques, c'est-à-dire les exactions, les tortures systématiques et les disparitions forcées de combattants de l'indépendance reconnus et même de simples suspects.
Stora évite consciemment d'inclure l'éternelle demande algérienne de repentir de la part de la France, ce à quoi se sont toujours opposés les deux millions de pieds-noirs (Français nés et élevés en Algérie, et qui n'ont même jamais visité la France métropolitaine), qui ont dû quitter pratiquement avec leurs vêtements sur le dos un pays qu'ils avaient toujours tenu dans leur cœur parce qu'ils le considéraient comme leur petite patrie. L'historien ne s'arrête pas à la simple culpabilité présumée de ces Français, il recommande également de demander à l'Algérie d'élucider, et donc d'admettre, les massacres des Européens, notamment celui perpétré dans la région d'Oran.
On estime que près de soixante ans après la fin de la guerre, il y a encore quelque sept millions de "survivants", si l'on compte les pieds-noirs, les harkis (Algériens qui ont collaboré avec les Français et qui ont ensuite été abandonnés à leur triste sort) et les soldats vétérans de remplacement, jetés dans un conflit qui, contrairement aux classiques de l'époque, a été mené sur la base de la guérilla, du sabotage, des enlèvements et des attaques et des bombardements massifs et aveugles.
En plus de tempérer l'amertume des souvenirs individualisés, Stora fait allusion aux deux grands macro-questions qui, selon lui, doivent être résolues en accord avec l'Algérie. La première est l'ouverture des archives militaires correspondant à cette période, dans lesquelles on présume que seront documentées toutes les opérations secrètes ou cachées menées par les redoutables parachutistes gaulois, ainsi que les justifications ou arguments sur lesquels elles étaient basées et soutenues. C'est une demande constante de tous les présidents algériens, à laquelle les forces armées françaises se sont toujours opposées, même avec beaucoup de véhémence.
La seconde revendication correspond à l'héritage radioactif des essais nucléaires français au Sahara. Même sous son entière souveraineté, Paris a effectué plusieurs tests sur le site d'essai de Reggane, à près de 1 700 kilomètres au sud d'Alger. D'un an avant l'indépendance jusqu'à quatre ans après son octroi, la France est passée des essais en plein air aux essais souterrains dans des installations construites sous le désert à In-Ekker. Bien qu'aucune référence explicite n'ait été faite à l'expérimentation des premières bombes atomiques françaises, les accords d'Evian ont accordé l'autorisation d'utiliser ces installations pendant cinq années supplémentaires. Des enquêtes ultérieures suggèrent que la présence militaire française, après le démantèlement des installations de Reggane, d'In-Ekker et du complexe Colomb-Bechar-Hammaguir, a été étendue à la base B-2 de Namous pour les essais d'armes chimiques, grâce à un accord secret avec le président Houari Boumédiène, selon les révélations du général algérien Rachid Benyelles, cité dans Le Monde par Fréderic Bobin et Dorothée Myriam Kellou.
Comme pour les autres puissances nucléaires apparues après la Seconde Guerre mondiale, les essais français en Algérie et en Polynésie ont fait des victimes de la radioactivité. Afin de les indemniser, Paris a créé en 2010 le Comité pour l'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN). Depuis lors, cet organisme a reçu un total de 1 739 demandes individuelles, dont 52 émanant de citoyens algériens. Elle a accordé 545 récompenses, mais n'a reconnu qu'un seul demandeur d'Algérie comme victime. C'est ce rejet présumé des victimes algériennes des essais atomiques français qui a conduit à l'exacerbation des esprits sur cette rive sud de la Méditerranée, sous l'impulsion de scientifiques comme Amar Mansouri, qui n'hésite pas à qualifier les essais de "crimes nucléaires".
C'est l'une des parties les plus sensibles du conflit historique franco-algérien. Comme le suggère Stora dans son rapport au président Macron, il est essentiel de créer une commission "Mémoire et Vérité", composée de dirigeants et de membres de la société civile des deux pays. Ils seraient chargés de l'immense tâche de réconcilier les mémoires des deux parties, une fois les faits exposés dans toute leur crudité. Dans le strict respect de l'histoire, ces faits ne peuvent être changés, mais la perception des nouvelles générations, prisonnières d'une histoire intéressée, souvent déformée, manipulée et manipulée pour des raisons électorales dans les deux pays, le peut.
Il y a probablement encore beaucoup de pus dans les blessures causées par cette guerre, mais il n'est pas inexorable qu'il sera impossible de les guérir et de les cautériser, sinon cela empêchera les Algériens et les Français d'aujourd'hui et de demain de vivre sans méfiance ni réticence et de travailler ensemble pour un Maghreb et une Méditerranée meilleurs et plus prospères.