
La question de la gouvernance des services publics est au cœur des fonctions de l'Etat, dont l'objectif ultime est de promouvoir le progrès et le bien-être social, dans des conditions de stabilité, de durabilité et d'harmonie entre les différents acteurs sociaux. Il convient de noter à cet égard que seul l'État est en mesure de garantir l'équité et la justice dans l'accès des citoyens aux services socio-économiques de base tels que la sécurité, l'éducation, la santé ou les transports, afin que chaque citoyen puisse s'épanouir et que la communauté puisse vivre ensemble dans la prospérité et la paix sociale. Ainsi, nous constatons que, ces dernières années, la réforme de la gouvernance des services publics est devenue un refrain commun dans les agendas des gouvernements du monde entier, qui cherchent de nouveaux moyens de fournir des services de haute qualité, moins coûteux et plus adaptés aux souhaits et aux besoins des utilisateurs et des communautés.
Le Maroc, qui a commémoré au début de ce mois le 20e anniversaire de l'institution du Médiateur du Royaume (équivalent de l'Ombudsman), s'est, depuis le début de son indépendance, fortement engagé à fournir des services essentiels à partir de la sphère publique. Il a toujours été de la responsabilité de l'État de prendre en charge les besoins fondamentaux des Marocains, tout en veillant à l'amélioration de la qualité de ces services et à l'accès effectif et non exclusif de tous les citoyens à ces services. D'où la nécessité permanente d'instaurer une gouvernance des services publics efficace, responsable, participative et transparente, capable de renforcer la crédibilité et la viabilité de l'État. Dans ce sens, on peut dire que le système de gouvernance publique au Maroc, à l'instar des autres pays du monde, a connu depuis l'indépendance de nombreuses réformes visant à moderniser la gestion de l'action publique, parmi lesquelles il serait pertinent de distinguer trois grandes étapes qui marquent l'évolution de l'administration publique marocaine :
- La première étape, de l'indépendance aux années 1980, a été marquée par la reconstruction de l'État national, qui avait pour mission principale de façonner les institutions du pays et plus particulièrement son appareil administratif qui devait mettre en œuvre une politique de développement économique et social. Dans ce contexte, les services publics offerts à la population se sont développés sous l'influence d'un étatisme triomphant, ce qui s'explique par le fait que l'Etat, après l'indépendance et en l'absence d'un secteur privé national, s'est érigé en promoteur du développement par une intervention directe dans l'organisation et le fonctionnement de l'économie ; ce rôle s'est parfaitement reflété dans la politique administrative suivie jusqu'à la fin des années 1980, qui n'accordait pas d'importance à la nécessité d'inclure le citoyen comme acteur principal du service public. Il est clair que la gouvernance, réduite à un modèle d'administration bureaucratisée imposant sa logique aux usagers, serait incapable de promouvoir à la fois le bien-être des citoyens et le maintien de la cohésion de la société.
- La deuxième étape a été caractérisée par le passage de l'État entrepreneur à l'État régulateur, qui doit également être le garant de l'équilibre social et territorial. Il convient de rappeler qu'après trois décennies de ce modèle interventionniste, le secteur public au Maroc a commencé à constituer un fardeau que le budget de l'Etat ne pouvait plus supporter, l'apparition de déséquilibres macroéconomiques, la résurgence des problèmes de chômage et d'exclusion sociale ont conduit à la contestation de l'action de l'Etat, mais aussi à la nécessité de redéfinir son rôle. Ainsi, dans un environnement international profondément modifié, marqué par la mondialisation des échanges et l'ouverture sur l'Europe, l'évolution du système de gouvernance publique au Maroc a semblé s'inscrire dans la recherche d'une nouvelle légitimité administrative.
Sans se laisser tenter par les grands débats idéologiques qui ont longtemps opposé les partisans du " tout État " aux ultra-libéraux du " moins d'État " prônant une réorientation du rôle de l'État vers sa mission d'ordre public, le Maroc semblait opter pour une troisième voie, celle de " l'État différent ", qui prône une révision périodique des missions du secteur public afin de s'adapter à l'évolution de la société et aux attentes des citoyens et des entreprises. Dans ce sens, il est essentiel que l'Etat, tout en redéfinissant son rôle et les limites de ses interventions, puisse prioriser ses responsabilités particulières dans la gouvernance des services publics considérés comme essentiels, tels que le maintien de l'ordre public, le renforcement de la solidarité entre les communautés et les individus, la promulgation de normes et le contrôle de leur application.
Le changement majeur à venir dans le système de gouvernance publique au Maroc a été annoncé le 8 avril 1988 par le Roi Hassan II lors de son discours d'ouverture de la session de printemps du Parlement ce jour-là :
"Nous avons déjà évoqué, dans nombre de nos discours et de nos orientations, le rôle du secteur public et du secteur privé dans le développement et la croissance de l'économie nationale et la nécessité de l'abandon par l'Etat, au profit du secteur privé, d'un certain nombre d'entreprises pour lesquelles le maintien du caractère étatique ne se justifie pas. Nous voudrions revenir sur cette question pour vous exposer en détail les raisons qui ont dicté le choix de la politique que nous avons décidé de mener dans ce domaine, les résultats attendus et les moyens que nous comptons mettre en œuvre pour appliquer notre politique, conformément aux objectifs que nous nous sommes fixés".
De ce discours politique actuel, certains analystes ont surtout retenu qu'il s'agissait de privatisation, de désengagement de l'Etat ou de moins d'Etat. En réalité, la vision stratégique du discours royal impliquait une redéfinition du rôle de l'Etat, son adaptation à un contexte international et national, basé sur la concurrence, la compétitivité et l'ouverture des frontières, et qui doit donc abandonner son rôle d'entrepreneur responsable du développement, pour devenir un Etat régulateur, facilitateur du développement, mais aussi garant de la cohésion sociale et de l'équilibre territorial. Ce recentrage de la puissance publique sur ses fonctions essentielles s'avère aujourd'hui être le fruit d'un pragmatisme prudent et visionnaire plutôt que de l'orthodoxie libérale. Malgré les nombreuses réformes inscrites dans cette vision (Programme National de Gouvernance, Pacte de Bonne Gouvernance, Nouvelle Conception de l'Autorité, PARAP), les performances de l'administration et son mode de fonctionnement continuent de faire l'objet de critiques de la part des usagers et de la société civile.
- La troisième étape marque un tournant constitutionnel décisif dans l'évolution de la gouvernance publique au Maroc, donnant lieu à un processus irréversible de réformes structurelles visant à consacrer l'État de droit, à moderniser les structures de développement économique et social et à consolider les fondements de la bonne gouvernance. En ce sens, la réforme constitutionnelle de 2011 a permis de réaliser des avancées significatives en matière de gouvernance, représentant non seulement une véritable accélération du processus de mise à niveau institutionnelle déjà engagé, mais aussi un tournant décisif dans la transformation progressive du mode de gouvernance publique en termes de transparence, de redevabilité et d'ouverture sur les citoyens.
La nouvelle Constitution a été fortement marquée par la consécration des droits des citoyens à des services publics efficaces, à l'information et à l'égalité d'accès à ces mêmes services, mais aussi par l'institutionnalisation d'un certain nombre d'institutions régulatrices, telles que le "Médiateur du Royaume" qui, en vertu de l'article 162 de la Constitution, remplace le Diwan Al Madhalim "Bureau des plaintes", en tant qu'institution nationale, indépendante et spécialisée dans la protection et la promotion des droits des usagers vis-à-vis de l'administration, contribuant ainsi au renforcement de l'État de droit et à la diffusion des principes de justice et d'équité, et des valeurs de moralité et de transparence dans la gestion des administrations, des établissements publics, des collectivités territoriales et des organismes dotés de prérogatives de puissance publique.
Une autre institution de régulation, la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA), déjà créée en 2002, a été constitutionnalisée par l'article 165 qui la qualifie d'institution chargée de veiller au respect de l'expression pluraliste des opinions et des pensées et du droit à l'information dans le domaine audiovisuel.
En termes de règles de gouvernance, les dispositions de la Constitution ont fourni une plate-forme solide pour le développement d'une politique publique visant à améliorer les relations entre l'administration et les citoyens et usagers, ainsi que la gestion des services fournis, en les rendant accessibles, sans obstacles ni difficultés, dans des conditions de rapidité, d'accueil, de respect, d'égalité et d'éthique. À cet égard, la Constitution a prévu l'élaboration d'une charte des services publics, qui doit fixer les règles de bonne gouvernance, relatives au fonctionnement des administrations publiques, des régions et des autres collectivités territoriales et organismes publics.
Avec son engagement en faveur de l'ouverture et de la participation citoyenne clairement annoncé dans la nouvelle Constitution, le Maroc ouvre de nouvelles perspectives pour une réforme profonde de la gouvernance. Il est important de rappeler à cet égard que la Constitution de 2011 a multiplié les possibilités offertes aux citoyens de participer à la vie publique en leur accordant le droit de proposer des lois, de déposer des pétitions, ainsi que le droit de participer aux affaires publiques, notamment la discussion des projets de loi systématiquement publiés sur le site du Secrétariat Général du Gouvernement www.sgg.gov.ma, afin qu'ils puissent être commentés, sans oublier bien sûr le droit d'accès à l'information garanti par l'article 27 de la Constitution.
L'enjeu de la communication dans la gouvernance des services publics a été soigneusement pris en compte dans les articles 154, 155 et plus particulièrement 156, et ce à travers les paramètres qui déterminent les devoirs de l'administration en matière de communication, à savoir le devoir de transparence, le respect des valeurs démocratiques, l'écoute des usagers et le suivi de leurs observations, propositions et plaintes. Ainsi, la nouvelle Constitution réussit à jeter les bases d'une nouvelle approche de la communication publique qui va au-delà de l'action informative vers des pratiques communicatives interactives qui consistent à informer les usagers, mais aussi à connaître leurs besoins et leurs préoccupations, à sonder leur niveau de satisfaction, à répondre à leurs plaintes et à leur demander constamment leur avis. A cet égard, Sa Majesté le Roi, dans son discours aux membres des deux Chambres du Parlement à l'occasion de l'ouverture officielle de l'année législative le 14 octobre 2016, a vivement critiqué l'administration marocaine, notamment dans sa relation avec le citoyen :
"Les difficultés rencontrées par le citoyen dans sa relation avec l'Administration, sont nombreuses et diverses, à commencer par l'accueil, en passant par la communication jusqu'au traitement des dossiers et des documents. Il est inacceptable que l'Administration ne réponde pas aux plaintes et aux questions des citoyens, comme si le citoyen n'avait aucune valeur ou comme s'il n'était qu'une partie du paysage qui constitue l'espace de l'Administration".
Fidèle à sa nouvelle conception de l'autorité centrée sur le citoyen, Sa Majesté le Roi a insisté auprès des représentants de la nation sur le fait que la participation des usagers au processus de modernisation de l'Administration doit être prise en compte dès la conception des politiques publiques, d'où l'impérieuse nécessité de développer un système d'écoute et de suivi des attentes des usagers.
La première, de nature économique, a consisté à redéfinir le rôle de l'Etat et les limites de ses interventions, afin de l'adapter à un nouveau contexte international et national basé sur la compétitivité et l'ouverture des frontières, et dont les mesures de réforme se sont articulées dans les domaines du financement, privatisation, de décentralisation et de gouvernance publique et territoriale, n'ont que timidement touché l'appareil administratif de l'État et n'ont pas eu d'impact significatif sur la modernisation de l'administration publique en général, ni sur l'institutionnalisation de la communication en tant que fonction cruciale pour l'amélioration de la gouvernance des services publics en particulier.
Le second processus de réforme de l'État, de nature politique, a été déclenché depuis l'approbation de la nouvelle Constitution de 2011, qui a permis de réaliser des progrès décisifs en termes de gouvernance, représentant non seulement une véritable accélération du processus de modernisation des institutions déjà en cours, mais aussi un tournant décisif dans la transformation progressive du mode de gestion publique, en termes de transparence, de responsabilité et d'ouverture aux citoyens.
C'est dans ce cadre qu'une série de textes législatifs et réglementaires, notamment la loi sur le droit d'accès à l'information, la charte des services publics et la loi sur la simplification des procédures et des formalités administratives, ont comblé le vide juridique en matière de communication dans la gouvernance des services publics, en fixant les modalités de réception, de suivi et de traitement des observations, plaintes et réclamations, en établissant les modalités de réception, de suivi et de traitement des observations, plaintes et propositions des usagers, en garantissant le droit d'accès des citoyens à l'information et en simplifiant les procédures administratives qui obligent l'administration à répondre aux demandes des usagers dans des délais déterminés, tout cela dans le but d'une communication systématisée et efficace, qui instaure des relations de respect et de confiance entre l'administration et les usagers. C'est ainsi que ce processus de changement constitutionnel a pu réglementer, promouvoir et consolider la communication de l'administration publique et, en même temps, établir et renforcer un nouveau modèle de service public qui rompt avec l'ancien modèle bureaucratique pour tirer sa légitimité du concept de l'État de droit et des principes de bonne gouvernance, ainsi que des droits fondamentaux des usagers.