Une partie du monde est-elle en train de se dédollariser ?

BRICS - PHOTO/Gianluigi Guercia/AFP
BRICS - PHOTO/Gianluigi Guercia/AFP
Quelque chose ne va pas avec le dollar. Depuis des mois, la monnaie américaine se trouve dans une phase descendante, se dépréciant par rapport aux autres monnaies du monde. Certains prévoient un changement de cycle, tandis que d'autres analystes sont plus prudents et continuent de justifier le règne du dollar.

La faiblesse actuelle n'est-elle qu'un épisode passager, comme cela s'est produit à d'autres occasions depuis la fin de Bretton Woods ? S'agit-il d'une tendance structurelle due, entre autres, au fait que la Chine vend ses dollars depuis des années, après être devenue le principal détenteur de la dette libellée en billets verts ? Est-elle collatérale à l'invasion de l'Ukraine et aux sanctions de l'Occident contre la Russie ?

  1. Sur le sujet 

L'année dernière, le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva a proposé à ses homologues sud-américains et à ses partenaires du Mercosur de créer leur propre monnaie, une sorte d'euro sud-américain.  Une monnaie qui laisserait le dollar de côté.  

Le Brésil est membre des BRICS, avec la Chine, l'Inde, la Russie et l'Afrique du Sud, qui représentent ensemble près de 50 % de l'économie mondiale, et qui défendent depuis quelque temps dans divers forums la nécessité de dédollariser leurs économies au profit d'autres monnaies. La Russie, avec le dictateur russe Vladimir Poutine, demande ouvertement à son homologue chinois, Xi Jinping, d'accélérer l'utilisation du yuan comme nouvelle monnaie pour remplacer le dollar.  Et la Chine se montre conciliante.

Ensemble, ils forment un groupe puissant, rappelle Anwar Zibaoui, expert en économie et en affaires internationales, et ils représentent 45 % de la population mondiale. 

Habilement, la diplomatie chinoise apporte son soutien, créant une sorte d'amalgame uni par un intérêt commun : recevoir des flux d'investissements, générer de la richesse économique et faire prospérer les nations.  

Jinping a d'ailleurs réussi à faire accepter dans les BRICS l'Argentine, l'Égypte, l'Iran, l'Éthiopie, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, membres de facto depuis le 1er janvier.  

Il ne faut pas non plus oublier que la Nouvelle banque de développement (NDB), basée à Shanghai, a été créée avec la contribution des banques centrales des BRICS et apparaît comme une alternative aux organisations financières internationales traditionnelles qui utilisent le dollar pour financer d'autres pays.  

En d'autres termes, un nouveau consensus est en train de se créer sous nos yeux, qui pourrait être parallèle à celui qui a prévalu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et que les conséquences collatérales de l'invasion russe de l'Ukraine auraient contribué à faire exploser.  

Sur le sujet 

Je trouve très intéressant que la banque américaine JP Morgan mette en garde contre "certains signes de dédollarisation émergente" qui sont indéniables dans l'économie mondiale.   

La part du dollar dans les volumes d'échanges de devises étrangères reste juste en dessous des records historiques de 88 % et son utilisation dans les échanges commerciaux n'a pas beaucoup changé au cours des deux dernières décennies. 

Toutefois, dans les réserves de change détenues par les banques centrales du monde entier, par exemple, sa part est tombée à un niveau historiquement bas de 58 %. Les banques centrales vendent des dollars pour renforcer leurs monnaies locales.      

Il est à noter que la part la plus importante d'une devise mondiale diminue encore si l'on tient compte de l'or, qui représente désormais 15 % des réserves, contre 11 % il y a cinq ans. 

Mais les BRICS interviennent également, ainsi que d'autres grands exportateurs de matières premières, qui tentent de surmonter la tempête économique déclenchée par l'invasion des troupes russes en Ukraine et les sanctions imposées en conséquence. 

Par exemple, l'Arabie saoudite et la Chine ont entamé des discussions pour régler les ventes de pétrole à la Chine non plus en dollars... mais en yuans ; de même, le Brésil et la Chine ont annoncé l'introduction progressive d'un système de compensation en yuans pour une partie des échanges entre les deux pays, tandis que la Chine et la Russie réalisent également une part importante de leurs échanges en yuans. 

Un panier de monnaies, de monnaies mondiales, n'est plus un rêve. Le monopole du dollar est en train de se briser comme l'avait envisagé le prix Nobel Robert Mundell, précisément l'un des mentors de l'euro, qui a commencé à être introduit dans plusieurs économies de l'UE dès 1999 et qui est aujourd'hui utilisé par vingt pays sur les vingt-sept qui composent l'UE.  

Il y a aussi une partie subjective qui ne peut pas passer inaperçue en économie : cette hégémonie américaine n'est plus perçue comme telle dans de nombreux secteurs et une partie du monde a perdu son respect pour elle ; cette même partie du monde qui n'est plus intimidée par le billet vert et qui voit dans sa faiblesse, la faiblesse de la Maison Blanche.