Le danger djihadiste migre-t-il illégalement ? La réalité sur l'origine du djihadisme en Espagne

Une fois de plus, le djihadisme est utilisé à son avantage pour soutenir des idées xénophobes et racistes, cette fois-ci contre les flux migratoires en provenance d'Afrique et des pays arabes. Cependant, contrairement à ce que prétendent certains partis politiques et certaines conversations dans les "bars", la réalité s'avère différente.
Sur la base d'une étude réalisée par le Real Instituto Elcano en 2019, dirigée par Fernando Reinares, Carola García-Calvo et Álvaro Vicente1, il a été possible d'analyser les différentes caractéristiques des djihadistes condamnés ou tués en Espagne du 11-M à 2018. En prenant les données fournies comme source, il est possible de vérifier les différentes poches de radicalisation djihadiste sur le sol espagnol, en appréciant un changement de tendance depuis 2011, coïncidant avec l'émergence de Daech et l'établissement ultérieur du Califat.
En ce qui concerne la nationalité, jusqu'en 2011, le pourcentage de djihadistes étrangers (condamnés ou tués en Espagne) était de 79,9 % contre 20,3 % d'origine espagnole ; la tendance s'est inversée à partir de 2012, avec 55,1 % contre 44,9 %, respectivement. On constate que si, au "début" du phénomène, le danger résidait dans les individus provenant de zones situées en dehors du territoire national, depuis l'instauration du califat, les individus qui rejoignent le djihad armé sont de plus en plus souvent d'origine espagnole (65 % d'origine étrangère - 35 % d'origine nationale). Il est à noter que seulement 8,1 % des étrangers étaient en situation irrégulière, contre 56,6 % qui avaient des papiers et une situation de résidence régulière2.
La menace du terrorisme est multipliée lorsque des liens avec le crime organisé sont établis. En plus de trouver une forme de financement dans ce type d'activité, elle donne également accès à des documents falsifiés3 qui permettent d'accéder à notre pays par des voies légales, la principale voie d'accès étant les aéroports4, sans éveiller de soupçons et de manière plus sûre. Ce lien de coopération assure la continuité de cette "super-alliance"5.
Parmi les nationalités prédominantes, à partir de 2012, les Marocains (46,2%), les Espagnols (41,5 %) et les Algériens (1,5 %) se distinguent. Il est nécessaire de mentionner à ce stade l'importance de la deuxième génération de jeunes, un foyer marqué de radicalisation. Les personnes nées sur le sol espagnol mais élevées entre deux cultures, avec de fréquentes crises d'identité car elles ne se considèrent pas pleinement intégrées dans l'une ou l'autre, se sentant marginalisées et déplacées, représentent 43,5 % du total6.
Cependant, malgré les données révélées par l'étude d'Elcano, il est impossible de ne pas regarder les flux migratoires, car ils constituent une voie d'entrée potentielle pour le djihadisme. Comme on l'a vu lors du dernier attentat à Nice l'année dernière, le djihadiste tunisien a utilisé la route migratoire de Lampedusa pour atteindre la France7. Il en a été de même lors des attentats de Paris en 2015, où de nombreux djihadistes impliqués ont réussi à s'infiltrer grâce à l'immigration et aux faux papiers fournis par des organisations criminelles8.

Sur le sol espagnol, au cours de l'année dernière, la police a arrêté plusieurs individus arrivés sur le sol national infiltrés dans de petites embarcations. L'un d'entre eux est le cas de l'Égyptien Abdel-Majed Abdel Bary, qui a été arrêté à son arrivée en Espagne sur un bateau en provenance d'Algérie. C'était un terroriste de retour, l'un des plus recherchés en Europe, qui voyageait avec deux autres individus qui composaient sa cellule. En octobre, un autre djihadiste présumé a été arrêté sur le sol espagnol, arrivant aux îles Canaries en 2018 sur un bateau de patera et toujours en situation irrégulière ; il faisait partie d'un réseau international chargé de recruter des femmes à des fins terroristes en faveur de Daesh, ainsi que des relations avec des organisations criminelles9.
Le 11 janvier 2021, la police a arrêté plusieurs djihadistes dans l'intention de les attaquer, qui s'étaient installés à Barcelone et coopéraient avec Daesh et étaient arrivés sur la côte d'Almeria dans un bateau10.
Il est également pertinent de mentionner les convertis à l'Islam, dont 90,2 % sont des musulmans, avec une connaissance limitée du Coran et de la Charia pour la plupart. Sur le nombre total de personnes ayant participé à l'étude11, seuls 21,6 % avaient des connaissances pertinentes. Ces données montrent le manque de connaissances religieuses de la part de ceux qui entrent dans le jihad armé et rejoignent des organisations terroristes qui prétendent défendre la religion.
Cependant, comme le montrent bien les données fournies, malgré le fait que seulement 8,1 % étaient des immigrants illégaux, il est essentiel de souligner le problème du MENAS et, surtout, le manque de soutien des administrations et des centres pour leur réinsertion sociale.
En haut de la liste se trouve la Catalogne, qui en compte plus de 4 200, suivie par l'Andalousie. Le problème de ces enfants et adolescents réside dans les mesures précaires adoptées par les administrations, qui optent pour de simples patchs qui ne résolvent pas le problème12 , et encore moins pour des mesures prospectives compte tenu du danger futur de ces jeunes. La création de centres pour mineurs sans l'application de mesures d'éducation et de réinsertion ne fait que transformer ces centres en viviers d'activités criminelles et djihadistes. En fait, 18 %13 des arrivants entre 2016 et 2018 ont été détenus ou ont fait l'objet d'une enquête au moins une fois, ce qui n'est pas du tout surprenant si l'on considère que pour accéder au monde du travail, une fois qu'ils ont atteint l'âge de la majorité et qu'ils ont quitté la tutelle de l'Administration, il est nécessaire d'obtenir un emploi de 40 heures, ce qui est déjà difficile même pour les personnes ayant un niveau d'éducation élevé14.
Tous ces facteurs constituent un terreau plus que suffisant pour que ces personnes, confrontées à des crises d'identité constantes, entre autres, aient recours au djihadisme comme moyen de trouver un sens à leur vie, ce qui est laissé aux mesures que les gouvernements proposent pour l'empêcher.
Amanda Pérez Gómez, criminologue spécialisée dans l'analyse et la prévention du terrorisme
Références :
1 Reinares, F., Vicente, Á., & García-Calvo, C. (2019). Yihadismo y yihadistas en España. Once años después del 11-M. Madrid: Real Instituto Elcano.
2 Zuloaga, J. (24 de Noviembre de 2020). El peligro real para España de los yihadistas infiltrados entre inmigrantes. La Razón.
3 Rocha, I. M. (2017). Nuevas dinámicas en las relaciones entre crimen organizado y grupos terroristas. Revista Española de Derecho Internacional, 25. PÁG. 152
4 Pastor, A. (2019). Datos frente a las mentiras. En C. d. Comité Especializado de Inmigración, El fenómeno migratorio en España. Reflexiones desde el ámbito de Seguridad Nacional. (págs. 49-52). Pág. 50
5 Ministerio de Defensa. (2006). El control de los flujos migratorios hacia España: Situación actual y propuestas de actuación. Madrid: Ministerio de Defensa.
6 EFE. (6 de Marzo de 2019). 60 % de yihadistas detenidos en España son segunda generación de inmigrantes. La Vanguardia.
7 Gómez, A. P. (2020). Túnez, la lacra del terrorismo. Atalayar
8 Zuloaga, J. (24 de Noviembre de 2020). El peligro real para España de los yihadistas infiltrados entre inmigrantes. La Razón.
9 Zuloaga, J. (9 de Diciembre de 2020). Alertan de la posible presencia de yihadistas entre los inmigrantes que llegan a Canarias. La Razón.
10 Martialay, Á. (11 de Enero de 2021). Los yihadistas detenidos en Barcelona llegaron a España en patera por Almería. El Mundo.
11 Reinares, F., Vicente, Á., & García-Calvo, C. (2019). Yihadismo y yihadistas en España. Once años después del 11-M. Madrid: Real Instituto Elcano.
12 La Vanguardia. (5 de Julio de 2019). ¿Qué pasa con los ‘menas’? La Vanguardia.
13 Armora, E. (14 de Julio de 2019). «Los menas son la punta del iceberg de una catástrofe humanitaria». ABC.
14 EFE. (6 de Agosto de 2019). ¿Cuántos menas hay en España? El Confidencial.