L'Arabie saoudite vue de l'intérieur : pourquoi sommes-nous différents des Européens ?

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Arabie saoudite Coupe du monde de la FIFA
Lorsque je suis arrivé en Espagne fin 2018 et que je me suis installé à Madrid pour commencer mes études d'espagnol, j'avais une vision simpliste du pays : je pensais que l'Espagne se résumait au Real Madrid, à Barcelone et à l'huile d'olive. Cependant, en côtoyant la société espagnole, j'ai découvert une réalité beaucoup plus complexe

L'Espagne ne se résume pas à ces trois éléments, c'est une nation avec une histoire et un héritage qui sont rarement compris de l'extérieur. De plus, bien qu'elle fasse partie de l'Europe, elle n'est pas simplement une copie du modèle européen standard : elle a ses propres caractéristiques. On pourrait en dire autant de l'Arabie saoudite. Pour comprendre une société, il faut la regarder de l'intérieur, et non la juger à partir de stéréotypes orientaux ou occidentaux.

Ce n'est qu'après avoir appris l'espagnol et obtenu mon doctorat à l'Université Complutense de Madrid que j'ai commencé à expliquer aux autres Saoudiens ce qu'est réellement l'Espagne. Cette expérience m'a amené à réfléchir à la façon dont nous sommes perçus de l'extérieur.

Malgré l'ouverture sans précédent qu'a connue l'Arabie saoudite ces dernières années, en particulier dans le cadre de la Vision 2030 menée par le prince héritier Mohammed ben Salmane, le peuple saoudien conserve une identité profondément enracinée. Cette identité est indissociable de la religion, de la géographie, de l'histoire et de la structure sociale qui ont évolué au fil des siècles.

Saudi Media Forum setTV
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Tenter de comprendre le citoyen saoudien à partir de perspectives étrangères, ou prétendre qu'il adopte des modes de pensée ou de comportement européens ou américains, est une simplification injuste qui conduit à des malentendus et à l'échec dans les relations avec la société saoudienne.

Comprenons d'abord la composante religieuse et sociale. Depuis sa fondation, l'État saoudien moderne s'est construit sur une base culturelle et religieuse islamique claire. La religion occupe une place centrale dans la vie des Saoudiens : non seulement en tant que pratique spirituelle, mais aussi en tant que source d'identité et de cohésion. La mosquée n'est pas seulement un lieu de culte, mais aussi un centre social, éducatif et de résolution des conflits. Dans de nombreuses sociétés européennes, la religion a été réduite à une question privée ou marginale.

En Arabie saoudite, elle est présente depuis la salutation quotidienne jusqu'au système juridique. Ces différences n'impliquent pas un retard ou un progrès, mais des structures historiques et culturelles différentes.

Deuxièmement, l'Arabie saoudite reste une société familiale et tribale dans son essence. La famille élargie joue un rôle clé dans les décisions vitales : le mariage, la réconciliation et la vie quotidienne. Des valeurs telles que l'obéissance, l'honneur, le respect des aînés et la honte sociale sont toujours vivantes. En revanche, l'individualisme prédomine dans de nombreuses sociétés occidentales. Un jeune peut être poussé à vivre seul à l'âge de 18 ans sans que cela soit considéré comme un manque d'affection. 

En revanche, le Saoudien vit ou décide rarement seul ; sa pensée est façonnée par la communauté, la famille ou la tribu. Ce n'est pas une faiblesse, mais une expression différente des liens sociaux.

Ces deux dimensions nous amènent à une question fondamentale : pourquoi le Saoudien ne devrait-il pas ressembler à l'Européen ? Parce que chaque être humain est le produit de son contexte.

Un Saoudien qui a grandi dans le désert, dans une culture enracinée dans l'islam, en contact avec la mosquée et le conseil familial, ne peut pas devenir une réplique d'un Européen façonné par les Lumières et la modernité laïque. Il ne s'agit pas ici de supériorité ou d'infériorité, mais de parcours historiques différents.

La liberté, par exemple, est interprétée en Arabie saoudite dans le cadre de la loi islamique et des coutumes. En Europe, cette même liberté peut s'étendre jusqu'au droit d'offenser les symboles religieux. Les deux défendent la « liberté », mais les significations sont radicalement différentes. Est-il juste d'exiger des Saoudiens qu'ils acceptent le modèle européen tel quel ? Ou de demander aux Européens d'adopter une vision saoudienne du monde ? Probablement pas.

L'Arabie saoudite s'est-elle fermée à ces débats ? Au contraire. Le pays connaît une profonde transformation, mais à partir de son identité. Il n'est pas correct de considérer l'Arabie comme une société rigide ou stagnante. Depuis 2016, le pays a connu des réformes économiques, sociales et culturelles notables. Mais contrairement à d'autres nations qui ont importé des modèles étrangers, l'Arabie a misé sur un changement de l'intérieur.

Le divertissement, par exemple, a longtemps été un sujet sensible. Aujourd'hui, réglementé par une autorité officielle, il est devenu une industrie dynamique qui respecte la culture locale et attire des millions de citoyens et de touristes. Tout cela sans perdre l'équilibre entre modernité et identité.

Saudi Media Forum
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Des exemples concrets illustrent cette transformation. L'un d'eux est le programme de bourses lancé en 2006, qui a permis à des centaines de milliers de Saoudiens d'étudier à l'étranger. Beaucoup ont vécu en Asie, en Europe, en Afrique ou en Amérique. Et même si certains pensaient que cela entraînerait une perte d'identité, c'est le contraire qui s'est produit : beaucoup sont revenus plus conscients de leurs racines, capables de combiner modernité et tradition.

Un autre exemple notable est le rôle des femmes saoudiennes. Loin d'être marginalisées, elles ont accompli des progrès remarquables : elles conduisent, travaillent, occupent des postes diplomatiques, comme la princesse Haifa Al Mogrin, ambassadrice en Espagne, ou la princesse Reema bint Bandar, ambassadrice aux États-Unis. Tout cela a été réalisé dans le respect du contexte culturel saoudien, sans copier des modèles féministes étrangers qui ne sont pas toujours bien accueillis par la société locale.

Il en va de même dans l'espace numérique : les jeunes Saoudiens dominent les réseaux sociaux tels que YouTube, TikTok ou Snapchat, où ils affichent fièrement leur identité locale, sans imiter les esthétiques étrangères.

Alors, un Saoudien doit-il renoncer à son identité pour ressembler à un Européen, ou vice versa ? Bien sûr que non. Nous devons accepter la différence comme une richesse, et non comme un obstacle. Comprendre les Saoudiens ne signifie pas tout justifier, ni fermer la porte au dialogue ou à la critique. Cela signifie avant tout respecter le contexte.

Le monde n'a pas besoin de plus de copies, mais de plus d'authenticité. Et l'Arabie saoudite, avec son histoire, sa culture et son évolution, représente un modèle qui mérite d'être compris pour ce qu'il est, et non pour ce que d'autres souhaitent qu'il soit.

Dr Hasan Alnajrani. Journaliste et universitaire