La Russie et l'Iran tentent d'échapper aux sanctions par le biais de corridors pétroliers et gaziers

Les deux États collaborent pour échapper aux sanctions par le biais de corridors pétroliers et gaziers, ce qui pourrait affecter les marchés mondiaux de l'énergie et la sécurité régionale
Bandera de Irán en uno de los campos de petróleo del norte del país - PHOTO/ARCHIVO
Drapeau iranien sur l'un des champs pétroliers du nord du pays - PHOTO/ARCHIVO
  1. Acheter du pétrole irakien, iranien ou russe : le dilemme de l'Occident
  2. Quel est le rôle de la Syrie ?

La création de nouveaux gazoducs transportant le gaz russe et iranien vers les rives de la Méditerranée a généré des conflits internes dans la région qui pourraient avoir des conséquences considérables sur la sécurité du Moyen-Orient et de l'Occident dans les années à venir. 

Les 11 et 12 mai 2024, l'Iran, la Turquie et la Russie ont annoncé des projets de nouveaux oléoducs et gazoducs. Ces initiatives visent à renforcer leur collaboration dans le secteur de l'énergie, à garantir la sécurité de l'approvisionnement et à contourner les sanctions internationales imposées par les États-Unis et l'Europe. Les annonces reflètent une stratégie commune visant à accroître l'indépendance et la capacité énergétiques, minimisant ainsi l'impact des contraintes extérieures. 

El primer ministro iraquí Mohammed Shia al-Sudani (d) y el presidente turco Recep Tayyip Erdogan intercambian acuerdos firmados durante su reunión en Bagdad el 22 de abril de 2024 - PHOTO/AHMAD AL-RUBAYE /POOL/AFP
Le Premier ministre irakien Mohammed Shia al-Sudani (à droite) et le président turc Recep Tayyip Erdogan échangent des accords signés lors de leur rencontre à Bagdad, le 22 avril 2024 - PHOTO/AHMAD AL-RUBAYE /POOL/AFP

L'opération serait réalisée par le biais de deux corridors reliant la République iranienne à la Méditerranée via la Turquie et la Syrie. Les annonces de l'Iran, le 11 mai, et de la Turquie, le 12 mai, concernant la création d'un "corridor énergétique" entre la Russie et le Golfe et la mise en place d'un "pont terrestre" entre Téhéran et la mer Méditerranée pourraient accroître le volume et l'ampleur des livraisons d'armes vers le Sud-Liban et le plateau du Golan, en Syrie.

De son côté, la Turquie a confirmé qu'elle souhaitait acheter davantage de gaz et de pétrole à l'Iran. Motivés par le besoin de la Russie de contourner les sanctions, les pays alliés tels que l'Iran, la Syrie et la Turquie pourraient faire l'objet de nouvelles sanctions de l'UE si les projets sont maintenus.

La croissance continue des exportations iraniennes malgré les sanctions n'est pas une coïncidence. Depuis la révolution de 1979, l'État iranien a trouvé, par le biais de divers mécanismes, des bastions lui permettant de continuer à vendre son pétrole et son gaz à l'Europe du Sud et de l'Est, ainsi qu'au reste du monde.

Campo petrolífero en territorio Kurdo - PHOTO/ARCHIVO
Champ pétrolier en territoire kurde - PHOTO/ARCHIVO

Le maintien de ces routes pendant des décennies est devenu une source de fierté dans la politique nationale iranienne. Les projets de Téhéran et de Moscou, s'ils se réalisent, pourraient avoir des conséquences considérables pour la sécurité du Moyen-Orient et de l'Occident dans les années à venir.

Acheter du pétrole irakien, iranien ou russe : le dilemme de l'Occident 

La forte consommation d'énergie de l'Europe par rapport à ses ressources disponibles a toujours été un problème majeur pour les gouvernements des nations qui composent l'Union européenne (UE). La question de savoir s'il faut ou non acheter des hydrocarbures à ces pays a toujours fait l'objet d'un débat au Parlement européen. L'application de sanctions et le maintien des importations sont des concepts contradictoires. 

Úrsula Von Der Leyen, presidenta de la Comisión Europea durante la sesión de aprobación del primer paquete de sanciones contra Rusia - PHOTO/ATALAYAR
Ursula Von Der Leyen, présidente de la Commission européenne, lors de la session d'approbation du premier paquet de sanctions contre la Russie - PHOTO/ARCHIVO

Aujourd'hui, les champs pétroliers partagés entre l'Iran et l'Irak restent le point de départ de la plupart des flux énergétiques illégaux. Les deux parties continuent de forer dans le même champ, ce qui rend impossible la détermination de l'origine du pétrole produit. 

L'Iran a simplement changé le nom de son pétrole (sanctionné) en pétrole irakien (illégal) avec le plein consentement de Bagdad, où Téhéran exerce depuis longtemps une énorme influence par l'intermédiaire de ses mandataires économiques, politiques et militaires.

Bijan Namdar Zangeneh, ministro de petróleo iraní - PHOTO/ARCHIVO
Bijan Namdar Zangeneh, ancien ministre iranien du pétrole - PHOTO/ARCHIVO

On sait que le pétrole va là où l'Iran veut qu'il aille. Le processus de dissimulation de l'origine du pétrole brut ne se limite pas à de simples modifications des documents de transport. "Ce que nous exportons n'est pas au nom de l'Iran", a déclaré le ministre iranien du pétrole, Bijan Namdar Zangeneh, en 2020. "Les documents changent constamment, tout comme les spécifications", a-t-il ajouté. 

À cet égard, le pétrole iranien (rebaptisé pétrole irakien) tend à se diriger vers de grandes enclaves. La première est l'Asie, dont la principale destination est la Chine, et la seconde est l'Europe du Sud et de l'Est, en particulier les ports moins restrictifs tels que l'Albanie, le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, la Macédoine, la Croatie et d'autres. L'établissement d'un pont terrestre avec le sud du Liban et la région du plateau du Golan en Syrie aurait un effet multiplicateur en renforçant le pouvoir du Corps des gardiens de la révolution iranien.  

Soldados israelíes patrullando en la frontera de Israel con los Altos del Golán en Siria - PHOTO/ARCHIVO
Soldats israéliens patrouillant à la frontière entre Israël et le plateau du Golan, en Syrie - PHOTO/ARCHIVO

Bagdad s'efforce de rétablir un pipeline direct vers la ville côtière turque de Ceyhan, ce qui obligerait Téhéran à considérer cet itinéraire entre l'Iran, l'Irak et la Turquie comme plus fiable. Toutes les voies de transit approuvées pour le transport du pétrole iranien vers l'Europe du Sud et de l'Est via l'Irak seront ouvertes à la Russie, même si l'Asie (et la Chine) sera moins préoccupée par le respect des sanctions imposées par les États-Unis, et non par l'Europe. 

"Il est nécessaire d'envisager l'utilisation des infrastructures existantes et la création de nouvelles infrastructures pour accéder aux marchés", a déclaré Mojtaba Damircilou, secrétaire général du département eurasien du ministère iranien des Affaires étrangères. "La coopération dans ce domaine a commencé et nous avons une vision claire", a-t-il ajouté. 

L'oléoduc devrait relier Kirkouk, en Irak, au port de Baniyas, qui surplombe la côte méditerranéenne de la Syrie, en passant par la ville de Haditha, en Irak, avec une capacité initiale de 300 000 bpj. La Russie est tenue de participer aux deux plans et ce point reste inchangé. 

Campo petrolífero de Nahr Bin Umar, al norte de Basora, Irak - REUTERS/ESSAM AL-SUDANI
Champ pétrolier de Nahr Bin Umar, au nord de Bassorah, en Irak - REUTERS/ESSAM AL-SUDANI

Quel est le rôle de la Syrie ? 

L'alliance entre la Russie, l'Iran et la Syrie préoccupe la communauté internationale en raison de son impact potentiel sur la stabilité du Moyen-Orient. L'objectif de l'Iran est d'unir les nations musulmanes du monde dans ce qu'il considère comme "une lutte pour la survie contre l'alliance occidentale centrée sur les États-Unis".

La Syrie, sous le règne du président Bachar el-Assad, soutenu par la Russie et l'Iran, offre à Moscou quatre énormes avantages stratégiques. Premièrement, la Syrie est le plus grand pays de la partie occidentale de la zone de pouvoir chiite que la Russie a développée au fil des ans pour contrer la sphère d'influence américaine centrée sur l'Arabie saoudite et Israël.

Deuxièmement, le pays dispose d'une longue côte méditerranéenne, par laquelle il peut transporter des produits pétroliers pour l'exportation financière, ainsi que des armes et d'autres matériels militaires pour l'exportation politique. Troisièmement, la Syrie reste une importante plaque tournante militaire russe avec un grand port maritime (Tartous), une grande base aérienne (Lattaquié) et un grand poste d'écoute (près de Lattaquié).

Soldados turcos patrullan la ciudad kurda siria del norte de Tal Abyad, en la frontera entre Siria y Turquía - AFP/BAKR ALKASEM
Soldats turcs patrouillant dans la ville kurde de Tal Abyad, au nord de la Syrie, à la frontière syro-turque - AFP/BAKR ALKASEM

Quatrièmement, pour le reste du Moyen-Orient, elle met en évidence la capacité de la Russie à agir aux côtés de forces autoritaires dans toute la région. Cette alliance stratégique pourrait avoir un impact significatif sur la stabilité au Moyen-Orient, et il est donc important que les puissances mondiales surveillent de près cette évolution.