L'Algérie mise sur le soufisme comme diplomatie douce pour apaiser les tensions au Sahel

L'Algérie a recours au pouvoir doux des ordres soufis pour apaiser les tensions diplomatiques croissantes avec les pays du Sahel, misant sur leur influence spirituelle et sociale dans un contexte de crise politique. Lors d'une visite très médiatisée, le calife général de l'ordre Tijaniyya, Ali Belarabi, s'est rendu au Burkina Faso à bord d'un avion présidentiel et accompagné d'une délégation officielle, ce qui suggère une coordination directe avec les autorités algériennes.
Pendant une semaine, Belarabi a supervisé des activités religieuses à Ouagadougou, mais son agenda comprenait également des réunions avec de hauts responsables du gouvernement burkinabé, révélant ainsi la dimension politique de sa présence. Tout indique que cette visite s'inscrit dans une tentative de désamorcer la crise diplomatique qui s'est aggravée après la destruction d'un drone malien par l'armée algérienne début avril, un événement qui a précipité une vague de mesures telles que le retrait des ambassadeurs et la fermeture de l'espace aérien entre l'Algérie, le Mali, le Niger et le Burkina Faso.
Dans des déclarations publiques, Belarabi a souligné la nécessité de renforcer les liens spirituels et sociaux entre les peuples comme antidote à l'extrémisme et à la fragmentation politique. « C'est une épreuve que traversent les nations, et la seule solution est l'unité d'opinion et la primauté de l'intérêt national sur toute autre considération », a-t-il déclaré après avoir rencontré le conseiller présidentiel burkinabé, Boubacar Doukouré, selon Al-Arab.
L'ordre Tijaniyya, qui jouit d'une présence historique et profonde au Sahel et en Afrique de l'Ouest, semble se positionner comme un canal alternatif de médiation dans une région de plus en plus secouée par la concurrence géopolitique et l'activité des groupes armés djihadistes. Les analystes interprètent cette visite comme une manœuvre soigneusement orchestrée par Alger pour rétablir les ponts diplomatiques que les canaux officiels n'ont pas réussi à reconstruire.
L'utilisation d'un avion présidentiel et le déploiement de mesures de sécurité renforcent l'impression que cette initiative a bénéficié du soutien de l'État. C'est la première fois qu'un chef religieux soufi algérien effectue un déplacement de ce type avec un tel dispositif logistique, ce qui fait de ce voyage un geste politique en soi.

L'accueil réservé au cheikh Belarabi au Burkina Faso a été à la fois officiel et populaire. Il a rencontré des dirigeants gouvernementaux, des dignitaires et de nombreux partisans de l'ordre, consolidant ainsi son image de figure de consensus et de médiateur crédible. Son discours a mis en garde contre le danger de la polarisation idéologique au Sahel, la progression des mouvements extrémistes et le risque que la région devienne un foyer permanent d'insécurité.
Malgré l'essor de nouveaux courants religieux, les écoles soufies continuent d'avoir un poids significatif dans la société algérienne et au-delà. Des villes comme Ain Madhi et Ouargla restent des épicentres du soufisme, attirant des milliers de fidèles du continent africain, ce qui renforce le rôle de l'Algérie en tant que centre spirituel capable d'exercer une influence régionale.
La visite au Burkina Faso ne serait pas un événement isolé, mais s'inscrirait dans une série de déplacements prévus dans d'autres pays du Sahel, tels que le Tchad et la Libye, afin de tisser un réseau diplomatique spirituel parallèle. L'Algérie cherche ainsi à renouer avec ses voisins à travers les liens historiques et religieux qui les unissent, au-delà des tensions politiques conjoncturelles.

La figure du calife Tijaniyya pourrait être plus efficace pour atteindre la base sociale que le discours des dirigeants politiques, car la spiritualité partagée se présente comme une voie alternative et complémentaire pour freiner l'escalade et ouvrir un espace de réconciliation.
Les autorités algériennes espèrent que ce type d'initiatives, combinées à des efforts visant à lutter contre la désinformation sur les réseaux sociaux et dans les médias, contribueront à apaiser les tensions. En effet, lors d'un récent forum africain sur la cybersécurité organisé à Alger, le rôle des ordres soufis en tant qu'agents de paix face aux campagnes de haine et de polarisation numérique qui circulent sur le continent a été souligné.