Opération Promesse Royale 2 : Téhéran a-t-il changé sa stratégie de sécurité nationale ?

Combatientes hutíes recién reclutados durante una manifestación para conmemorar al difunto líder del Hezbolá del Líbano, Hassan Nasrallah, y para mostrar apoyo a los palestinos en la Franja de Gaza, en Saná, Yemen - REUTERS/KHALED ABDULLAH
Des combattants houthis nouvellement recrutés lors d'une manifestation à la mémoire du défunt chef du Hezbollah libanais Hassan Nasrallah et en soutien aux Palestiniens de la bande de Gaza, à Sanaa, au Yémen - REUTERS/KHALED ABDULLAH
Le 1er octobre, le monde a vu l'Iran lancer sa deuxième attaque directe contre Israël, après environ six mois. Sous le nom de code «  Opération Promesse Royale 2 », l'attaque était la riposte de Téhéran à l'assassinat par Israël des principaux dirigeants politico-militaires de l' « Axe » de la Résistance et de ses hauts commandants du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI)
  1. La stratégie de sécurité nationale de l'Iran
  2. Opération Promesse Royale 2 
  3. Un bourbier stratégique ?

Le nom de code fait écho à sa première frappe directe contre Israël, l'Opération Promesse Royale 2, et reflète l'intention de Téhéran de consolider, voire de renforcer, sa position dans ce qui semble être un conflit prolongé, allant des assassinats fondés sur le renseignement à la confrontation tactique.

Démontrant sa capacité tactique et opérationnelle, les auteurs affirment que ces représailles visaient à envoyer un message à Israël pour qu'il reconsidère toute agression future contre l'Iran. Cela dit, il n'est pas certain que les dernières représailles de Téhéran aient atteint un quelconque objectif. 

Toutefois, les dernières représailles de Téhéran indiquent des changements significatifs dans sa stratégie de sécurité nationale. Les incursions israéliennes sur le territoire libanais semblant plus que probables, Téhéran dispose de moins d'options tactiques, ce qui ne lui laisse d'autre choix que d'élever son statut d'État nucléaire et de relever le seuil d'une éventuelle guerre régionale dans l'intention de dissuader la puissance militaire israélienne. 

La stratégie de sécurité nationale de l'Iran

Depuis des décennies, les représailles de Téhéran contre Israël reposent sur deux options tactiques fondamentales :

  • L'utilisation d'un vaste arsenal de véhicules aériens sans pilote et de la technologie des missiles. 
  • Le recours à des mandataires pour mener l'assaut terrestre, principalement le Hezbollah au Liban. 

Lors d'un entretien avec les auteurs, un ancien commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique a défini ces éléments comme les piliers de la doctrine de défense avancée de Téhéran, qui vise à consolider et à étendre le pouvoir de Téhéran au Moyen-Orient et à dissuader les adversaires (quels qu'ils soient) de franchir ses frontières. Autrefois considérée comme le fer de lance de la stratégie de sécurité nationale de l'Iran, la défense avancée semble être mise à rude épreuve par la guerre d'usure que se livrent les forces de défense israéliennes et leur « Axe », avec des succès limités ou nuls après le mois d'avril, ce qui n'a eu aucun impact sur la position tactique d'Israël ni sur sa prévoyance stratégique.

Au lieu de cela, les représailles de Téhéran en avril ont pris la forme d'une frappe de l'armée de l'air israélienne sur un bâtiment annexe du consulat iranien (qui abritait également la résidence de l'ambassadeur iranien) dans l'enceinte de l'ambassade iranienne à Damas. Destinée à cibler directement Israël, l'attaque de Téhéran contre Israël le 1er avril avait pour but de mettre un terme à tout assassinat d'Israéliens à l'avenir, peut-être en traçant une ligne, et de mettre un terme à toute perte politico-militaire à l'intérieur de l'Iran ou ailleurs au Moyen-Orient. 

Cela dit, la riposte de Téhéran le 1er avril a encore renforcé la détermination israélienne. Après l'attaque de Téhéran contre Israël, l'armée de l'air israélienne a effectué une frappe aérienne dans la banlieue sud de Beyrouth, tuant Fouad Shukr, haut commandant du Hezbollah et citoyen libanais. Cette attaque a été suivie par l'assassinat du chef du Hamas, Ismail Haniyeh, quelques heures seulement après l'investiture du président Masoud Pezeshkian, dans la banlieue de Téhéran, une erreur tactique considérée par de nombreux Iraniens, qui ont même qualifié l'assassinat de « franchissement d'une ligne ». Ces attaques ont été menées en représailles à l'attaque à la roquette du Hezbollah contre un village druze le 27 juillet, qui a coûté la vie à plus de 12 enfants, entre autres. 

La semaine suivante, tant les dirigeants politiques iraniens que les commandants du Hamas et du Hezbollah ont juré de se venger. Toutefois, le Hamas et Téhéran (parmi d'autres groupes interposés) se sont abstenus de mener des attaques à l'intérieur d'Israël, peut-être pour soutenir le compromis de cessez-le-feu qui avait alors été conclu à propos de Gaza.

Selon les auteurs, en faisant preuve de retenue tactique, Téhéran a obtenu ce qu'il ne pouvait pas obtenir par une action tactique : mettre fin aux offensives israéliennes contre son Axe, même si ce n'est que temporairement. Cela dit, les combattants du Hezbollah semblaient agités et cherchaient à se venger de l'assassinat de leur commandant, Fouad Shukr, ce qui a peut-être détourné le groupe mandataire des directives de Téhéran pour « faire preuve de retenue tactique » en menant plus de 300 attaques à la roquette à l'intérieur d'Israël. Le Hezbollah s'est ainsi retrouvé dans le collimateur d'Israël. 

Ne tirant aucune leçon de l'escalade israélienne, la détermination d'Israël à décapiter les dirigeants du Hezbollah n'a pas été mentionnée dans les cordons stratégiques et militaires de Téhéran. Le 27 septembre, une frappe aérienne israélienne a tué Hassan Nasrallah, alors secrétaire général du Hezbollah, mettant hors d'état de nuire l'élément le plus crucial reliant Téhéran à son groupe mandataire, tout en compromettant sérieusement sa capacité opérationnelle en tuant son commandant adjoint des opérations, le général de brigade Abbas Nilforoushan.

Si la mort de Nasrallah a été ressentie dans tout le Moyen-Orient, l'assassinat du général de brigade Nilforoushan a été ressenti dans les couloirs militaires de Téhéran. L'attaque n'a pas seulement démontré la détermination tactique israélienne contre le Hezbollah, elle a également mis en évidence l'incapacité de Téhéran à défendre (ou plutôt à protéger) ses dirigeants par procuration contre les attaques israéliennes. 

Les propos tenus par Hassan Nasrallah à la suite de l'attaque n'étaient que pure rhétorique. Téhéran s'est fait l'écho de sa détermination à dissuader toute menace contre Israël, réaffirmant même son engagement envers la population de Gaza tout en appelant l'ensemble du monde musulman à s'unir contre Israël. Le 30 septembre, le ministère iranien des affaires étrangères a publié un communiqué déclarant son intention de ne pas déployer de forces militaires au Liban et à Gaza.

L'ayatollah a également préconisé l'utilisation de son « Axe » pour dissuader Israël sur les champs de bataille. C'est à ce moment-là que Téhéran aurait pu se trouver face à un dilemme. Le lancement d'une opération militaire conventionnelle contre Israël augmenterait sans aucun doute les enjeux d'une guerre régionale, en attirant les États-Unis, technologiquement supérieurs et tactiquement compétents.  La retenue tactique pourrait ternir la réputation de Téhéran au sein de son « Axe », provoquant le chaos au sein de ses groupes de mandataires soigneusement élaborés et stratégiquement construits, qui sont au cœur de sa politique au Moyen-Orient et de sa survie potentielle. La décision de Téhéran de s'abstenir de s'engager avec des groupes mandataires autres que le Hamas/Hezbollah - tels que le réseau de milices formées par des combattants chiites en Syrie, au Yémen et en Irak - et de s'engager dans des représailles tactiques contre Israël reste, à ce jour, un mystère, même pour les anciens dirigeants politico-militaires de Téhéran. Les auteurs ont ensuite mené une série d'entretiens avec d'anciens responsables politico-militaires afin de comprendre la perception qu'a Téhéran de la perte de leadership du Hezbollah/Hamas, ce qui a mis en évidence la réticence de Téhéran à accepter une position ou une influence considérablement affaiblie dans la région. 

Le simple sentiment de perdre son prestige en tant que puissance régionale a trouvé un écho au sein même de la direction militaire de l'Iran. Dans un cas, un ancien commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique a affirmé que des commandants militaires de haut rang s'étaient fait l'écho de l'opinion selon laquelle la Syrie et l'Irak seraient les prochaines cibles après le Liban, suivies d'une invasion combinée américano-israélienne de l'Iran lui-même. Interrogé plus avant, un ancien commandant du CGRI a affirmé qu'il s'agissait d'un cas isolé, mais il s'est fait l'écho d'une discussion et d'une argumentation unanimes au sein de la hiérarchie militaire, notamment en évoquant la possibilité d'une réponse militaire préventive et en contrant les offensives israéliennes de manière proactive, plutôt que de montrer son image de vulnérabilité et de désespoir. 

La déclaration susmentionnée a été reprise même par les Iraniens locaux, qui ont vivement critiqué le président réformateur pour son intention de renouer diplomatiquement avec l'Occident (beaucoup le considéraient comme ayant apaisé l'Occident en temps de guerre), en donnant la priorité à un éventuel accord nucléaire et en ignorant sa responsabilité à l'égard des partenaires régionaux. Nombreux sont ceux qui ont affirmé qu'une réponse sévère de Téhéran après l'assassinat d'Ismail Haniyeh aurait pu sauver Hassan Nasrallah, soulignant une possible paralysie dans la prise de décision au sein de la haute hiérarchie politico-militaire iranienne. La rhétorique persistante de l'Iran à l'encontre d'Israël, même après avoir possédé un arsenal composé d'un grand nombre de missiles et de véhicules aériens sans pilote, renforcé par ses vastes capacités de l'« axe », est apparue substantiellement faible. Il ne serait pas faux d'affirmer que l'attaque à la roquette lancée par Téhéran en avril s'est retournée contre lui, car elle a non seulement intensifié les attaques israéliennes contre ses mandataires, mais a également semé le désarroi dans ses rangs, ce qui pourrait empêcher son précieux mandataire, le Hezbollah, de créer des contre-manœuvres efficaces pour décourager une invasion israélienne du Liban. 

Opération Promesse Royale 2 

L'Iran a ensuite riposté le 1er octobre, une riposte totalement différente, qui s'écartait sensiblement de l'attaque d'avril. 

Lors de l'attaque d'avril, l'arsenal de Téhéran était diversifié. Il comprenait un mélange de missiles balistiques capables d'atteindre des cibles en quelques minutes, renforcés par des véhicules aériens sans pilote et des missiles de croisière, qui mettaient des heures à atteindre leur destination. Par rapport à l'attaque d'octobre, la réponse de Téhéran s'est limitée à l'utilisation de missiles balistiques, dans l'intention de raccourcir le délai et de submerger les défenses aériennes israéliennes.

L'Iran a également utilisé moins de missiles balistiques que lors de l'attaque d'avril, mais a introduit l'une des armes les plus avancées de son arsenal, le Fattah-1. En comparant les attaques d'avril et d'octobre de l'Iran, les auteurs concluent que cette dernière s'est concentrée sur l'attaque d'infrastructures militaires israéliennes critiques. Bien que les dégâts constatés aient été minimes, il semble que les installations militaires israéliennes aient été délibérément ciblées afin de minimiser les pertes humaines. 

Cela dit, l'attaque d'octobre de Téhéran n'a pas donné lieu à des avertissements diplomatiques - du moins leur fréquence n'a pas été la même qu'en avril. Téhéran a toutefois envoyé quelques indications à Washington, selon un fonctionnaire du département d'État. Mais on est loin de l'avertissement spécifique que Téhéran a adressé à ses alliés régionaux, leur demandant d'évacuer toutes les bases américaines de leur territoire. Téhéran a toutefois indiqué que les deux attaques étaient des représailles à l'agression israélienne, mais la dernière attaque reflétait son intention de ne pas poursuivre l'escalade, ce qui traduit peut-être son intention de « gérer », voire de contrôler, la situation actuelle. 

Un bourbier stratégique ?

L'approche tactique de Téhéran visant à dissuader Israël (au Liban ou dans ses attaques continues contre ses dirigeants de l'« Axe » 1/2) ou à le forcer à recalibrer ses manœuvres tactiques (voire à modifier son jeu stratégique plus large) n'a pas eu d'impact. Au lieu de cela, les auteurs considèrent que Téhéran semble avoir lancé des missiles et supposent que cela symbolise automatiquement un effet dissuasif, émettant l'hypothèse de son efficacité au moins sur le papier. Cela dit, on s'attend à ce qu'Israël riposte plus sévèrement/agressivement qu'après le mois d'avril. Aujourd'hui encore, des experts à Jérusalem sont d'avis que les dirigeants israéliens prévoient une attaque musclée contre l'Iran. 

Compte tenu de ce qui précède, Israël n'hésitera pas à attaquer les sites nucléaires iraniens, en particulier la principale installation d'enrichissement de Natanz (qui abrite l'Usine commerciale d'enrichissement de combustible (FEP) et l'Usine pilote d'enrichissement de combustible (PFEP)) ainsi que deux bâtiments en surface utilisés pour les assemblages de centrifugeuses à gaz. Il pourrait également viser ses principales raffineries de pétrole à Ispahan et Abadan, ses installations gazières offshore dans le golfe Persique, ou paralyser sa chaîne d'approvisionnement en détruisant Bandar Abbas jusqu'à ses fondations.

Chacune de ces attaques pourrait paralyser les capacités économiques et opérationnelles de l'Iran. En outre, selon un expert basé à Téhéran, Israël pourrait attaquer les installations militaires iraniennes, telles que les chaînes de montage et les installations de production du système de missiles iranien. Une telle attaque pourrait paralyser Téhéran beaucoup plus rapidement (en quelque sorte temporairement) sans susciter un grand émoi parmi les communautés internationales et les alliés régionaux en raison des répercussions d'éventuelles retombées nucléaires. 

Même en supposant que Tel-Aviv mène une attaque sur le sol iranien, les représailles de Téhéran contre Israël interviendraient sinon des semaines, du moins des mois plus tard (comme on l'a vu depuis avril et octobre) sans grand effet, renforçant l'argument de son incapacité à protéger le prestige du Hezbollah « autrefois redouté », ce qui pourrait affaiblir davantage la position de Téhéran dans la région tout en suscitant des soupçons quant à l'efficacité de sa stratégie actuelle, même parmi les membres de l'« Axe ».

D'un point de vue tactique, selon les auteurs, l'Opération Promesse Royale 2 peut être considérée comme plus avancée que celle d'avril, mais elle a démontré une fois de plus la dépendance de Téhéran à l'égard des missiles balistiques intercontinentaux à longue portée - bien qu'équipés d'une technologie sophistiquée - qui pourraient ne pas être suffisants pour contrer les manœuvres tactiques israéliennes à longue distance ou pour contrer stratégiquement la puissance militaire israélienne dans une guerre à grande échelle. 

Dans l'hypothèse où l'Iran deviendrait un État nucléaire, il possède tous les éléments nécessaires à la fabrication d'une arme nucléaire. Il possède 

  • Le savoir-faire nécessaire. 
  • Des matières fissiles. 
  • Des vecteurs. 
  • Des installations pour abriter des centrifugeuses. 

Il ne lui manque plus que la « bonne motivation » pour en installer une. Bien que Téhéran affirme catégoriquement que son programme nucléaire est strictement destiné à des fins pacifiques, la possibilité d'utiliser l'arme contre Israël doit avoir traversé l'esprit des dirigeants politiques de Téhéran. 

Cela signifie que les dirigeants militaires et politiques de Téhéran ne sont pas aveugles au point de ne pas se rendre compte de la puissance d'une attaque israélienne contre ses installations nucléaires. 

Cela signifie qu'un Téhéran doté d'une capacité nucléaire renforcerait plus efficacement ses frontières en intégrant sa politique nucléaire à sa stratégie de sécurité nationale. Étant donné que l'utilisation de missiles et d'éléments de substitution sera toujours efficace à tout moment contre une force de défense israélienne technologiquement compétente et tactiquement supérieure, toute pression de Jérusalem pourrait forcer les dirigeants politiques iraniens à plaider ouvertement en faveur d'une arme nucléaire. 

Cela pourrait peut-être donner un ordre urgent au programme d'armement nucléaire de Téhéran, dans le but d'inspirer la peur aux adversaires régionaux, en particulier Israël et les États-Unis. Cela signifierait que l'attaque du 1er octobre a envoyé un message de prudence à Israël en démontrant que le Fattah-1 est l'un des nombreux vecteurs de son arsenal capables de transporter une charge nucléaire, créant ainsi un équilibre stratégique. 

Compte tenu de la rhétorique nucléaire émanant de l'espace politique iranien et de la saga des représailles inefficaces et retardées qui reflète son bourbier stratégique entre les alliés régionaux et l'« Axe », l'option atomique semble être son dernier recours. Alors que les partisans de la ligne dure commencent à remettre en question l'efficacité de la défense avancée, Téhéran semble explorer toutes les voies possibles dans sa quête d'une dissuasion crédible face aux manœuvres tactiques israéliennes. 

Anant Mishra est professeur invité à l'International Policing and Security Centre de l'université de South Wales. 

Christian Kaunert est professeur de sécurité internationale à la Dublin City University, en Irlande. 

IFIMES - International Institute for Middle East and Balkan Studies, basé à Ljubljana, en Slovénie, bénéficie d'un statut consultatif spécial auprès de l'ECOSOC/ONU, à New York, depuis 2018 et est rédacteur en chef de la revue scientifique internationale « European Perspectives ».