Une nouvelle approche pour façonner la citoyenneté européenne

Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme international mondial, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté des sanctions visant expressément Daesh (État islamique), Al-Qaida et les individus, groupes, sociétés et entités qui leur sont associés. Le site web du Groupe de la Banque mondiale comporte une fenêtre "Banque mondiale et société civile", qui souligne notamment l'importance de ce qu'il appelle les organisations de la société civile (OSC), "un large éventail d'acteurs : groupes communautaires, ONG, syndicats, groupes autochtones, organisations caritatives, organisations religieuses, associations professionnelles et fondations". La Banque mondiale reconnaît que les OSC sont devenues des canaux importants pour la fourniture de services sociaux qui complètent l'action du gouvernement, et souligne également leur "influence sur l'élaboration des politiques publiques au niveau mondial". D'où son intérêt pour l'établissement de canaux de coopération avec les OSC. L'ONU s'appuie également sur le même concept de société civile. K. Anan l'a présenté comme un défi : il est impératif - a-t-il dit - de renforcer les liens entre les ONG et les autres acteurs de la société civile d'une part, et l'ONU d'autre part, et à cette fin, il a proposé aux États diverses mesures de réforme institutionnelle qui permettraient une action tripartite ONU-gouvernement-société civile (Renewing the United Nations. Un programme de réforme. Rapport du Secrétaire général, Doc. A/51/1950, 14 juillet 1997, paragraphes 207-216).
Ce qui est nouveau dans la société internationale actuelle est une tradition dans les organisations internationales européennes. Créées après la Seconde Guerre mondiale, elles sont fondées sur des principes démocratiques et le respect des droits de l'homme communs à tous les États membres, et leur objectif principal est de promouvoir l'unité des peuples européens et la protection de l'individu. Ces circonstances ont conduit à une légère - mais très importante - modification de sa structure (par rapport à la structure des organisations internationales universelles) : l'organe délibérant ne sera pas composé de représentants des (tous les) États mais de représentants des citoyens européens. Conséquence logique, l'organe exécutif ne sera plus un organe restreint, mais sera composé de représentants de tous les États. L'article 25 du Statut du Conseil de l'Europe (1948) introduit cette singularité : " L'Assemblée Consultative est composée de représentants de chaque membre, élus par son Parlement en son sein ou désignés en son sein selon une procédure établie par ce Parlement (...) ". Les Communautés européennes ont suivi ce modèle, qu'elles ont encore développé. Le traité de Paris de 1951, qui a institué la CECA, a créé une assemblée parlementaire. En 1957, les traités de Rome créent l'Assemblée des Communautés européennes, qui est désormais responsable de la CECA, de la CEE et d'EURATOM. Les membres de l'Assemblée étaient initialement désignés par les parlements nationaux. Depuis 1979, les membres du Parlement européen sont élus au suffrage universel direct.
Cet intérêt pour la défense des intérêts des Européens est une constante dans l'histoire de l'UE. Il y avait, comme on le sait, un silence initial dans les traités sur la protection des droits de l'homme (qui s'explique à la fois par les objectifs largement techniques des traités fondateurs des trois Communautés européennes et par la conviction de leurs rédacteurs que les droits fondamentaux étaient suffisamment protégés par les États membres - tous démocratiques, tous parties à la Convention de Rome). Mais cette lacune a été comblée par la jurisprudence de la Cour de justice, qui a développé une doctrine fondant la protection des droits fondamentaux dans l'ordre juridique communautaire sur la notion de principes généraux du droit communautaire, et depuis les années 1990 dans le droit primaire lui-même, puisque le traité de Maastricht impliquait une certaine démocratisation des institutions et l'incorporation de certaines garanties fondamentales des droits de l'homme. Puis vint la Charte (1999) et son caractère contraignant (2001) et une doctrine autonome sur les droits fondamentaux du CJ. Et la citoyenneté de l'Union et ses droits.
Dans le même temps, nous assistons à l'établissement et au développement des libertés économiques fondamentales, avec leur fort caractère économique et social. Là encore, les institutions européennes ont été pionnières (à l'exception de l'Organisation internationale du travail) et ont intégré dans leur processus décisionnel, en tant qu'organe consultatif, le Comité économique et social, représentatif des différentes catégories de la vie économique et sociale : employeurs, travailleurs et représentants d'autres groupes (agriculteurs, commerçants, professions libérales, consommateurs, etc.), et, depuis 1994, le Comité européen des régions, composé de représentants élus au niveau local et régional.
En ce qui concerne le fonctionnement de l'Union, le principe de subsidiarité et la reconnaissance d'un rôle pour les parlements nationaux servent le même objectif : associer la société civile aux travaux de la Communauté.
Et pourtant, après tant de succès et tant d'efforts, Bruxelles est encore bien loin. Je crois que cela s'explique par ses politiques (actuellement axées sur la numérisation et le pacte vert) et ses activités (centrées sur la construction et le maintien du marché unique), par l'éloignement de ses institutions et de sa bureaucratie, par le poids des gouvernements, qui occupent tout. Il est donc compréhensible qu'une fois de plus, "l'amélioration, la protection et la consolidation de la démocratie européenne" soit une priorité pour la Commission.
Cette approche est relativement nouvelle. Il ne s'agit pas d'intégrer les représentants politiques, économiques ou sociaux des Européens dans le jeu politique de l'UE ; au contraire, il s'agit cette fois de donner aux Européens "un rôle plus important dans le processus décisionnel et un rôle plus actif dans la définition de nos priorités". Ils ont la parole pour exprimer "leur point de vue sur ce qu'ils considèrent comme important pour l'UE". Un "forum public est créé pour un débat ouvert, inclusif et transparent avec les citoyens sur un certain nombre de priorités et de défis clés". Même si l'on ne sait pas exactement quel usage les institutions feront de nos voix, c'est presque une obligation civique de participer à cette opportunité que Citoyens pour l'Europe et Atalayar ont su canaliser judicieusement.
Santiago Ripol, professeur de droit international à l'université Pompeu Fabra et chercheur principal du groupe de recherche sur la société civile et le droit international et européen