Les Iraniens se sont heurtés à une résistance religieuse et sociale fondée sur la foi au Maroc, à l'extrémité occidentale du monde arabe

Les ambitions frustrées de l'Iran en Afrique du Nord

On voyait récemment les Iraniens frappaient aux portes, qui leur étaient fermées, en Afrique du Nord. Ils tentaient de revenir dans la région en rétablissant les relations diplomatiques rompues avec certains pays clés, en particulier le Maroc et l'Égypte.   

Dans un moment de grande illusion, Téhéran a cru pouvoir réaliser des percées majeures en Afrique du Nord, à la hauteur des progrès qu’il a accomplis dans le reste du continent africain. Dans son ambition, qui frôlait le délire, Tehran a cherché à substituer ses visées  au projet de prosélytisme wahhabite en Afrique, qui était financièrement soutenu par l’Arabie Saoudite. Les auteurs de ce projet s’étaient empressés, malgré les importants progrès réalisés, de plier bagages et partir après les attentats du 11 septembre, 200. Ils avaient compris que les Américains étaient sérieux lorsqu’ils disaient qu’ils n’allaient plus tolérer dans l’avenir un tel comportement de la part des Saoudiens.   

Les Iraniens se sont trouvés alors débarrassés de toute concurrence politique et financière. Ils n’avaient qu'à changer de slogans et d’operateurs pour mener leur prosélytisme à eux. Cela a donné lieu en fin de compte à l’émergence de versions africaines du Hezbollah.  

Les Iraniens pensent que l'offensive de charme, qui a donné de bons résultats pour les Saoudiens, pouvait également marcher pour eux en Afrique du Nord. Il ne fait aucun doute que la rupture diplomatique ne constitue pas la situation normale entre les nations. Mais lorsqu'un pays voit sa sécurité nationale menacée sur plusieurs fronts, que peut-il faire d’autre?   

Si une école iranienne dans une capitale nord-africaine s’adonne à toutes sortes d’activités sauf celles incombant à une véritable école, le pays concerné a-t-il d’autres options que de rompre avec Téhéran? 

Et si la quête iranienne de conversions sectaires au sein des populations locales est une réalité avérée, que ce soit à l'intérieur des frontières du pays concerné ou au sein de communautés d’expatriés de ce pays en Europe, tache généralement plus facile, Téhéran ne laisserait que peu de marge de manœuvre à tout État soucieux de préserver sa sécurité sociale et politique. Cela est d’autant plus vrai que l'Iran n’a jamais caché son intention stratégique d'exporter sa révolution.

Il est trop tôt pour juger des résultats de la politique iranienne dite de "zéro problèmes". En réalité, il n'existe pas de politique iranienne de "zéro problèmes" dans la partie orientale du monde arabe. L'Iran se contente de gérer ses crises avec les pays de cette région en profitant de la volonté des EAU de désamorcer les différentes crises tandis que l'Arabie saoudite tente de se rattraper dans ce processus.  

Une ligne géographique sépare les deux politiques iraniennes de "gestion de crise" dans la zone orientale du monde arabe, d’un part, et celle dite-de "zéro problèmes" en Afrique du Nord, d’une autre part. Cette ligne traverse la frontière entre l'Égypte et Gaza, car la question palestinienne est au cœur des efforts déployés par Téhéran pour maintenir son emprise sur les instruments de création de troubles qui constituent le soubassement de son influence, notamment par l'intermédiaire du Jihad islamique et du Hamas à Gaza. Cette ligne se déplace ensuite vers le sud, pour contourner l'Égypte avant de s’orienter vers la vallée du Nil au Soudan ou l’Iran cherche à protéger son projet Houthi et à influencer l'Arabie saoudite.  

L'échec est à la base de l'activité diplomatique de l'Iran et de ses ambitions. Les Iraniens n'ont pas été en mesure de réaliser des percées significatives en Afrique du Nord pour diverses raisons. L'une d'entre elles est qu'ils ne disposent pas d'une base régionale de soutien sectaire, comme c'est le cas dans la partie orientale du monde arabe. Les Iraniens n'ont pas bénéficié du soutien humain nécessaire qui leur aurait permis d'essayer d'imposer un fait accompli. C'est ce qui explique leur intérêt précoce, par exemple, pour les mariages  entre Iraniens et les hommes et les femmes originaires de pays d'Afrique du Nord. 

Les Iraniens se sont heurtés à une résistance religieuse et sociale fondée sur la foi au Maroc, à l'extrémité occidentale du monde arabe. Cette résistance s'est concentrée autour de la ville de Fès, fondée sur l'allégeance aux dirigeants du royaume alaouite. Cette résistance, au grand étonnement des Iraniens, était si profondément ancrée qu'elle a empêché leur expansion sectaire au Sahel, au Sahara et dans le bassin du fleuve Sénégal.   

L'autorité religieuse pour cette masse humaine se trouve à Fès et il n'est guère possible d'envisager de la remplacer socialement avant de l'examiner politiquement sous tous les angles.  

Les Iraniens comptaient sur les bouleversements politiques et sociaux provoqués par le "printemps arabe" et la montée en puissance des Frères musulmans. À un moment donné, la confrérie semblait dominer toute l'Afrique du Nord. Elle cherchait alors à remplacer les valeurs religieuses soufies traditionnelles par un système propice aux Frères musulmans et fondé sur la coopération avec l'Iran. Les questions défendues par la confrérie étaient à l'ordre du jour durant cette période et la vague du-dit "printemps" semblait s'étendre, alors pourquoi ne pas profiter de l'occasion ?  

Mais les régimes issus de la confrérie ont échoué à plus d'un égard. Le coup fatal pour les Frères Musulmans a été la chute du régime de l'ancien président égyptien Mohamed Morsi après un soulèvement populaire dans lequel l'armée est intervenue de manière décisive. Le règne des Frères musulmans a succombé à la faillite morale en Tunisie avant que le président Kais Saied ne lui porte le coup de grâce. Au Maroc, la chute retentissante de la confrérie a suivi leur contrôle du gouvernement pendant plus d'une décennie. En Libye, les rênes du pouvoir sont tenues par un mélange d'intérêts particuliers et d'influence de la part des Frères musulmans. Mais le maréchal Khalifa Haftar s'est opposé à la confrérie dès le début. En Algérie, la confrérie est aujourd'hui l'un des outils utilisés par le gouvernement et par les militaires pour asseoir leur pouvoir et distraire leurs opposants.  

La politique dite-de "zéro problèmes" de Téhéran comporte une autre dimension importante. Les ambitions des grandes puissances se confrontent en Afrique. L'Iran peut, peut-être, établir des bases de soutien politiquement loyales aux Hezbollahs d'Afrique. Mais il n'a ni les moyens financiers ni les capacités politiques d'accroître son poids face aux grandes puissances. L'Iran peut-il réaliser ce que la France, puissance historique en Afrique, n'a pas réussi à faire ? Comment peut-il rivaliser avec les Chinois ou les Américains ? Comment peut-il même rivaliser en termes d'influence avec les Turcs, bien qu’ils soient relativement un petit joueur ?  

iran-raisi

Il ne faut cependant pas sous-estimer la relation irano-russe. Les Iraniens et les Russes coordonnent leurs actions dans une large mesure dans de nombreux pays du monde. Il n'est pas exclu qu'ils coordonnent leurs activités à différents niveaux en Afrique, en général, et en Afrique du Nord, en particulier. Le groupe Wagner est une milice payée par les Russes, tandis que les brigades du Hezbollah sont une milice financée par l'Iran. Les modèles ne sont pas très différents. La différence réside dans le fait que les ambitions de l'Iran dépassent le simple opportunisme à court terme. Téhéran cherche à réaliser des changements profonds qui feraient de sa présence en Afrique, et en particulier en Afrique du Nord, une realité sectaire pérenne.  

D'autre part, il ne faut pas sous-estimer l'intérêt que l'Iran porte à l'Afrique du Nord. Les relations diplomatiques sont peut-être rompues avec le Maroc et l'Égypte, mais l'Iran jouit d'un capital de sympathie dans d'autres pays de la région. Il s’appuie sur un discours fondé sur les positions du Hezbollah, la confrontation avec Israël et l’hostilité à la normalisation, ainsi que sur le soutien à la cause palestinienne. Les Tunisiens, par exemple, sont enthousiasmés par ces questions et voient l'Iran sous cet angle. Les Iraniens s’efforcent de gagner la sympathie des intellectuels tunisiens. Le hall d'un des grands hôtels de Tunis, non loin du siège du ministère tunisien des Affaires étrangères, est parfois animé par de nombreux Iraniens. On a l'impression que quelqu'un est en train de tourner un film sur Téhéran dans un décor oriental, comme il est d'usage lorsque des films sont tournés dans des lieux arabes alors que leurs péripéties se déroulent en fait en Iran ou en Afghanistan.   

Certains artistes et intellectuels égyptiens se rendent également en Irak à l'invitation d'institutions iraniennes ou pro-iraniennes. Entre les discussions sur la guerre contre l'extrémisme, l’État islamique et d'autres questions liées à l'hégémonie américaine et aux agressions israéliennes, la vision iranienne du monde est mise en exergue.  

Un intellectuel nord-africain estime souvent que l'Iran est plus proche de lui qu'Israël ou les États-Unis. Les développements dans la partie orientale du monde arabe sont secondaires pour lui tant que leurs résultats vont à l'encontre des intérêts israéliens.  

Les Iraniens n'ont plus grand-chose à réaliser à l'ouest de la ligne de démarcation séparant les deux parties du monde arabe. C'est ce qui est à l'origine de leur politique dite-de "zéro problèmes".   

Dans quelle mesure le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, parviendra-t-il à ordonner à ses diplomates de continuer à frapper aux portes ? En fait, tout dépend de qui ouvrira la porte et de qui la gardera fermée. Mais l'État d'Amir-Abdollahian est habitué à attendre. 

Le Dr Haitham El-Zobaidi est le Directeur de la Rédaction de la maison d'édition Al Arab Publishing House.