Les racines de la radicalisation à Oman
Il y a ce pays qui s'est longtemps présenté comme un modèle de coexistence entre les sectes religieuses. Bien que les autorités dirigeantes appartiennent à une secte particulière considérée comme minoritaire dans le tissu des sectes islamiques, les dirigeants de ce pays se considèrent comme un arbitre équitable entre tous, compte tenu de l'équilibre qu'ils exercent au sein de la composition sectaire du pays.
Dans le voisinage de ce pays, les événements ont conduit à l'éclatement d'une guerre civile qui a duré de nombreuses années. L'État s'est retrouvé, au moins en vertu de la géographie, partie prenante de ce conflit. Au fil du temps, et au gré des considérations qui le poussaient à favoriser un camp plutôt que l'autre, cet État a manifesté son soutien aux positions régionales de l'Iran et à son ambition d'exercer son hégémonie. La question de savoir s'il a adopté cette position sur la base d'une décision raisonnée ou s'il a été influencé par ce qui se passait à côté de chez lui est sujette à débat.
Après un certain temps, le pays est devenu une voie de passage pour les armes destinées au pays voisin en guerre. Certaines des parties à cette guerre civile ont trouvé une base dans ce pays à partir de laquelle elles ont parfois mené des négociations et, dans d'autres cas, se sont engagées dans des activités politiques et médiatiques.
De nouvelles crises régionales sont apparues par la suite, rendant la situation régionale encore plus complexe. Cela s'est répercuté sur les relations sectaires auparavant pacifiques, car on a commencé à entendre des plaintes concernant la domination d'une faction sectaire sur l'autre. L'État s'est aligné sur un régime iranien véhément. Ses médias et ses discours politiques se sont rapprochés de ceux du Hamas, des Frères musulmans et du Hezbollah soutenu par l'Iran. On a commencé à entendre des fatwas émanant de religieux affiliés au régime sur la nécessité de soutenir le Hamas et le Hezbollah. Le discours des médias s'est intensifié, favorisant la réceptivité du public au type de lexique religieux radical qu'il contenait. Dans un tel environnement, le sentiment extrémiste s'est développé tandis que le discours modéré s'est érodé. Au lieu de pointer leurs fusils sur leur ennemi supposé, à savoir Israël, les radicaux ont, comme on pouvait s'y attendre, ciblé avant tout la sécurité de leur propre pays.
Il y a encore une semaine, les paragraphes ci-dessus auraient décrit la situation difficile de la Syrie, avec son voisin irakien, l'influence iranienne, l'escalade régionale et la façon dont le régime laïc de Bachar el-Assad a été entraîné à devenir un allié apologétique de deux organisations islamistes, le Hamas (du moins avant 2011) et le Hezbollah.
Aujourd'hui, les paragraphes ci-dessus décrivent malheureusement bien ce qui se passe plutôt dans ce qui a été jusqu'à présent une rare oasis de paix et de tranquillité dans le monde arabe : le sultanat d'Oman.
Il y a plusieurs mois, j'ai écrit sur le danger du sentiment croissant en faveur du Hamas et des Houthis. Cet enthousiasme, qui s'accompagne de connotations religieuses, même si l'on s'efforce d'en retirer les couches religieuses, alimente un climat qui va au-delà de la simple expression de sympathie pour une cause juste comme celle des Palestiniens. Les politiciens et les services de sécurité du pays peuvent facilement manquer les signes qui leur permettraient de détecter comment un discours passionné peut engendrer un environnement réceptif à des idées plus radicales et plus extrêmes.
C'est ce qui s'est passé dans toutes les expériences passées liées à l'islam politique sunnite et chiite. Le sultanat d'Oman ne pouvait pas être une exception.
L'incident terroriste sectaire survenu à Mascate la semaine dernière a choqué tout le monde. De tous les pays du monde arabe et islamique, Oman semble être celui qui est le plus éloigné de voir le drapeau d'ISIS hissé et son programme terroriste sanglant mis en œuvre. La première impression des Omanais ordinaires après l'incident a été qu'il s'agissait d'un cas de terrorisme importé, car dans un pays connu pour son calme et sa tranquillité comme Oman, personne ne pouvait s'attendre à ce que les ressortissants commettent ce type de crime terroriste. La photo et la vidéo montrant les trois auteurs de l'attentat, ainsi que l'annonce par les agences de sécurité que les coupables étaient des Omanais, ont ensuite accentué le choc dans l'opinion publique.
Jusqu'à présent, Mascate a donné très peu de détails sur l'opération et ses auteurs. On ne sait pas grand-chose d'eux, si ce n'est qu'ils sont omanais. Aucun nom n'a été divulgué, ni aucune information sur le lieu d'où ils sont originaires. Les impératifs de sécurité et les contraintes de l'enquête peuvent expliquer la prudence des autorités. Mais Oman est un pays où les gens se connaissent. Il ne fait aucun doute que de nombreux habitants de Mascate, en supposant que les coupables soient des résidents de la capitale, connaissent les trois frères. Le secret n'est pas seulement lié à l'aspect sécuritaire de l'incident, mais aussi aux ramifications liées à leur identité, à leurs liens sociaux et tribaux, à leurs antécédents et à l'endroit où ils ont été recrutés dans les rangs d'ISIS. Les autorités doivent encore répondre à de nombreuses questions.
Ce qui devrait nous préoccuper dans l'immédiat, c'est de savoir comment cette cellule terroriste est née sur la terre de tolérance d'Oman. Il faut mettre de côté le facteur économique, car personne ne croit que les trois individus impliqués appartenaient à des classes sociales pauvres, qui auraient pu être attirées par la promesse de récompenses célestes après avoir vécu dans le plus grand dénuement. Cela s'est déjà produit dans le Golfe arabique, lorsque des enfants de familles financièrement aisées du Golfe ont afflué vers les zones de conflit après avoir subi un lavage de cerveau de la part de leurs recruteurs. Ces jeunes recrues radicalisées emportaient même avec elles de l'argent qu'elles donnaient pour soutenir leur projet djihadiste.
Oman est un pays de tolérance et de paix, où il n'y a pas de manifestations de conflits sectaires. Il y a parfois des frictions, comme nous l'avons vu à Buraimi ou à Salalah. Mais il s'agit de frictions liées à la volonté des sunnites de rappeler aux autorités en place, qui se considèrent comme des Ibadi, que les sunnites doivent être pris en compte lors des événements religieux et des fêtes. En aucun cas, un observateur omanais objectif ne peut dire que l'appartenance sectaire des autorités ibadites est en conflit avec les sunnites du pays. On peut en dire autant de la manière dont les sunnites et les ibadites traitent les chiites, qui représentent une minorité importante à Oman. Les Omanais appartiennent à de multiples sectes, mais ils ne sont pas sectaires.
Comment ISIS a-t-il pu s'implanter dans un pays aussi tolérant ? Il est possible d'éluder la question en attribuant l'incident à un complot d'un ou de plusieurs pays de la région, en raison de la position d'Oman sur la guerre de Gaza qui est en désaccord avec le reste des pays arabes du Golfe. Mais est-il dans l'intérêt des pays de la région, qui ont déjà souffert des crimes d'Al-Qaïda et d'ISIS, d'investir dans des conflits et des complots sectaires à Oman ?
Mais il faut aussi se demander : comment ISIS a-t-il trouvé l'environnement adéquat où planter une présence dans le sultanat, et où la cellule de Mascate a-t-elle reçu son entraînement pour pouvoir dissimuler cette présence, puis diriger ses frappes en ciblant les fidèles, et ensuite résister aux forces de sécurité et les tuer et les blesser ?
Il ne fait aucun doute que l'incubateur de radicalisation d'Oman est petit et qu'il en est encore à ses débuts. Il est légitime de se demander comment l'enthousiasme d'Oman pour une cause juste telle que la question palestinienne s'est retourné contre le bien-être du sultanat et a conduit à la germination de la graine empoisonnée d'ISIS. Mais cette situation n'est que trop familière lorsqu'il s'agit des doctrines de l'islam politique, qu'elles soient affiliées à l'extrémisme sunnite, comme les Frères musulmans, ou qu'elles découlent de l'héritage de Khomeini. Au début, la question palestinienne est présentée comme le motif, mais peu après, cette justification disparaît pour laisser place à l'objectif fondamental du projet de l'islam politique, à savoir le contrôle des richesses de la région au profit des Frères musulmans, de l'ISIS ou de projets de type khomeiniste.
Peut-être que le fait d'aborder la question uniquement sous l'angle de la sécurité n'empêchera pas la répétition de tels attentats, dans des circonstances et des conditions différentes.
Une réponse sécuritaire est nécessaire pour identifier les cellules clandestines et découvrir comment leurs membres ont pu se procurer des armes et d'autres biens. Il ne suffira pas de conclure qu'il s'agit d'une famille isolée et que l'incident terroriste est de portée limitée. Il est certain que celui qui a créé la cellule terroriste s'est appuyé sur la structure familiale pour mener à bien son complot dans un pays qui n'est pas très familier des organisations terroristes. Mais comme on l'a vu en Irak, en Syrie et dans d'autres pays, de telles organisations peuvent rapidement se répandre et élargir leur base de recrutement en s'appuyant sur un soutien enthousiaste à des causes telles que la question de Gaza.
Il est nécessaire de souligner que le terrorisme qui a frappé à Mascate a encore une portée limitée, que l'environnement d'incubation du sultanat est encore petit et naissant, et que les Omanais ont rejeté de telles herbes vénéneuses dans leur terre de tranquillité. Mais la protection intellectuelle de la société doit d'abord commencer par empêcher les surenchérisseurs et les fanatiques de rendre, consciemment ou inconsciemment, la jeunesse omanaise réceptive à la pensée extrémiste. Dans un pays dont le fondement est la tolérance, la diversité et l'acceptation des autres, tout investissement dans le fanatisme en vue d'atteindre les objectifs de l'islam politique constituera rapidement un danger imminent pour sa sécurité et sa paix. L'attentat de Mascate doit être le premier et le dernier de ce type, afin que toute tentative de créer un incubateur pour le terrorisme soit stoppée net et que la tentation de comparer le modèle d'Oman à celui de la Syrie soit à jamais écartée.
Haitham El Zobaidi est le rédacteur en chef de la maison d'édition Al Arab.