Tomber dans la tentation totalitaire

L'impulsion totalitaire se niche dans les recoins les plus reculés de tout autocrate et, si quelque chose arrête son incontrôlable envie de s'ériger en seigneur des vies et des biens, profitant de toute urgence extraordinaire, ce sont les contre-pouvoirs qui s'opposent à lui dans tout système véritablement démocratique.
Le premier dirigeant de l'Union européenne à céder à cette tentation totalitaire a été le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, qui a reçu les pleins pouvoirs de son Parlement pour une période indéterminée. Pour justifier sa demande, M. Orban a affirmé que l'urgence nationale causée par la pandémie COVID-19 était un problème, c'est-à-dire le même argument que celui utilisé par d'autres dirigeants européens - Pedro Sánchez, par exemple - bien que le dirigeant hongrois n'ait pas fixé de limite de temps pour la jouissance de ces pouvoirs extraordinaires et aucune date d'expiration. Cela semble suivre la voie du président chinois Xi Jinping, qui a profité de la pandémie pour généraliser les systèmes de téléinformatique pour la surveillance et le contrôle des masses, une voie que le président russe Vladimir Poutine emprunte également.
Parmi les pouvoirs spéciaux dont jouit Viktor Orban depuis le 30 mars, il y a bien sûr l'attention particulière accordée aux médias, de sorte que quiconque publie des « nouvelles qui provoquent la panique », expression typique de tout régime dictatorial dont le premier souci est d'étouffer dans l'œuf toute critique du leader et de son régime, peut être condamné à une peine allant jusqu'à cinq ans de prison.
Depuis un certain temps déjà, le dirigeant hongrois est à la limite, voire viole ouvertement, les valeurs essentielles qui constituent le fondement de l'Union européenne, mais dans ce cas-ci, il a pris une mesure qui le met ouvertement en porte-à-faux. C'est tellement évident que 13 pays de l'UE, avec à leur tête l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne, mais aussi la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Finlande, la Suède, le Danemark, le Portugal, l'Irlande et la Grèce, ont publié mercredi une déclaration commune dans laquelle ils expriment leur inquiétude face aux mesures exceptionnelles prises par Budapest, tout en soutenant la décision d'Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, « d'examiner les mesures d'urgence prises par les 27 États membres de l'UE contre le coronavirus, afin de garantir que les droits fondamentaux ne soient pas violés ».
La grande surprise ne réside pas dans le soutien des treize pays signataires, mais dans les partenaires de l'UE qui n'ont pas signé, en particulier les trois alliés de la Hongrie dans le groupe de Visegrad, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie, et les trois pays baltes, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Il ne s'agit pas d'une fracture mineure. L'acceptation implicite par ces pays, anciens satellites de l'Union soviétique, que la sécurité prime sur la liberté et fait même disparaître la liberté, est non seulement un retour en arrière brutal, mais aussi un coup dévastateur pour l'Union européenne elle-même.
Outre cette déclaration, en cette période exceptionnelle, il est urgent de faire plus qu'un simple rappel à l'ordre pour la Hongrie et, soit dit en passant, pour tous ceux qui ne seraient pas assez fous pour franchir la ligne des états d'alarme et profiter de la confusion pour entrer dans l'exception incontrôlée et excessive. Dans un premier temps, il semble évident que la suspension du Fidesz, le parti d'Orban, du Parti populaire européen (PPP) ne suffit pas. Son président, le Polonais Donald Tusk, appelle ouvertement à son expulsion : « La mise en place d'un état d'urgence permanent est politiquement dangereuse et moralement inacceptable ». Pour la même raison, l'UE ne devrait pas se limiter à des critiques plus que justifiées. La violation répétée des valeurs qui la sous-tendent par tout membre devrait donner lieu à des procédures plus énergiques.
L'effondrement de l'Union européenne fait déjà l'objet de suffisamment d'attaques extérieures pour que sa démolition s'accélère, permettant aux pulsions totalitaires internes des dictateurs accroupis de s'imposer.