Nabil Driouch est l'auteur de ce livre qui aborde les hauts et les bas des liens hispano-marocains.

"La vecindad cautelosa” : une analyse opportune et précise des relations Espagne-Maroc

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Jusqu'à une date relativement récente, la bibliothèque hispano-marocaine était pauvre en sources bibliographiques écrites par des Marocains ou d'origine marocaine. Ils ont toujours été, comme leur pays, l'objet du discours, et non le sujet de celui-ci. C'est-à-dire qu'on parle d'eux, mais on les fait taire lorsque leur opinion et leur raisonnement sont utiles pour introduire des éléments de contraste ou de contrepoids à ce qu'on pense d'eux. Cependant, rien qu'au cours des cinq dernières années, plus de dix livres écrits par des Marocains ou des chercheurs d'origine marocaine ont été publiés en espagnol. Plusieurs essais historiques écrits en espagnol ont également été traduits en arabe par des traducteurs marocains. Cela commence à briser la barrière traditionnelle à la communication directe entre les deux langues, et surtout entre les deux rives sud et nord de la Méditerranée. Le Maroc et l'Espagne, malgré les frictions imposées par leur voisinage, commencent à communiquer sans la médiation et/ou l'interférence de tiers. De même, l'Autre, traditionnellement objet d'étude, commence à apparaître dans les pages des publications espagnoles comme une personne dotée d'une voix qui pourrait se faire entendre par ceux qui veulent l'écouter. 

En ce sens, la maison d'édition Diwan-Mayrit a ouvert une certaine porte de communication non seulement vers le Maghreb, mais aussi vers l'Afrique en général, tant pour la littérature de création que pour les essais de réflexion, comme dans le cas qui nous occupe, "La vecindad cautelosa", écrit en arabe par le journaliste Nabil Driouch, traduit par Abdelkhalak Najmi et préfacé par le journaliste et écrivain Javier Valenzuela, qui connaît également très bien le Maroc, où il a été correspondant.

"La vecindad cautelosa" est un livre agréable à lire. Il allie un caractère informatif, comme il sied à l'œuvre d'un journaliste confirmé, à une analyse académique, critique et autocritique. En fait, l'auteur du livre, son traducteur et son prologue sont tous des journalistes professionnels ayant des liens étroits avec le monde universitaire et l'écriture d'essai et de création. Pour cette raison, ce livre combine l'actualité et les opportunités politiques et sociologiques, fruit de l'information journalistique, avec l'analyse et l'explication de son contexte historique et culturel, typique de l'écriture réflexive et académique.

Le livre, de par ses circonstances d'écriture et de réception, s'adresse plutôt à un lecteur arabe cognitivement installé sur l'autre rive de la Méditerranée, puisque son auteur, Nabil Driouch, aurait pu parfaitement l'écrire en espagnol, mais il a préféré que la langue de son livre soit l'arabe. Néanmoins, au-delà de la langue d'écriture et du pays d'origine de l'auteur, on a essayé de laisser la distance nécessaire entre l'auteur et son objet d'étude afin de ne pas présenter une vision partisane, nationaliste ou marquée idéologiquement et politiquement, comme on l'observe généralement dans les écrits journalistiques des deux côtés de la Méditerranée. Il faut rappeler, comme cadre interprétatif de cette position équidistante, que les positions médiatiques entre Espagnols et Marocains sont généralement très marquées, voire radicalisées, obligeant nécessairement à un positionnement clair de l'un ou l'autre. Il convient également de noter que l'autocensure et les lignes rouges que l'auteur a pu s'imposer sont infimes dans une tentative de présenter la réalité dans sa complexité socio-historique. Écrire sur le Maroc ou l'Espagne et le faire avec un désintérêt politique et idéologique, en adoptant des critères rationnels et descriptifs, n'est pas une tâche facile. C'est pourquoi il est important d'apprécier cette troisième position, une république d'analystes et d'intellectuels, qui sert de médiation interprétative des événements et des frictions, et elles sont nombreuses, entre les deux pays. D'où l'explication de la métonymie de son titre, attribuant la prudence au voisinage.

En outre, l'ouvrage a un mérite supplémentaire : il ne s'appuie pas sur les archives des journaux et la littérature livresque pour reproduire uniquement les déficiences et les conflits entre les deux pays, mais souligne également ce qu'il considère comme positif dans cette relation et les domaines qui fonctionnent bien. 

Cependant, les titres de la table des matières du livre et les mots qui la composent tournent autour du conflit, dénotant ainsi une certaine tendance, sans porter atteinte à ce qui a été dit dans les paragraphes précédents, à ne pas dissimuler l'état des relations hispano-marocaines. Outre l'introduction et la préface de Javier Valenzuela, le livre, au titre évocateur "Encantado de entendernos”, se compose de quatre chapitres : 

1.- Le Maroc et l'Espagne dans la confrontation la plus difficile.

Ce chapitre se concentre sur quatre personnages historiques, Hassan II, Mohammed VI, Aznar et Bush, avec différents scénarios tels que Laila ou Perejil, Madrid, Alger, Rabat, Paris, Quintos de Mora et Marrakech. Il y a aussi des événements tels que le renouvellement des accords de pêche, la majorité absolue d'Aznar, la crise de l'îlot Perejil, l'opération Romeo-Sierra, le sommet de Marrakech et les attentats de Madrid. Comme on peut le constater, ce chapitre ne se concentre pas seulement sur un voisinage que l'on peut qualifier de conflictuel, mais aussi de belligérant avec divers acteurs à l'échelle internationale, mais principalement en Méditerranée occidentale.

2.- Les socialistes espagnols et le Maroc.

Ce chapitre traite du retour des socialistes au sein du gouvernement espagnol et de leur relation avec le Maroc, supposément après l'ère de José María Aznar. Ce chapitre, par rapport au précédent, est symboliquement divisé en deux parties bien distinctes, à en juger par le lexique utilisé : diplomatie, accord, coopération, promotion ; par opposition à froideur, silence, indécision, crise, refroidissement. Cela suggère que le désaccord entre l'Espagne et le Maroc est moins belliqueux qu'avec la droite au pouvoir.

3.- Les mobilisations dans les rues du Maroc et la crise économique en Espagne.

Le troisième chapitre, bien qu'il évoque une fois de plus la droite espagnole au pouvoir, consacre quelques pages à la situation du Maroc avant, pendant et après le printemps arabe.  Une fois de plus, les anciennes questions réapparaissent, ainsi que la crise économique, le retour du PP, la nouvelle position, l'étape pragmatique... ce qui donne un aperçu de la différence entre le nouveau gouvernement de droite espagnol et le précédent au chapitre 1.

4.- Ceuta et Melilla : la confrontation reportée.

Le livre consacre son dernier chapitre à cet épineux problème entre le Maroc et l'Espagne, évoqué dans tous les chapitres précédents.  L'auteur combine l'approche historico-militaire du problème depuis le milieu du XIXe siècle avec la dimension sociologique et anthropologique interethnique et interconfessionnelle, ainsi que la tentative de l'Espagne d'internationaliser la question en invoquant l'OTAN et de l'européaniser en la plaçant sous le parapluie économique et défensif de l'UE. 

La contribution de ce chapitre est particulièrement intéressante en ce qui concerne la composition humaine et sociale de ces enclaves et la complexité de la régulation et de la normalisation de la situation de leur population musulmane.

Enfin, l'ouvrage présente la voix de l'Autre sur des questions traditionnellement traitées d'un point de vue unique, ce qui le rend d'autant plus intéressant.

Mohamed El-Madkouri Maataoui
Universidad Autónoma de Madrid
el-madkouri@uam.es