La démocratie comme résultat au Salvador

Arrêter et emprisonner plus de 75 000 personnes dans un pays comme le Salvador, dont la taille est comparable à celle de la province de Séville, équivaut à mettre un habitant sur 700 derrière les barreaux. En l'espace des cinq années du premier mandat du président Nayib Bukele, le Salvador est passé du statut de pays comptant le plus grand nombre d'homicides sur le continent américain à celui de pays le plus sûr du continent, grâce à sa politique de la mano dura (main de fer), du bâton et de la lèvre raide.
Pour y parvenir, le jeune président, âgé de 42 ans, a suivi la maxime "aux grands maux, les grands remèdes", ce qui signifie en pratique la disparition d'une grande partie des garanties dont jouissent tous les citoyens dans un régime démocratique.
Le non-respect des droits de l'homme au nom de la sécurité
Ce non-respect des droits de l'homme était implicite dans toutes les mesures annoncées successivement par le président aux Salvadoriens, qui en avaient assez de la corruption des partis et de la criminalité devenue insupportable. Bukele a promis de mettre fin à ces deux fléaux, tout en précisant qu'il n'hésiterait pas à peser et à soupeser la liberté et la sécurité.
Son bilan est si excellent que les 5,5 millions d'électeurs lui ont apporté un soutien quasi unanime, au point que seuls deux sièges sur 60 au parlement lui ont résisté, composant un hémicycle législatif digne des plus anciennes dictatures.
Un pouvoir absolu
Son parti, Nuevas Ideas, a fait du Salvador un pays presque à parti unique, où le président est devenu un monopoliseur de pouvoir absolu. Bukele, à travers les interviews préélectorales et les premières proclamations annonçant sa victoire écrasante, a fini par reconnaître que, pour lui, la démocratie que le pays a connue depuis la fin de la sanglante guerre civile appartient désormais au passé. Il poursuivra sa politique de résultats "parce que c'est ce que veut le peuple" et bénéficie d'un soutien écrasant de près de 90 % des suffrages. Et même à ceux qui veulent observer des propensions et des similitudes avec une possible dérive similaire à celle du chavismo-madurismo vénézuélien, Bukele s'est empressé d'esquisser un programme, selon lequel la principale priorité, une fois la sécurité des citoyens assurée, sera de stimuler leur prospérité, celle-ci n'étant pas grevée par le harcèlement et l'extorsion permanente des gangs et de la criminalité organisée.
La popularité de Bukele n'a pas seulement franchi les frontières du pays d'Amérique centrale qu'il gouverne, mais elle est suivie de près dans toute l'Amérique latine et, désormais, en Europe et en Asie. Son homologue équatorien, Daniel Noboa, n'hésite pas à avouer qu'il va imiter le modèle de Bukele, arguant que, comme au Salvador, le peuple équatorien en a assez de la spirale de violence et d'insécurité qui a multiplié les vols, les enlèvements et les assassinats, et par conséquent l'émigration massive.
Il s'agit donc d'un modèle de démocratie de résultat, que Daniel Innenarity définit comme la "légitimité du résultat". Bukele, dont le sang palestinien coule dans les veines, ses ancêtres ayant émigré au début de la Première Guerre mondiale, a détourné l'interprétation de la Constitution, dont plusieurs articles interdisent expressément la réélection. Mais il n'y a rien que des magistrats animés du même esprit ne puissent réinterpréter à leur guise, et Bukele sait désormais qu'il n'y aura pas une seule voix dans la soi-disant communauté internationale qui osera remettre en cause la légitimité de son pouvoir.
Le peuple salvadorien se réjouit de la perte des libertés citoyennes en échange de sa sécurité. Aujourd'hui, par exemple, la police peut détenir n'importe quel citoyen sur la base d'un simple soupçon. C'est bien là le principal danger qui nous guette. L'histoire regorge d'exemples démontrant la maxime selon laquelle le pouvoir corrompt, et trop de pouvoir corrompt trop. La tentation totalitaire sera latente chez un président qui a renvoyé au grenier les deux grands partis qui se partageaient jusqu'à présent sièges et avantages : l'Arena de droite et le FMLN de gauche, autrefois protagonistes de la guerre (in)civile qui a ensanglanté le pays. Bukele bénéficiera d'un nouveau mandat de cinq ans, mais il serait bien étrange qu'il n'aspire pas à s'éterniser, convaincu de sa grande mission.
De la même manière que la dictature castriste a imprégné tout le continent américain de sa doctrine et convaincu les intellectuels européens de ses rêveries, Bukele pourrait mener une expérience politique et sociale d'un autre genre. Mais dans les deux cas, il y a un dénominateur commun : la perte de liberté, même si, dans le cas du Salvador, elle est volontaire et largement acceptée par le peuple. Il s'agit d'un nouveau chapitre concret d'un débat qui dure depuis longtemps, celui de la conjugaison de deux termes - liberté et sécurité - qui, à l'exception des démocraties les plus consolidées, finissent toujours par tomber du même côté.