La question du Sahara occidental : un problème de lutte de pouvoir dans la région, pas de décolonisation

Pourquoi l'Algérie a-t-elle créé la question du Sahara occidental ? Quel est l'objectif réel de son soutien au Front Polisario et à la RASD (République arabe sahraouie démocratique) ?
Un niño iza la bandera de la República Árabe Saharaui Democrática (RASD) durante las celebraciones del 47 aniversario de la declaración de unidad nacional del pueblo saharaui, en el campamento de refugiados de Aousserd, a las afueras de la ciudad de Tinduf, en el suroeste de Argelia, el 12 de octubre de 2022 - PHOTO/RYAD KRAMDI / AFP
Un enfant brandit le drapeau de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) lors des célébrations marquant le 47e anniversaire de la déclaration d'unité nationale du peuple sahraoui, dans le camp de réfugiés d'Aousserd, à la périphérie de la ville de Tindouf, dans le sud-ouest de l'Algérie, le 12 octobre 2022 - PHOTO/RYAD KRAMDI / AFP
  1. L'histoire d'une occupation mal racontée
  2. Le peuple sans voix
  3. L'ombre de la guerre froide et la danse des intérêts
  4. La marque de la reconnaissance et la voix de la diplomatie
  5. Le mensonge de l'indépendance

Le différend sur le Sahara occidental est un sujet de controverse et de conflit depuis des décennies, l'Algérie jouant un rôle clé. Cependant, il est nécessaire d'examiner les motifs et les intérêts qui sous-tendent la position de l'Algérie dans ce conflit. 

Tout d'abord, l'Algérie soutient fermement et régulièrement le Front Polisario, un groupe armé financé par l'État algérien qui lutte pour l'indépendance du Sahara occidental en opposition au Maroc. Mais pourquoi l'Algérie est-elle si attachée à cet objectif ? Le conflit du Sahara occidental n'est qu'un élément d'une longue histoire de conflits et de rivalités entre voisins au Maghreb. 

Il est essentiel de comprendre les stratégies géopolitiques et les politiques étrangères des pays d'Afrique du Nord pour comprendre la dynamique de la région. Bien que le conflit ait duré plus d'un demi-siècle, la question du Sahara occidental reste une question brûlante et compliquée dans la région.

Brahim Ghali, líder del Frente Polisario - AP/FATEH GUIDOUM
Brahim Ghali, chef du Front Polisario - AP/FATEH GUIDOUM

Dans ce contexte, les propos d'Emmanuel Macron, président de la France, ont révolutionné la situation, puisqu'il a exprimé sa solidarité avec le Maroc. "Notre soutien au plan d'autonomie proposé par le Maroc en 2007 est clair et constant", a déclaré Macron, ajoutant que ce plan "est aujourd'hui la seule base d'une solution politique juste, durable et négociée, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies". 

L'histoire d'une occupation mal racontée

En 1975, l'Espagne a quitté le Sahara occidental, et le Maroc et la Mauritanie ont envoyé des troupes pour protéger le territoire afin de maintenir la stabilité dans la région. Cependant, la partie algérienne a créé le Front Polisario, un groupe armé soutenu par les différents régimes qui ont gouverné l'Algérie, en particulier au cours du 21e siècle, d'abord sous Abdelaziz Bouteflika, l'ancien président de l'Algérie jusqu'en 2019, et Abdelmadjid Tebboune, l'actuel président. 

Dans les années 2000, Rabat a mis en œuvre une politique de développement et de modernisation au Sahara occidental, qui a conduit à une grande amélioration de la qualité de vie des habitants du territoire. 

El expresidente argelino Abdelaziz Bouteflika antes de su reunión en Argel el 11 de septiembre de 2012 - AFP PHOTO/FAROUK BATICHE 
L'ancien président algérien Abdelaziz Bouteflika avant leur rencontre à Alger le 11 septembre 2012 - AFP PHOTO/FAROUK BATICHE

Cependant, le Front Polisario, ou l'Algérie, a continué à soutenir une lutte armée et la création d'un État indépendant, ce qui menace la sécurité et la stabilité non seulement du Maroc, que l'Algérie considère comme un rival, mais aussi du peuple sahraoui qu'elle prétend vouloir défendre. 

C'est du moins ce qu'a laissé entendre l'ancien président algérien lors de plusieurs de ses discours, comme celui prononcé à l'occasion du 26e anniversaire de la proclamation de la pseudo-RASD, le 26 février 2002 : "L'Algérie (...) réitère son soutien à votre cause et vous assure de son plein appui à une solution juste et durable qui garantisse le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination, loin de toute contrainte politique, militaire ou administrative". Ou encore celle qu'il a faite quelques jours plus tard en affirmant que "la lutte du peuple sahraoui aboutira à la victoire (...) Fidèle à son histoire et à ses origines, l'Algérie ne peut accepter le fait accompli, quelles qu'en soient la forme et l'origine". 

<p>El presidente de Argelia, Abdelmadjid Tebboune - AFP/LUDOVIC MARIN</p>
Le Président de l'Algérie, Abdelmadjid Tebboune - AFP/LUDOVIC MARIN

Cependant, les problèmes politiques de l'Algérie remontent à 1962, lorsque le pays a été divisé en deux factions après l'indépendance : le groupe d'Alger et le groupe de Tlemcen. Le second groupe, dirigé par Ahmed Ben Bella et Houari Boumediène, a réussi à prendre le pouvoir et à instaurer un régime autoritaire. La prise du pouvoir par le "groupe de Tlemcen" signifie la fin de la démocratie en Algérie. 

En 1963, l'Algérie, sous la direction d'Ahmed Ben Bella, a commencé à soutenir les mouvements séparatistes du Sahara occidental qui luttaient pour l'indépendance vis-à-vis du Maroc. 

Papeleta del «SÍ» en el referéndum argelino de autodeterminación. 1 de julio de 1962 - PHOTO/ARCHIVO
Vote « OUI » au référendum algérien sur l'autodétermination. 1er juillet 1962 - PHOTO/ARCHIVO

L'Algérie voyait dans la création de l'État sahraoui une occasion de contrer l'influence marocaine dans la région et d'étendre sa propre influence en Méditerranée et dans l'Atlantique. La question du Sahara occidental est ainsi devenue l'objet d'un différend entre l'Algérie et le Maroc qui perdure encore aujourd'hui. 

Le peuple sans voix

Le Front Polisario et l'Algérie ont instrumentalisé la cause du peuple sahraoui pour légitimer leurs propres agendas politiques et géostratégiques, en profitant de la sympathie internationale pour les Sahraouis. L'ironie est que, sous la bannière de l'autodétermination, l'Algérie et le Polisario ont soumis le peuple sahraoui à une situation de dépendance et de stagnation, tout en promouvant un conflit qui, en fin de compte, sert davantage les intérêts de l'Algérie que ceux du peuple sahraoui lui-même. 

Campo de refugiados saharauis de Smara, en Tinduf - REUTERS/BORJA SUÁREZ
Camp de réfugiés sahraouis de Smara à Tindouf - REUTERS/BORJA SUÁREZ

Les organisations internationales, en s'alignant sur ce récit sans évaluation critique, ont contribué à perpétuer une situation d'instabilité dans la région et à maintenir les Sahraouis dans une souffrance prolongée, utilisés comme des pions dans un jeu géopolitique plus large. L'intervention de l'Algérie dans ce conflit n'était pas un acte désintéressé de soutien à l'autodétermination, mais une manœuvre stratégique dans le contexte des tensions régionales avec le royaume marocain.

Sous couvert de défendre les droits de ces populations, les deux acteurs ont gagné la complicité des organisations internationales et des ONG. Cependant, ce récit soigneusement construit et promu a dans de nombreux cas servi à détourner l'attention des véritables intérêts en jeu pour la nation algérienne, un satellite russe, dans l'obtention d'un débouché sur l'océan Atlantique.

Protestas en El Aiún contra los ataques del Frente Polisario  -Twitter @ElMachij
Manifestations à El Ayoun contre les attaques du Front Polisario - PHOTO/X/ElMachij

L'ombre de la guerre froide et la danse des intérêts

L'Initiative Afrique Atlantique, qui comprend le Maroc, l'Algérie et d'autres États côtiers, a joué un rôle décisif dans l'équilibre mondial des pouvoirs. Toutefois, l'intervention soviétique dans les affaires intérieures de l'Algérie par le passé a eu des conséquences durables. Stratégiquement située au carrefour de l'Europe et de l'Afrique, l'Initiative Afrique Atlantique est devenue la cible privilégiée des puissances mondiales. 

REUTERS/EVELYN HOCKSTEIN - El secretario de Estado de EE.UU., Antony Blinken, se reúne con el ministro de Asuntos Exteriores de Marruecos, Nasser Bourita, en el Departamento de Estado de Washington, EE. UU., el 20 de marzo de 2023
Le secrétaire d'État américain Antony Blinken rencontre le ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita au département d'État à Washington, États-Unis, 20 mars 2023 - REUTERS/EVELYN HOCKSTEIN

Les États-Unis, en particulier, ont maintenu une forte présence dans la région, utilisant leurs bases militaires et leur poids économique pour protéger leurs intérêts. Le Maroc, en tant que membre clé de l'initiative atlantique en Afrique, entretient des relations chaleureuses avec les États-Unis, qui constituent la pierre angulaire de sa politique étrangère. L'Algérie, en revanche, a poursuivi une politique étrangère plus indépendante, s'opposant souvent aux puissances occidentales. 

L'ancienne Union soviétique, désireuse d'étendre son influence dans la région, a reconnu l'Algérie comme un partenaire précieux et lui a apporté un soutien économique et militaire important. Cette proximité a permis à l'Algérie de maintenir son indépendance et de résister aux pressions occidentales, en particulier pendant la guerre froide. 

El presidente ruso, Vladimir Putin, y su homólogo argelino, Abdelmadjid Tebboune, asisten a una ceremonia de firma luego de sus conversaciones en el Kremlin en Moscú, Rusia, el 15 de junio de 2023 - SPUTNIK/MIKHAIL METZEL vía REUTERS
Le président russe Vladimir Poutine et son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune assistent à une cérémonie de signature à la suite de leurs entretiens au Kremlin à Moscou, Russie, 15 juin 2023 - SPUTNIK/MIKHAIL METZEL vía REUTERS

L'alliance soviéto-algérienne a eu des conséquences importantes pour la région. L'Algérie est devenue un acteur clé du Mouvement des non-alignés et ses relations avec l'Union soviétique lui ont permis de jouer un rôle plus important dans les affaires régionales. Le soutien soviétique était assorti de conditions importantes et l'Algérie devait souvent faire passer les intérêts soviétiques avant les siens. 

La marque de la reconnaissance et la voix de la diplomatie

Suite à la lettre de Macron au roi du Maroc Mohammed VI, plus de 100 pays ont reconnu la propriété marocaine du Sahara comme la "seule solution viable" pour la résolution du conflit. Le soutien des pays est conforme aux résolutions de l'ONU visant à trouver une solution durable. 

En esta foto de archivo tomada el 12 de diciembre de 2020, David T. Fischer, embajador de Estados Unidos en el Reino de Marruecos, se encuentra ante un mapa de Marruecos autorizado por el Departamento de Estado de Estados Unidos que reconoce el territorio internacionalmente disputado del Sahara Occidental - PHOTO/AFP
Dans cette photo d'archive prise le 12 décembre 2020, David T. Fischer, ambassadeur des États-Unis au Royaume du Maroc, se tient devant une carte du Maroc autorisée par le Département d'État américain qui reconnaît le territoire internationalement contesté du Sahara occidental - PHOTO/AFP

En outre, l'Union européenne et la Ligue arabe ont exprimé leur soutien à la position marocaine, tandis que l'Organisation de l'unité africaine (OUA) a appelé à la mise en œuvre de la résolution 2440 du Conseil de sécurité de l'ONU, qui établit la propriété marocaine du Sahara comme base pour la résolution du conflit.

Ce n'est pas une coïncidence lorsque les pays qui ont reconnu la propriété marocaine du Sahara occidental comme la "seule solution viable" pour la résolution du conflit comprennent l'Argentine, l'Australie, l'Autriche, la Belgique, le Brésil, la Bulgarie, le Canada, le Chili, les États-Unis, la Croatie, le Danemark, l'Espagne, la France, la Grèce, l'Italie, le Japon, le Luxembourg, la Malaisie, le Mexique, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal et les États-Unis. 

Marroquíes se manifiestan en apoyo de su rey cerca de un paso fronterizo entre Marruecos y Mauritania en Guerguerat, ubicado en el Sahara Occidental - AFP/FADEL SENNA
Des Marocains manifestent en faveur de leur roi près d'un poste frontière entre le Maroc et la Mauritanie à Guerguerat, au Sahara occidental - AFP/FADEL SENNA

Le mensonge de l'indépendance

La relation entre l'Algérie et le Front Polisario est un sujet qui a suscité beaucoup d'interrogations et de spéculations par le passé. Cependant, il est important d'analyser les motivations qui poussent l'Algérie à soutenir le Polisario et à entretenir une diplomatie dans les pays qui reconnaissent la République arabe sahraouie démocratique (RASD). S'agit-il d'une simple solidarité avec les Sahraouis ou y a-t-il d'autres intérêts en jeu ? 

El presidente de la autoproclamada República Árabe Saharaui Democrática, Brahi Ghali, asiste a la 37ª sesión ordinaria de la Asamblea de la Unión Africana (UA) en la sede de la UA en Adís Abeba el 17 de febrero de 2024 - AFP/MICHELE SPATARI
Le président de la République arabe sahraouie démocratique autoproclamée, Brahi Ghali, assiste à la 37e session ordinaire de l'Assemblée de l'Union africaine (UA) au siège de l'UA à Addis-Abeba, le 17 février 2024 - AFP/MICHELE SPATARI

Bernard Lugan, historien français considéré comme l'un des africanistes les plus renommés, pose ces questions et bien d'autres dans son analyse des relations entre l'Algérie et le Polisario. Pourquoi l'Algérie arme-t-elle et finance-t-elle le Polisario ? Pourquoi maintient-elle sa diplomatie dans les pays qui reconnaissent encore la RASD ? Pourquoi bloque-t-elle une solution à la question dite du Sahara occidental ? Quels sont ses objectifs ? S'agit-il d'une simple question de solidarité avec les Sahraouis ou d'autres intérêts sont-ils en jeu ? 

Mais quels sont les objectifs de l'Algérie dans la poursuite de cette politique ? S'agit-il seulement de faire pression sur le Maroc et d'obtenir des avantages dans la région, ou y a-t-il d'autres intérêts en jeu ? Est-il possible que l'Algérie utilise son soutien au Polisario comme un moyen d'accroître son influence dans la région et de consolider sa position en tant qu'acteur régional de premier plan ?

La réalité est que l'Algérie, embourbée dans une crise majeure avec des combats quotidiens pour un verre d'eau, n'est pas un partisan de la cause sahraouie, mais un acteur régional qui utilise son soutien au Polisario pour obtenir des avantages dans la région. Sa politique de soutien au Polisario est un moyen de maintenir son influence dans la région et de consolider sa position d'acteur régional majeur. Il est temps de s'arrêter et de réfléchir à la vérité qui se cache derrière la relation entre l'Algérie et le Polisario, et de ne pas accepter la version officielle de la solidarité avec le peuple sahraoui.