Dans une lettre ouverte publiée dans Le Monde, le syndicat appelle Tebboune à mettre fin à la censure et à libérer les journalistes emprisonnés

Les journalistes s'insurgent contre les arrestations de Tebboune

PHOTO/Russian Foreign Ministry via REUTERS - Abdelmadjid Tebboune
photo_camera PHOTO/Ministère russe des Affaires étrangères via REUTERS - Abdelmadjid Tebboune

"L'Algérie est une grande cellule qui dévore les journalistes critiques", peut-on lire dans la lettre. Face à la censure permanente, aux calomnies, aux insultes et aux arrestations que subissent les journalistes dans leur ensemble, les emblèmes de la profession en France ont dit que ça suffit. Les signataires ont été clairs : "La transformation progressive de l'Algérie en un grand donjon qui dévore les journalistes critiques et toutes les voix qui ne sont pas loyales à l'autorité".

Le communiqué a été signé par le linguiste américain Noam Chomsky, le philosophe français Etienne Balibar, l'universitaire et membre des réseaux de soutien du Front de libération algérien pendant la guerre d'indépendance Joyce Bleu, le romancier libanais Elias Khoury, le poète marocain Abdellatif Laabi et le philosophe tunisien Youssef Siddiq, la lauréate du prix Nobel Annie Ernault, le cinéaste britannique Ken Loach, l'historien camerounais Akhil Mbembe et la romancière indienne Arundhati Roy.

"L'Algérie est plus qu'un lieu, c'est une idée. La notion de libération obstinée inspire encore l'espoir dans le cœur de tous ceux qui luttent contre l'oppression soixante ans après l'indépendance. Aujourd'hui, ce grand pays se referme comme un immense piège sur les hommes politiques, les opposants et tous ceux qui osent rêver d'un État de droit concret", affirment-ils.

AFP/RYAD KRAMDI - Un grupo de manifestantes desfila por las calles de Argel
AFP/RYAD KRAMDI - Un groupe de manifestants défile dans les rues d'Alger

Le fait que l'Algérie soit un pays qui réprime et censure les informations concernant le gouvernement était un secret de polichinelle et les journalistes ont décidé de prendre les choses en main. Les données internationales leur sont favorables. L'Algérie est classée 136e sur 180 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. De plus, la perception de la corruption du gouvernement par la population algérienne est l'une des plus élevées au monde, ce qui rend les scandales politiques difficiles à cacher. L'Algérie est classée 116e sur 180 pays selon les indices de corruption de l'organisation Transparency International (TI).

La lettre indique que le journaliste Ihsane al-Qadi est détenu à la prison d'El Harrach à Alger depuis plus de cinq mois "pour la seule raison qu'il a refusé de se soumettre aux pressions des gouvernants qui cherchent à le transformer en faux journaliste". "Ihsan al-Qadi, directeur de Radio M et de la publication en ligne Maghreb Emergen, a été arrêté par six militaires dans la nuit du 24 décembre 2022.

Les services de sécurité l'ont emmené le lendemain pour le voir menotté, fouillé et fermer les médias qu'il a fondés. Ses collègues et amis l'ont vu sangloter alors qu'il était conduit comme un criminel sur les lieux du crime, une radio et un site d'information indépendants.

PHOTO/TWITTER (@ElkadiIhsane) - El periodista argelino Ihsane El-Kadi, detenido a manos de la Dirección General de Seguridad Interior de Argelia (DGSI)
PHOTO/TWITTER (@ElkadiIhsane) - Le journaliste algérien Ihsane El-Kadi, détenu par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI)

Reconnu coupable d'avoir reçu des fonds de parties étrangères dans l'intention de porter atteinte à la sécurité de l'État, Ihsan Al-Qadi a été condamné à cinq ans de prison, dont trois ans ferme, le 2 avril 2023, à l'issue d'une enquête entachée de violations flagrantes de la procédure pénale et du droit de la défense. La date de l'audience a été fixée au mois de juin 2023 pour qu'il accepte un éventuel appel.

Ihsan al-Qadi, 64 ans, est décrit dans la note comme "l'un des symboles de la presse indépendante en Algérie, au même titre que son père, Bachir Kadi, vétéran du mouvement de libération algérien", avec le commentaire qu'"il n'est pas étonnant que son obstination à défendre l'indépendance de sa profession ait été inculquée dans un terreau qui l'a installé sur le principe de la sacralisation de la liberté, contre le principe issu de l'histoire de la lutte du peuple algérien".

"Ihsan al-Qadi est aujourd'hui accusé d'avoir trahi son pays, mais lorsque nous examinons son cas depuis notre lointaine position, nous ne voyons qu'un journaliste indépendant dont la défense de sa liberté est enracinée dans son amour pour son pays", poursuit la lettre. Les signataires concluent : "Vous pouvez, Monsieur le Président Dot, libérer Ihsan al-Qadi et tous les prisonniers d'opinion et journalistes, utilisez donc ce que vos autorités vous autorisent à faire, par dévouement au combat des Algériens pour la justice et la liberté".

Outre le juge, de nombreux blogueurs et journalistes sont poursuivis et emprisonnés pour des raisons de sécurité. Abdelmajid Tebboune, président de l'Algérie, a déclaré que les évaluations de la liberté de la presse des ONG étaient "sélectives et basées sur des fabrications en dehors d'une réunion avec les représentants de la presse algérienne au début du mois de mai".

AFP/RYAD KRAMDI - El presidente de Argelia, Abdelmadjid Tebboune
AFP/RYAD KRAMDI - El presidente de Argelia, Abdelmadjid Tebboune

Le président algérien a déclaré, à l'issue d'une rencontre avec des journalistes lors d'une célébration en l'honneur de la Journée mondiale de la liberté de la presse, que "mettre l'accent sur l'Algérie, qui n'est pas un pays de libertés, de presse ou autres, est une calomnie à l'égard de l'Algérie". Selon Al-Arab, la croyance dominante parmi les responsables algériens est que la nation fait l'objet d'une "conspiration internationale impliquant une vague de flux médiatiques étrangers visant à démoraliser les Algériens et à saper la crédibilité des institutions étatiques les plus sensibles".

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