
Pour la première fois dans l'histoire du football mondial, un championnat non européen figure parmi ceux qui dépensent le plus en matière de transferts. Il s'agit de la Pro-League saoudienne qui, outre le Portugais Cristiano Ronaldo, star incontestée d'Al-Nassr, s'est offert les services des Français Karim Benzema et N'Golo Kanté, tous deux recrutés à Al-Ittihad, et du Brésilien Neymar da Silva, star d'Al-Hilal, à la tête d'une longue liste de stars et de satellites destinés à faire briller leurs équipes respectives sur la scène internationale. Il a également recruté un entraîneur anglais de renom, Steven Gerrard, pour le club historique de Damman, Al-Ettifaq, premier club saoudien à avoir remporté la Ligue des champions arabe en 1984 et la Coupe des champions du Golfe.
Les chiffres sont grandioses et vertigineux : 200 millions par saison pour Cristiano ; un contrat de 588 millions pour Benzema pour trois ans, qui seront sûrement inoubliables pour lui, et ainsi de suite jusqu'à près de 1000 millions pour faire du championnat saoudien, sinon le plus attractif du monde, du moins le seul capable de faire plier les volontés les plus fortes. Cette année, seule l'idole argentine Leo Messi leur a résisté, refusant les 360 millions que lui proposait Al-Ittihad de Jeddah, préférant respirer l'air américain et le potentiel d'investissement de Miami.
Cette politique n'est pas strictement sportive. Elle s'inscrit dans une stratégie politique élaborée par le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed Bin Salman (MBS), baptisée Vision 2030, qui vise essentiellement à doter le royaume du désert d'un soft power robuste, ainsi qu'à laisser place à tous les rêves que le football peut procurer à une population dont les deux tiers ont moins de 35 ans.
Riyad, qui a pris bonne note de l'impact en termes de notoriété et d'image de la Coupe du monde au Qatar, aspire à accueillir le même événement en 2034 mais, contrairement à l'émirat voisin, avec un football déjà bien établi et reconnu tant au niveau national qu'international. L'Arabie dispose déjà d'une vaste infrastructure de stades, dont l'accès n'est d'ailleurs pas interdit aux femmes.
Conscient que pour récolter de bons et abondants fruits, il faut d'abord investir, MBS encourage les investissements gigantesques, qui comprennent non seulement cette liste de signatures mais aussi d'autres aspects collatéraux tels que la tenue d'autres compétitions nationales sur le sol saoudien, comme la Super Coupe d'Espagne, ou l'achat de clubs, comme dans le cas de Newcastle en Angleterre.
Bien qu'il soit le sport le plus populaire au monde, le football n'est pas le seul sport auquel MBS s'est adonné. Le Grand Prix de F1 d'Arabie saoudite est déjà totalement intégré au circuit, où le Néerlandais Max Verstappen et sa voiture aux couleurs de Red Bull sont les rois incontestés.
L'Arabie a également brisé le monopole de la PGA américaine sur un autre grand sport d'élite, le golf, il y a tout juste trois ans, en créant le LIV Golf Tour, vers lequel ont émigré de nombreuses grandes figures comme les Américains Dustin Johnson, Phil Mickelson, Cameron Smith et Bubba Watson, ou les Espagnols Sergio García et Pablo Larrazábal. En 2022, il se trouve qu'à la même date où Jon Rahm a empoché 250 000 euros pour avoir remporté l'Open d'Espagne, un joueur madrilène presque inconnu, Eugenio López Chacarra, a empoché 4,88 millions d'euros pour avoir remporté l'épreuve du Saudi Tour à Bangkok. Cette année, la PGA, autrefois toute puissante, qui avait prévu de renverser la LIV, a dû s'asseoir et négocier avec la LIV pour convenir d'une nouvelle organisation qui intègre les deux circuits, avec de nombreux détails encore à régler.
Dans cette stratégie globale de MBS, il y a aussi un autre horizon : celui de diversifier au maximum les sources de revenus, conscient que le pétrole s'épuisera un jour, alors que dans le même temps l'Arabie ne renonce ni à son leadership sur le monde arabe, ni à son rôle d'acteur clé de la géopolitique internationale. Et dans ce puzzle, outre les capacités militaires, il est de la plus haute importance de se doter du soft power que constituent la culture et le sport, de plus en plus puissants et globaux.