Les semi-conducteurs, un outil géopolitique pour l'Inde
Les semi-conducteurs sont en passe de devenir un instrument important pour la réalisation des objectifs géopolitiques de l'Inde. Depuis longtemps, l'Inde progresse dans le domaine des technologies de l'information. Les ressources humaines qualifiées de l'Inde se sont distinguées dans ce domaine dans le monde entier, en particulier dans la Silicon Valley aux États-Unis. De même, plusieurs entreprises indiennes du secteur des technologies de l'information ont fait sentir leur présence à l'échelle mondiale.
L'Inde cherche désormais à tirer parti de sa position en tant que l'une des plus grandes économies du monde et l'une des principales puissances de la région indo-pacifique pour élargir son champ d'action en utilisant la technologie comme outil.
À cet égard, les semi-conducteurs sont devenus l'un des éléments les plus importants de la diplomatie technologique de l'Inde. Les semi-conducteurs, qui sont le moteur de la révolution industrielle 5.0, sont essentiels pour renforcer le statut de l'Inde en tant que superpuissance économique. L'Inde a lancé la Mission Semiconductors et a approuvé une enveloppe financière d'environ 9,5 milliards de dollars pour ce projet.
Bien que l'Inde prenne les bonnes mesures pour devenir une plaque tournante de la fabrication de semi-conducteurs, elle doit relever certains défis. La fabrication de semi-conducteurs n'est pas seulement un moyen pour l'Inde de devenir une superpuissance économique. L'Inde soutient et invite également à investir dans l'industrie des semi-conducteurs pour atteindre ses objectifs géopolitiques.
Mais l'Inde dispose de très peu de bases ou d'infrastructures nécessaires à la fabrication de semi-conducteurs. En outre, la fabrication de semi-conducteurs nécessite un flux constant d'intrants en provenance de pays amis. La politique indienne en matière de semi-conducteurs vise à remettre en cause la domination de la Chine dans ce secteur et à créer une chaîne d'approvisionnement alternative.
La Chine est actuellement le plus grand marché et l'un des principaux fabricants de semi-conducteurs. Environ 60 % de la demande mondiale de semi-conducteurs provient de la Chine. Récemment, la rivalité géopolitique entre les États-Unis et la Chine s'est étendue au secteur technologique. Les semi-conducteurs sont au cœur de la dernière guerre technologique entre les États-Unis et la Chine, qui dure depuis un an.
En octobre de l'année dernière, les États-Unis ont imposé des restrictions à l'exportation de certaines puces avancées utilisées dans des applications militaires. En juillet de cette année, la Chine a réagi en limitant les exportations de germanium et de gallium vers les États-Unis. Ces deux métaux sont essentiels à la fabrication de semi-conducteurs et de produits électroniques.
Les États-Unis soutiennent également les efforts de l'Inde pour devenir un centre majeur de fabrication de semi-conducteurs. En mars de cette année, lors du dialogue commercial bilatéral Inde-États-Unis 2023, les deux pays ont signé un protocole d'accord visant à établir une chaîne d'approvisionnement en semi-conducteurs et un partenariat d'innovation.
Ce protocole d'accord vise à établir un mécanisme entre les deux pays sur la résilience et la diversification de la chaîne d'approvisionnement en semi-conducteurs. Cet accord s'inscrira dans le cadre de la loi américaine Science and CHIPS Act et de la mission indienne sur les semi-conducteurs.
En outre, en juin de cette année, lors de la visite du Premier ministre indien Narendra Modi aux États-Unis, il a été annoncé que Micron Technology, une entreprise américaine, en collaboration avec la mission indienne sur les semi-conducteurs, investira 800 millions de dollars (qui passeront progressivement à 2,75 milliards de dollars) pour mettre en place une usine de fabrication et de test de semi-conducteurs à Sanand, dans l'État du Gujarat, dans l'ouest de l'Inde. L'usine devrait être opérationnelle d'ici la fin de l'année 2024.
Du 28 au 30 juillet 2023, l'Inde a organisé Semicon India 2023, une conférence de trois jours sur les semi-conducteurs. Cet événement était important pour présenter le projet de l'Inde d'accroître sa capacité de fabrication de semi-conducteurs et d'attirer davantage d'investissements dans ce secteur. En 2022, la demande de semi-conducteurs des consommateurs indiens s'élevait à 24 milliards de dollars. Cette demande devrait passer à 80 milliards de dollars d'ici 2026 et à 110 milliards de dollars d'ici 2030.
L'un des faits marquants de Semicon 2023 a été l'intérêt manifesté par Foxconn, l'une des principales entreprises taïwanaises de fabrication de semi-conducteurs, pour investir en Inde. Lors d'une réunion avec Modi, Young Liu, président de Foxconn, a approuvé l'ambition de l'Inde de devenir une base de fabrication de semi-conducteurs.
Il s'agit d'une évolution importante, car cette coopération indique que l'Inde est prête à approfondir ses engagements économiques avec Taïwan. L'Inde n'a pas de relations diplomatiques avec Taïwan, mais entretient des relations économiques et culturelles. Le statut international de Taïwan reste ambigu. La Chine revendique Taïwan comme faisant partie de son propre territoire. Taïwan revendique son indépendance.
L'engagement avec Taïwan est considéré comme une contre-attaque contre la Chine. Des pays comme les États-Unis, le Japon et l'Australie ont également renforcé leurs engagements avec Taïwan dans les domaines stratégique et économique. Aujourd'hui, l'Inde prend également des mesures dans ce sens.
L'ouverture à Taïwan devient importante compte tenu des différends territoriaux qui opposent l'Inde à la Chine. Taïwan est également le plus grand fabricant de semi-conducteurs au monde. Mais elle dépend fortement de la Chine pour ses activités commerciales. Une plus grande coopération avec l'Inde permettrait à Taïwan de réduire sa dépendance économique vis-à-vis de la Chine et de diversifier ses chaînes d'approvisionnement.
Le développement d'un centre de semi-conducteurs constituerait une étape économique importante pour l'Inde. Dans le même temps, il s'agirait d'un outil géopolitique qui permettrait à l'Inde de faire contrepoids à la Chine.
(Niranjan Marjani est un analyste politique et chercheur indépendant de Vadodara, en Inde, spécialisé dans les relations internationales et la géopolitique. Ses domaines de travail sont la politique étrangère indienne, l'Asie du Sud, l'Asie du Sud-Est, la région indo-pacifique, l'Asie centrale et le Moyen-Orient. Il publie des articles dans des publications indiennes et internationales. Il est rédacteur consultant du Kootneeti Español, un magazine indien sur les relations internationales publié en espagnol. Il est également consultant en tant qu'analyste des risques politiques auprès d'entreprises indiennes et étrangères.)
Twitter : @NiranjanMarjani