Conscience dirigée : comment vous devenez victime en croyant être informé

Lorsque la conscience est brisée, elle n'a pas besoin de chaînes ni de fers ; il suffit qu'elle soit privée de son langage, étrangère à elle-même, soumise au désir de ceux qui lui dictent ce qu'elle doit voir, entendre ou croire. Les médias, en particulier à l'ère des écrans lumineux, ne présentent pas des vérités, mais quelque chose qui y ressemble, ce que le contexte permet de diffuser et ce que le marché consent à promouvoir. Entre les deux, le récepteur cesse d'être témoin pour devenir spectateur, de libre pour devenir un outil malléable chaque fois que la guerre a besoin d'un public.
La récente guerre entre Israël et l'Iran – ou plus précisément, la guerre psychologique entre les deux – a démontré que la première bataille ne se livre ni dans le ciel ni sous terre, mais dans les esprits. Non seulement des missiles tombent, mais la vérité est également fragmentée, bombardée, lancée et recyclée dans des cuisines médiatiques sophistiquées dont l'objectif n'est pas seulement de vous convaincre, mais aussi de vous désamorcer. Vous devenir un spectateur effrayé, en colère, confus, qui n'a aucune certitude au-delà de ce que lui montrent les journaux télévisés.
Dans cette guerre médiatique, nous avons vu comment des mythes sont construits à partir d'incidents et comment la conscience du public arabe est reconfigurée à l'aide d'un langage binaire : soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous, soit vous soutenez la résistance, soit vous faites partie de l'axe du mal. L'important n'était pas ce qui s'était passé, mais la manière dont l'événement avait été raconté, comment il avait été adapté au public, comment les scènes avaient été mutilées et comment les fragments avaient été réassemblés pour devenir des épisodes héroïques ou catastrophiques selon les besoins émotionnels. Ce que nous voyons n'est pas ce qui s'est passé, mais ce que nous avons été autorisés à voir. Et c'est là que la conscience s'effondre, en perdant sa capacité de discernement et en renonçant à sa mission critique.
Selon la théorie de la « spirale du silence » de la chercheuse allemande Elisabeth Noelle-Neumann, les individus ont tendance à taire leurs opinions lorsqu'ils sentent qu'elles diffèrent du consensus dominant, soigneusement construit par les médias. En temps de guerre, la seule voix qui se fait entendre est celle de la chaîne la plus puissante, celle qui est capable de créer l'illusion du consensus. Les autres voix sont étouffées, les opinions divergentes sont marginalisées et le parti pris devient un état d'esprit que personne ne remet en question.
Du point de vue de la psychologie des médias, nous sommes confrontés à ce que l'on appelle le « conditionnement perceptif », où la réponse émotionnelle du récepteur est reprogrammée par la répétition d'images ayant la même charge affective : pleurs, ruines, hymnes, exclamations, titres qui consacrent les héros et les victimes. Ces outils ne sont pas innocents ; ils visent le système émotionnel du spectateur, le plaçant dans un état de réception continue de messages qu'il répète sans réfléchir.
Dans cet environnement, l'être humain ne se contente pas de recevoir l'information, il en devient le « résultat ». Son esprit, ses peurs, ses positions et même ses émotions cessent d'émaner de lui-même pour être conçues de l'extérieur. Comme le disait le philosophe et historien français Gustave Le Bon : « Le public ne pense pas, il réagit ». C'est pourquoi, lorsque la conscience est vaincue, la pensée est vaincue, et le vocabulaire disparaît de l'esprit comme la terre sous les pieds.
Prenez l'exemple d'Al Jazeera dans sa couverture du conflit entre l'Iran et Israël. Lorsque la base américaine d'Al-Udeid au Qatar a été attaquée, le silence a régné. Un silence lourd, qui ne condamne ni ne célèbre. Le langage a été étouffé. Car le discours médiatique précédemment chargé contre l'Iran n'a pas laissé beaucoup d'options à la plateforme lorsque le théâtre des opérations s'est déplacé sur son propre territoire. Et c'est là que se révèle la crise : non pas dans le bombardement, mais dans la contradiction structurelle entre ce que l'on veut dire et ce que l'on ne peut pas reconnaître.
Nous ne vivons pas seulement dans l'ère de la « post-vérité », mais aussi dans l'ère de la « post-signification », où les messages sont méticuleusement fabriqués non pas pour remplir les esprits, mais pour les vider. Le journalisme, dans sa dimension psychologique, est une gestion de l'attention, une redirection de la colère et un contrôle de la perception collective. Ce qui est dit à l'écran n'est qu'une partie du récit ; c'est ce qui n'est pas dit qui définit la nature réelle du conflit.
Quand on vous dit « l'Iran a bombardé », il ne s'agit pas seulement du fait en soi, mais de ce que vous allez en penser : qui allez-vous aimer ? Qui allez-vous détester ? Qui allez-vous blâmer ? Qui allez-vous élever au rang de héros ? Et qui allez-vous accuser de trahison ? C'est ce que font les médias : ils ne relatent pas l'événement, ils vous façonnent à travers l'événement.
L'effondrement de la conscience n'est pas instantané, c'est une accumulation silencieuse qui commence par une foi aveugle dans l'écran, passe par la répétition constante et se transforme en la conviction qu'il n'est pas nécessaire d'enquêter, de vérifier ou de poser des questions. Avec le temps, celui qui pose des questions est suspect, celui qui doute est un traître, et celui qui pense différemment est un ennemi de la patrie.
Et nous revenons à l'idée essentielle : « La conscience vaincue ne trouve pas ses mots lorsque la vérité frappe son cœur ». Car ces mots ne lui appartiennent plus. Ils lui ont été confisqués il y a longtemps, lorsqu'il a livré son esprit à des plateformes qui parlaient en son nom. La vérité, lorsqu'elle s'abat sur un esprit désarmé, ne laisse d'autre choix que le silence ou le regret, sans capacité d'analyse, car ses outils critiques ont été détruits, ses systèmes de perception dévastés par des vagues d'images, de phrases, de discours, de chants et de montages dramatiques.
En fin de compte, le véritable danger ne réside pas seulement dans la « désinformation médiatique », mais aussi dans « l'omission médiatique » : lorsque la moitié de la vérité est dite et que l'autre moitié est enterrée dans les archives du non-dit. C'est pourquoi la véritable bataille ne se livre pas uniquement sur le terrain physique, mais aussi dans l'esprit : dans la manière dont nous comprenons le monde et dans notre capacité à retrouver le langage qui fait de nous des êtres humains libres, et non de simples yeux qui regardent des écrans qui décident quand nous devons nous mettre en colère, nous taire ou applaudir.
Abdelhay Korret, journaliste et écrivain marocain