
Lorsque le président chinois Xi Jinping a décidé de s'absenter du sommet du G20 à New Delhi et a choisi de recevoir à Pékin Nicolás Maduro, le dictateur qui soumet le Venezuela, il savait ce qu'il faisait. Il ne voulait pas apparaître capitimé face à l'hôte, le Premier ministre indien Narendra Modi, véritable vainqueur d'une réunion qui a failli sombrer et qui a été sauvée grâce à la virtuosité diplomatique incarnée par la déclaration finale.
Dans ce document âprement négocié, l'Ukraine a vu s'atténuer le ton de condamnation de la Russie reflété lors de la précédente réunion sur l'île indonésienne de Bali. En revanche, la Russie s'est montrée très satisfaite de la recommandation finale qui, après avoir pris acte des souffrances humaines causées par la guerre, "appelle tous les pays à s'abstenir de menacer ou d'utiliser la force pour chercher à conquérir des territoires en dépit de la souveraineté et de l'indépendance de chaque État". Tout cela est très abstrait, sans aucune mention du président russe Vladimir Poutine ou de son invasion de l'Ukraine. Autant un Européen ou un Nord-Américain peut y penser en lisant un tel paragraphe, autant il peut s'appliquer à n'importe lequel des nombreux conflits en cours à travers le monde.
Cette pierre d'achoppement majeure surmontée, Modi a également certifié dans la capitale indienne l'entrée de l'Union africaine dans le groupe, avec le même statut d'observateur que l'Union européenne. Ce partenariat est d'autant plus important qu'il intègre de fait les 1,5 milliard de citoyens des 55 pays du continent.
La veille du début officiel du sommet, le président américain Joe Biden a renforcé ses engagements politiques et commerciaux auprès de Narendra Modi, et a lancé une initiative majeure pour lancer un gigantesque réseau ferroviaire reliant notamment le Moyen-Orient et l'Asie. Un projet alternatif à la Nouvelle route de la soie chinoise qui, s'il se réalise, enlèverait à Xi Jinping le monopole de son gigantesque et fructueux projet de coopération internationale. Il est évident que l'Inde serait l'origine, l'étape et la destination d'un volume multiplié de marchandises, un chapitre commercial qui renforcerait énormément sa puissance et son influence.
Le fait que Pékin ait examiné de près ces développements est démontré par le fait qu'il a appelé à une réunion à grande échelle dans les semaines à venir avec les pays qui, d'une manière ou d'une autre, ont été intégrés dans son projet "Une ceinture, une route", en principe pour évaluer son développement et ses possibilités de transformation et d'autonomisation. Et, dans le même temps, pour contrer la montée en puissance de son grand voisin asiatique, qui est devenu un rival de plus en plus important.
C'était le point culminant d'une série de jalons qui avaient amené l'Inde sur le devant de la scène mondiale. La plus importante de ces étapes a été l'installation d'un laboratoire d'observation au pôle sud de la lune le 23 août, dans une course où la Russie avait échoué quelques jours plus tôt en ne parvenant pas à poser son propre engin sur la lune et en finissant par s'écraser à sa surface. Début septembre, l'Inde scellera ses ambitions spatiales avec le lancement d'une sonde solaire, rejoignant ainsi le club encore très restreint des pays aspirant à conquérir et coloniser l'espace.
Le dirigeant indien a également profité de l'occasion pour affirmer subtilement son nationalisme. Il l'a fait en utilisant le nom hindi de son pays, Bharat, qui n'avait jamais été utilisé auparavant dans des événements internationaux. Ce nom figure à la fois sur les plaques signalétiques du pays, sur les tables de réunion, sur les badges et les autocollants des fonctionnaires et des voitures officielles. La plupart des délégations présentes au G20 ont ainsi appris que l'Inde est Bharat en hindi. Peut-être n'est-ce là qu'une première étape vers un changement définitif du nom du pays le plus peuplé de la planète, qui impliquerait alors d'attribuer à l'Inde des connotations ou des vestiges coloniaux, ce qui justifierait alors le nouveau nom politiquement correct.