La marche de la folie

Le premier exemple est celui de Bibi Netanyahu, Premier ministre d'Israël, qui ne veut pas voir que les Palestiniens existent, que leurs aspirations légitimes doivent être satisfaites et qu'il n'y aura pas de sécurité pour Israël sans un minimum de justice pour eux. Il pense qu'en "tondant l'herbe" et en leur donnant quelques chapons tous les deux ans, il maîtrise le problème, et Gaza lui a montré à quel point il se trompait.
Il donne la priorité à l'objectif irréaliste d'éliminer le Hamas plutôt qu'à l'objectif immédiat de libérer les otages encore détenus par le Hamas qui doivent survivre, s'ils le font encore, dans des conditions épouvantables.
Netanyahou semble souhaiter la poursuite du conflit afin de repousser le plus longtemps possible la convocation d'élections, la création d'une commission chargée d'enquêter sur les défaillances sécuritaires du 7 octobre qui ont permis au Hamas de remporter une victoire bien plus importante que ce qu'il aurait pu espérer et, enfin, il souhaite repousser le moment où il devra se présenter devant un tribunal pour répondre à de graves accusations de corruption. Il se peut donc que ses intérêts et ceux d'Israël ne coïncident pas.
Le Guide suprême de la République islamique d'Iran, Ali Khamenei, a également commis une erreur en répondant à la pression populaire pour réagir à la provocation israélienne (en violation grave du droit international) consistant à bombarder un bâtiment diplomatique à Damas, dans lequel des officiers supérieurs iraniens ont été tués. Il a mesuré sa réponse au millimètre près pour ne pas faire de victimes (il a même prévenu de l'heure de l'attaque) et ne pas donner d'excuses à ceux, nombreux, qui en veulent, et ses drones ont mis des heures à atteindre leur destination, facilitant ainsi leur destruction (ce qui rappelle la série télévisée The Three Body Problem dans laquelle les terriens se préparent à une invasion d'extraterrestres qui mettra 400 ans à arriver), mais l'Iran a commis une erreur parce qu'il a rendu un grand service à Israël en détournant l'attention du monde de la catastrophe humanitaire qu'il a causée à Gaza, où il laisse désormais les mains libres à Israël ; parce qu'il a fait passer Israël du statut d'attaquant à celui d'attaqué et a regagné une grande partie de la sympathie internationale qu'il avait gaspillée ; parce qu'il a rendu plus difficile pour Washington de continuer à envisager de réduire les livraisons d'armes qui permettent à Israël de continuer à bombarder Gaza sans merci ; et parce qu'il a renforcé les relations d'Israël avec certains pays arabes comme la Jordanie (qui l'a autorisé à combattre les drones iraniens dans son espace aérien) et l'Arabie saoudite qui, entre deux ennemis, Israël et l'Iran, préfère le premier.
Téhéran va maintenant devoir faire face à de nouvelles sanctions internationales, alors que la politique qu'il a menée jusqu'à présent avec l'aide de ses alliés houthis, du Hezbollah et des milices qui lui ressemblent en Syrie et en Irak lui a permis de harceler Israël en lui jetant la pierre tout en cachant sa main. On pourrait donc en conclure que l'Iran s'est également trompé.
Mais comme le Moyen-Orient est la terre de la Bible, c'est le principe de l'œil pour œil qui prévaut, et nous nous trouvons dans une situation qui rappelle l'image de Goya des deux hommes enfoncés jusqu'aux genoux dans le sol et qui s'assomment l'un l'autre. Bien que l'Iran ait considéré l'affaire comme réglée, comme dirait Khamenei, Netanyahou a répondu à l'attaque iranienne en envoyant quelques missiles et drones contre deux bases militaires à Ispahan et Tabriz, sans apparemment causer de dommages appréciables. Il semblerait que tous deux, après avoir montré à quel point ils sont machos, tentent d'empêcher le conflit de dégénérer, Israël parce que sa priorité est d'intervenir militairement à Rafah, dans le sud de Gaza, où 1,7 million de Gazaouis épuisés et affamés sont entassés et n'ont nulle part où fuir, et le régime des ayatollahs parce que ce qu'il veut vraiment, c'est persécuter les pauvres femmes qui ne s'habillent pas comme ils le souhaitent.
Et c'est parti. La marche de la folie.
Jorge Dezcallar, ambassadeur d'Espagne
Publié dans Diario de Mallorca, El Periódico de Catalunya et Cadena de Prensa Ibérica le dimanche 21 avril 2024.