Chagall, un cri de liberté

Marc Chagall, né Moshe Segal, à Vitebsk (aujourd'hui en Biélorussie), est sans conteste l'un des artistes qui a le plus marqué le XXe siècle, un siècle turbulent et troublé. Les événements traumatisants qu'il a vécus l'ont contraint au déracinement et à l'émigration forcée, une condition incarnée par les personnages qui peuplent nombre de ses tableaux. De son enfance dans la Russie tsariste, en passant par la France, l'Allemagne, la Palestine et les États-Unis, jusqu'à son retour en France, un pays qui mettra de nombreuses années à lui rendre la nationalité française dont le gouvernement antisémite de Vichy l'avait dépouillé.

Exposition à la Fondation Mapfre
L'exposition actuellement présentée à la Fondation Mapfre, qui comprend plus de 160 œuvres, se concentre sur les questions qui ont le plus préoccupé l'artiste, sous un angle nouveau. Le projet cherche à ouvrir les voies d'une nouvelle lecture de l'œuvre de Chagall, dans laquelle se révèle sa foi inébranlable dans l'harmonie et la paix universelle, à travers l'établissement de regards et de dialogues croisés avec l'histoire tourmentée et décisive qui était en train de s'écrire.

Outre ses peintures majeures, près d'une centaine de documents sont exposés, dont pour la première fois une sélection d'écrits de l'artiste en yiddish, sa langue maternelle, dans lesquels il exprime ses engagements politiques et humanistes.

Après avoir accueilli avec enthousiasme la révolution bolchevique de 1917, il va jusqu'à fonder des écoles d'art populaires, chargées d'étudier tous les courants artistiques, une liberté que les nouveaux commissaires chargés de brutaliser la culture selon les nouveaux paramètres léninistes ne veulent pas tolérer. Il est donc temps de partir et de s'installer à Paris, où les premières commandes de ses œuvres lui valent une vague de critiques fondées sur son origine russe, autre symptôme de la montée de l'antisémitisme dans la quasi-totalité de l'Europe. Il le résume dans une lettre au critique d'art Leo Koenig, à qui il écrit : "Le temps n'est pas prophétique, le mal règne". Nous sommes en 1925.

Au cours de ces années, avant et après son voyage en Palestine en 1931, alors sous la férule controversée de l'Empire britannique, Chagall réalise une série de portraits de rabbins et de porteurs de la Torah, qui traduisent l'incertitude du sort d'un peuple menacé. La prémonition se réalise et certaines de ses œuvres font partie de l'"Entartete Kunst" (Art dégénéré), l'exposition de 700 œuvres d'une centaine d'artistes, souvent juifs, que les nazis veulent présenter à Munich en 1937 pour démontrer la "pourriture" de l'art moderne et de ses auteurs.

L'avertissement précis d'un journaliste lui évite d'être arrêté en France. Commence alors une longue période d'exil aux États-Unis, où il développe sa représentation des horreurs de la guerre dans des œuvres telles que "The War". Au cours de ces années, Chagall a réitéré dans ses œuvres, presque comme une obsession, la crucifixion. Des Christs crucifiés, sans autre vêtement que le talit (tissu de prière blanc) autour des hanches, représentés comme un symbole de la souffrance du peuple juif, en réponse à ce que l'on a appelé la "Nuit du verre brisé" de 1938. Dans ces images tragiques et violentes se condense toute la peur de l'artiste exilé, qui a assisté à la dévastation de l'Europe depuis l'autre côté de l'Atlantique.

Marc Chagall rentre définitivement en France en 1948. Commence alors une nouvelle période où il entreprend des projets monumentaux tels que des vitraux pour le siège des Nations Unies à New York, des cathédrales et des synagogues, ainsi que des mosaïques pour la Knesset, le Parlement israélien. Des œuvres dans lesquelles il se pose en messager de la paix.

L'exposition, qui restera à Madrid jusqu'au début du mois de mai, est organisée par Meret Meyer, petite-fille de Marc Chagall lui-même, et Ambre Gauthier, qui a effectué un travail de recherche extraordinaire.
Pour sa part, Nadia Arroyo, organisatrice de l'exposition, souligne qu'avec l'œuvre de Chagall, l'un des principaux objectifs du programme de la Fondation est atteint : "Présenter l'œuvre de grands artistes de la modernité internationale sous un nouveau prisme, en participant ainsi à l'étude et à la création de nouvelles lectures qui enrichissent et diversifient le panorama culturel".