Un changement herculéen dans le Brésil de Lula

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Reconstruire un pays comme le Brésil, le plus grand d'Amérique du Sud et le cinquième du monde, est certainement une tâche herculéenne. Ces deux termes ont été utilisés par le président Lula da Silva et son vice-président Gerald Ackerman à l'occasion de l'investiture du premier pour la troisième fois à la tête de l'État brésilien.

Pour que le peuple perçoive d'emblée la différence radicale entre Jair Bolsonaro et Lula da Silva, le nouveau président a décrit l'"héritage désastreux" qu'il a reçu : un système de santé en ruines, tout comme l'éducation, la culture, les sciences et la technologie, démantelés par son prédécesseur, qu'il a également accusé de détruire l'environnement. En décrivant un tel panorama dantesque, Lula est parfaitement en phase avec le manuel, puisque, à partir de là, tout ce qui est fait sera nécessairement infiniment meilleur. Il vise également les secteurs les plus sensibles, tant pour la population brésilienne elle-même que pour les observateurs internationaux, qui considèrent le Brésil et son Amazonie comme les poumons de la planète.

L'analyse de son discours inaugural d'une demi-heure révèle donc une véritable masterclass politique, en accord, bien sûr, avec la stratégie du Forum de São Paulo, l'alliance de personnalités et d'intellectuels progressistes, promue entre autres par Lula lui-même, pour établir des gouvernements de gauche sur tout le continent. La quasi-totalité du continent est déjà tachée de rouge, à l'exception pour l'instant de l'Équateur, de l'Uruguay et du Paraguay. Et avec Lula au palais du Planalto à Brasilia, c'est l'occasion décisive pour l'Amérique latine de démontrer une fois pour toutes son potentiel.

Non seulement le Brésil revient au premier plan de l'actualité internationale, mais il se place également à la tête du continent, car la manière dont il affronte et relève les défis économiques et sociaux de ses 218 millions d'habitants inspirera les autres dirigeants, qui suivront néanmoins de près les mouvements de Lula. La façon dont il résoudra des problèmes aussi communs que le chômage, les taux de pauvreté élevés et la dette publique sera prise en compte par les gouvernements et les citoyens latino-américains, et pourra ou non leur donner l'espoir que le continent pourra enfin se débarrasser de son retard endémique. Malgré la manière dramatique dont il a décrit l'héritage reçu, les indices réels ne sont pas aussi dantesques : 8,7 % de chômage parmi la population active ; 29,4 % de pauvres et 76 % de dette publique en pourcentage du PIB, selon divers rapports compilés par les agences EFE et AFP. En comparaison, de nombreux pays, y compris du côté européen de l'Atlantique, présentent des indices bien pires dans ces domaines.

L'étroitesse de la marge avec laquelle Lula a remporté les élections et les alliances qu'il a dû conclure en conséquence l'ont amené à construire le plus grand gouvernement du monde : pas moins de 37 ministères, dont 11 seront dirigés par une femme. On suppose que toutes les sensibilités du bloc qui le soutient seront ainsi représentées au Conseil des ministres. Il s'agira de tester son efficacité, notamment lorsque les projets de loi passeront devant le Parlement, où l'opposition pro-Bolsonaro détient la majorité. Lula n'a pas attendu pour revenir sur certaines des mesures les plus controversées de son prédécesseur, qui, suivant le mauvais exemple de Donald Trump, a préféré s'absenter de la cérémonie d'investiture et a même quitté le pays pour les États-Unis, rompant ainsi la tradition de remise de l'écharpe présidentielle à son successeur.  

Les premiers décrets visaient donc à annuler les facilités accordées par Bolsonaro pour l'accès aux armes à feu et à renforcer les organisations conservationnistes en Amazonie. Ils constituent sans aucun doute une bonne carte de visite. Maintenant vient la partie la plus difficile, l'herculéenne, selon son vice-président. Bien que ni l'un ni l'autre ne l'ait mentionné, le tandem présidentiel devra s'attaquer au problème omniprésent de la corruption et se débarrasser de ses stigmates. La Cour suprême qui a ordonné la libération de Lula ne s'est jamais prononcée sur le fond de la sentence qui l'a condamné mais l'a libéré sur la base d'un vice de procédure.

Au niveau international, outre le voisinage ibéro-américain, l'Europe attend avec impatience de voir si Lula sera enfin capable de donner l'impulsion définitive au Mercosur, peut-être la dernière chance pour que l'accord commercial potentiellement le plus important du monde entre en vigueur, ou si ce sera un rêve frustré. Enfin, sur le plan politique, l'Europe et les États-Unis, qui ont fortement soutenu Lula, verront si l'ancien dirigeant syndical, vétéran et chevronné, est capable de freiner les tentations caudillistes et extrêmement populistes de certains de ses collègues américains.