Le Mexique demande une compensation aux principaux fabricants d'armes américains

Il s'agit d'une démarche sans précédent pour le Mexique, en tant qu'État souverain, de poursuivre les principaux fabricants d'armes américains et de demander de lourds dommages et intérêts "pour avoir encouragé la violence des trafiquants de drogue mexicains". L'action en justice, déposée devant un tribunal de Boston et annoncée par le ministre mexicain des affaires étrangères, Marcelo Ebrard, est une mise en accusation directe des fabricants d'armes américains, tout en mettant le doigt sur l'un des chapitres les plus tendus des relations américano-mexicaines.
La cascade incessante de meurtres dans le pays, qui a atteint le point de l'amener au bord de ce qu'il est convenu d'appeler un État failli, a motivé cette initiative du gouvernement du président Andrés Manuel López Obrador, qui n'hésite pas à accuser le commerce lucratif des marchands d'armes de soutenir et d'encourager l'insécurité croissante dans le pays.
Un rapport de l'Observatorio Semáforo Delictivo chiffre à 34 648 le nombre d'homicides enregistrés au Mexique en 2019, et à 34 515 en 2020. Cela représente un taux de meurtre de 20 pour 100 000 habitants. Selon le gouvernement d'AMLO, 80 % de ces meurtres sont liés au trafic de drogue, et la plupart d'entre eux ont été commis avec des armes introduites clandestinement au Mexique.
En présentant son action en justice, le ministre Ebrard a souligné que l'objectif est d'exiger de lourdes compensations de la part de Smith & Wesson, Beretta, Colt, Glock, Century Arms et Ruger & Barrett, des entreprises qu'il accuse directement de produire au moins 70 % des 500 000 armes de tous types, dont beaucoup sont des "armes de guerre", introduites illégalement chaque année sur le territoire mexicain et qui sont responsables d'une grande partie des morts violentes.
M. Ebrard considère que la qualité juridique de l'action en justice est indiscutable, c'est pourquoi il est convaincu que la cour américaine se prononcera en faveur du Mexique, et qu'un tel jugement favorable hypothétique serait le début de la fin du trafic illégal d'armes, ce qui, selon lui, se traduirait immédiatement par un changement radical dans la lutte contre le trafic de drogue au Mexique, dont les cartels sont actuellement en tête des revenus de la drogue dans le monde. Les cabinets de deux avocats américains, Steve Shadowen et Jonathan Lowy, très impliqués dans la prévention de la violence armée, approuvent la "qualité juridique" de la demande de justice du gouvernement mexicain.
L'action en justice vise aussi indirectement les autorités américaines en demandant en outre des "mesures de supervision et de contrôle des fabricants d'armes". Les Mexicains font le lien avec une partie importante de l'accusation : les grands fabricants d'armes mentionnés ont développé divers types d'armes spécifiquement pour les trafiquants de drogue mexicains.
Bien que l'on ne soit pas très optimiste a priori quant à l'issue finale de ce procès sans précédent, on considère dans les milieux judiciaires américains qu'il pourrait ouvrir une brèche importante en ce qui concerne l'énorme pouvoir dont jouissent les fabricants d'armes et la circulation et l'exportation pratiquement libres des armes. Et, dans tous les cas, cela ajoute un nouveau cadre de pression politique sur le Mexique vis-à-vis de Washington.
D'autre part, cette initiative juridique du gouvernement d'AMLO n'est pas considérée comme une démarche totalement irréprochable, du moins par les spécialistes reconnus de l'investigation des tenants et aboutissants du trafic de drogue. Deux d'entre eux, José Luis Pardo Veiras, co-auteur du livre indispensable "Narcoamérica", et Íñigo Arredondo, coordinateur de l'unité d'enquête du journal "El Universal", soulignent que sous couvert de la prétendue guerre contre le narcoterrorisme, outre le triplement des homicides, ce qui a augmenté, c'est le pouvoir de l'armée, qui est passée du remplacement d'une police corrompue dans son travail à la prise de contrôle d'une grande partie des secteurs économiques du pays. Le trafic de drogue", affirment les deux experts dans un article commun publié dans le Washington Post, "n'est pas le début et la fin des maux du Mexique ; c'est un catalyseur qui est arrivé dans un pays ayant une profonde histoire de violence et d'impunité.
Ce qui est certain, en outre, c'est que depuis que Felipe Calderón a déclenché la guerre contre le narcoterrorisme en 2006, celle-ci a déjà fait 350 000 morts et 72 000 disparus. Dans le même temps, la participation de l'armée a augmenté de manière exponentielle : 50 000 soldats lui étaient consacrés sous Calderón ; 130 000 sous Enrique Peña Nieto ; et plus de 150 000 sous Andrés Manuel López Obrador.
Pour les auteurs cités ci-dessus, cela indique que l'influence militaire n'a pas seulement imprégné toutes les forces de sécurité. Le récit de la guerre de la drogue a également servi de couverture à la corruption historique et à l'impunité dans l'administration de la justice.