Un pays menacé par une épée de Damoclès

Michel Barnier, Premier ministre français - AFP/ STEPHANE DE SAKUTIN
L'évocation constante du général Charles de Gaulle en France ces jours-ci est pour le moins surprenante. Le fondateur de la Vème République semblait déjà appartenir exclusivement à l'histoire lorsqu'il réapparaît dans les débats, les analyses et les controverses politiques de la seule puissance nucléaire de l'Union européenne, maintenant que le Royaume-Uni s'est exclu de l'Union européenne

La raison de cette résurgence de la pensée gaulliste est la comparaison de l'état actuel de la France avec celui du pays pendant la convulsive Quatrième République (1946-1958). A cette époque, après l'incontestable mérite d'avoir transformé en puissance victorieuse une France précédemment livrée à l'Allemagne par le maréchal Pétain, le désordre des luttes internes aux partis avait conduit la nation au bord de l'effondrement. Appelé par acclamation à mettre fin à la tourmente, De Gaulle réclame une nouvelle constitution à sa mesure, afin de pouvoir adopter les mesures draconiennes qui s'imposent. C'est ainsi qu'il a opté pour une réforme économique brutale qui a donné naissance au franc fort, une surveillance impitoyable des dépenses et, bien sûr, une augmentation non moins sévère des impôts, avec lesquels il allait financer l'énorme transformation de la France d'un pays éminemment agricole et rural en l'un des pays les plus avancés du monde sur le plan technologique. 

Michel Barnier, l'actuel Premier ministre français, n'a pas les immenses pouvoirs accordés à de Gaulle, à commencer par le fait qu'il se situe un cran en dessous du président Emmanuel Macron, dont le pouvoir est fortement diminué après les revers électoraux subis par les partis qui le soutiennent. Mais Barnier n'en est pas moins la personne qui incarne la mission de redresser une France qui se méfie des marchés boursiers, avec un déficit public de plus de 6 %, une dette de plus de trois mille milliards d'euros et une prime de risque supérieure à celle de l'Espagne ou du Portugal, par exemple. Tout cela a conduit Barnier, lors de la présentation du budget, à décrire la situation comme celle d'« un pays menacé par une épée de Damoclès ». 

La « fête » dépensière de Macron pendant le mandat et demi qu'il a déjà eu à l'Elysée est déjà insupportable, si bien que Barnier, tout en tordant le cou à la vérité en disant qu'« il n'impose pas l'austérité », a établi des comptes dans lesquels retrouver un crédit international signifie trouver 60.000 millions d'euros à tout casser. Ou, en d'autres termes, appliquer des réductions de dépenses publiques de 40 milliards d'euros d'un côté, et de l'autre, trouver 20 milliards d'euros. Comme à l'accoutumée, il est fait allusion au fait qu'une grande partie de ces derniers proviendra d'une augmentation des impôts sur les plus grandes entreprises du pays - il y en a environ 300 - mais cela ne suffira pas, et il faudra donc recourir, comme c'est aussi désormais une tradition inébranlable, à la classe moyenne, qui souffre depuis longtemps. 

Barnier entend stopper l'hémorragie qui a mis la France dans le collimateur de la Commission européenne pour déficit excessif, mais on ne trouve dans son projet de loi de finances 2025 aucune trace des réformes réclamées et qui ne sont jamais mises en œuvre face à la puissance déstabilisatrice de forces syndicales ancrées dans une vision du monde manifestement dépassée, mais alignées sur une extrême gauche rongée par l'obsolescence. 

Ces budgets ne verront le jour que si le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen ne s'y oppose pas, tandis que l'ultra-gauche du Nouveau front populaire (NFP) continue d'explorer des stratégies pour faire tomber le gouvernement, sans exclure un renversement du président Macron, surtout après avoir déjà tenté une première motion de censure et renouvelé l'envie d'en entreprendre une seconde qui conduirait à de nouvelles élections législatives et présidentielles, et selon toute vraisemblance à une nouvelle Constitution. 

L'épée de Damoclès à laquelle Barnier lui-même semble faire allusion est qu'en plus des bouleversements économiques et financiers du pays, encore aggravés par l'impact des guerres actuelles en Ukraine et au Moyen-Orient, la France deviendra aussi ingouvernable que sous la Quatrième République. Cette fois-ci, contrairement à l'époque, aucune personnalité providentielle n'est en vue pour mettre fin au bourbier.