Madrid a accueilli le Sommet de la coopération Afrique-Espagne et Atalayar s'est entretenu avec Dhafer Saidanne, professeur de finance à SKEMA, et Aldo Olcese, directeur général de FINCORP, pour mettre en évidence le potentiel économique qui existe dans la collaboration entre l'Europe et l'Afrique

L'Afrique et son grand attrait pour les investissements

PHOTO/ATALAYAR/GUILLLERMO LÓPEZ - Dhafer Saidanee y Aldo Olcese
PHOTO/ATALAYAR/GUILLLERMO LÓPEZ - Dhafer Saidanee et Aldo Olcese

Madrid a accueilli le Sommet de la coopération Afrique-Espagne afin de mettre en évidence le grand potentiel économique et financier que l'Afrique peut offrir en termes de ressources humaines et matérielles à tous ceux qui souhaitent investir et de montrer comment l'Espagne et l'Europe peuvent jouer un rôle majeur dans cette nouvelle étape de développement de l'Afrique. 

Atalayar s'est entretenu avec Dhafer Saidanee, professeur de finance à SKEMA, Business School (France), et avec Aldo Olcese, directeur général de FINCORP (Espagne), pour analyser les questions les plus pertinentes abordées lors du sommet de coopération Afrique-Espagne qui s'est tenu à Madrid et pour expliquer la grande importance du financement pour le progrès et le développement du continent africain.

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PHOTO/ATALAYAR/GUILLLERMO LÓPEZ - Dhafer Saidanee et Aldo Olcese

Comment améliorer la collaboration entre l'Espagne et l'Afrique ? Monsieur Olcese, quelles sont vos principales idées, vos conclusions sur cet événement ? 

Nous avons eu un débat très intéressant sur le plan financier, au cours duquel nous avons longuement discuté des questions, des solutions et des grands défis que le financement africain doit relever. J'aimerais souligner l'une des conclusions les plus importantes, à savoir comment faciliter le lien entre le financement espagnol et européen et le financement africain. 

Car il y aura certainement un grand plan Afrique de la Commission européenne, qui sera présenté, je crois, dans les prochains mois, en 2024, et qui comprendra un montant important de fonds européens destinés à l'Afrique. Mais nous allons rencontrer des problèmes de mise en œuvre.  

Comment le système financier européen comprend-il le système financier africain afin de canaliser ces fonds de manière appropriée ?  

Les problèmes sont liés à la conformité, à la gouvernance, à l'exécution et au risque. Et si nous appliquons les normes européennes aux banques et aux intermédiaires financiers africains, cela ne fonctionnera pas, car c'est impossible. Les institutions financières européennes ont du mal à se conformer à toutes les exigences de conformité et de gouvernance que l'Union européenne, je dirais, applique à juste titre aux opérateurs européens, mais qui ne sont pas faciles à appliquer aux opérateurs africains. Il y aura donc une volonté de mise en œuvre, mais il sera très difficile de le faire. Et l'une des conclusions que nous avons tirées, je crois, de ce débat, est de recommander aux autorités européennes, lors de l'approbation du plan Afrique, de tenir compte de ces circonstances, d'assouplir leurs exigences. Au contraire, les pays africains et les institutions financières africaines doivent rivaliser pour améliorer leurs normes de gouvernance et de conformité. Nous devons trouver un terrain d'entente, mais nous ne pouvons pas imposer aux Africains les exigences que nous essayons de satisfaire et qu'ils ne pourront jamais satisfaire, parce qu'il s'agit d'un processus de dix ans. Nous n'avons pas atteint notre niveau de gouvernance, nous avons eu des périodes difficiles, nous avons eu des périodes de déficiences, nous avons eu un développement qui nous a permis de l'atteindre d'une manière sûre, mais avec certains chiffres. Nous devons donc en tenir compte pour que cela fonctionne. Je pense qu'il s'agit d'un message que nous devons faire passer avec force, un message politique, parce que, pour l'instant, les institutions financières européennes reçoivent des dirigeants de la Commission européenne et des responsables financiers de la Banque centrale européenne d'énormes exigences dans le domaine de la gouvernance, de la conformité, du risque et de la gestion du risque. Et je dois dire qu'avec ces normes, il sera impossible d'agir en Afrique.

PHOTO/ATALAYAR/GUILLLERMO LÓPEZ - Aldo Olcese
PHOTO/ATALAYAR/GUILLLERMO LÓPEZ - Aldo Olcese

Professeur Saidanee, quelle est votre principale conclusion de l'événement ? 

Je partage tout à fait le point de vue d'Aldo, et je le remercie en tant qu'Européen et professionnel du monde de la finance en Europe, d'avoir pris cette position en faveur de la pertinence de la réglementation européenne en matière d'activité en Afrique. Il est vrai que le continent africain est un continent qui bouge très, très vite, et l'Union européenne aura probablement du mal à suivre ses directives. Et je voudrais répondre à ce qu'a dit Aldo, et je partage tout à fait son point de vue, et c'est une des conclusions de cette journée, de nos réunions, c'est-à-dire qu'au fond, si on prend par exemple la CRDS, la directive CRDS 6, qui va entrer en vigueur en juin 2025, elle va avoir, en fait, un impact très important sur les flux de capitaux des travailleurs immigrés dans leur pays d'origine, prenons le cas du Maroc. Et donc, si la CRDS 6 vient à fermer, en quelque sorte, à donner un coup de grâce à ces flux de revenus des travailleurs immigrés, de la diaspora marocaine, cela peut entraîner le risque d'avoir des conséquences sur le retour des importations en provenance du Maroc, nécessairement, vis à vis de l'Union européenne. Donc, en tenant compte un peu plus de ce qui se passe dans le temps, il ne faut pas simplement s'abriter dans nos règles européennes. D'autre part, je suis un peu inquiet, au-delà des aspects financiers, concernant les aspects extra-financiers, et je terminerai par là, vous savez qu'aujourd'hui l'Union européenne est en train de mettre en place des directives sur ce qu'on appelle le financement vert, le financement durable. Et bien sûr, l'Afrique va être impactée par ces directives. Par exemple, la façon dont le cacao est produit, la déforestation qui, en fait, est une conséquence de ce type de processus de production de cacao, va également avoir un impact sur les producteurs. En d'autres termes, il y aura une production qui sera destinée à l'Europe, parce qu'elle ne correspond pas aux directives et aux règles de financement vert imposées par l'Union européenne. Donc il faut du temps, il faut laisser un peu plus de temps, et il faut certainement réfléchir avec les Africains sur la manière de mettre en œuvre ces nouvelles lois, ces nouvelles réglementations.  

Et je terminerai par un exemple. J'ai toujours en tête l'exemple de cet exportateur industriel tunisien qui nous disait lors d'une réunion que son plancher de produits à envoyer en Europe était bloqué dans le port de Radès, et que ses conteneurs ne pouvaient pas aller en Europe. Pourquoi ? Parce qu'ils ne le respectaient pas, ou, en tout cas, ils ne sont pas dans les nouvelles normes européennes, ce sont des normes écologiques qui surprennent l'Afrique et qui ne sont pas encore dans nos modes de production. Alors essayons de mettre en place un agenda. 

C'est ce à quoi nous avons essayé de réfléchir lors de cette réunion avec One Africa Forums, et je pense que c'est dans l'intérêt de tout le monde, parce que nous sommes tous sur la même planète. 

PHOTO/ATALAYAR/GUILLLERMO LÓPEZ - Dhafer Saidanee
PHOTO/ATALAYAR/GUILLLERMO LÓPEZ - Dhafer Saidanee

M. Saidanee, pensez-vous que l'Europe puisse s'adapter aux conditions de l'Afrique et que l'Afrique offre aujourd'hui de nombreuses opportunités à l'Europe ? 

Je pense qu'il s'agit d'une question où nos intérêts en tant qu'Européens sont très clairs. Le problème, c'est que si nous voulons imposer des règles pour faire du commerce avec nous et seulement avec nos règles, ce sera impossible et cela laissera le champ libre, d'un autre côté. C'est le cas des Chinois, qui sont présents sur tout le continent parce qu'ils sont moins exigeants de ce côté-là, et c'est pour ça qu'il faut être exigeant, mais on ne peut pas demander aux Africains exactement le même niveau d'exigence que nous avons pour nous-mêmes dans notre marché intérieur, parce que sinon nous ne pourrions pas commercer avec eux pendant des années, et nous avons besoin de leurs ressources naturelles, et c'est pour ça que nous demandons un assouplissement des positions de part et d'autre. Lors d'un contact avec Lionel Zinsou, ancien premier ministre du Bénin, dans un échange avec le Premier ministre, Lionel Zinsou, il a clairement exprimé l'idée que nous ne pouvons pas parler de coopération comme avant. Et je me souviens que la coopération n'est pas la compassion. Il y a quelques années, j'ai personnellement discuté de ce concept de coopération. Le concept de coopération basé sur une forme de condescendance appartient au passé, et je pense que l'Afrique a compris qu'elle n'est pas prête de le revoir. C'est pourquoi il est important de revisiter ce concept de coopération. Et, comme l'a dit Lionel Zinsou, nous n'allons pas vous demander de rentrer chez vous pour investir. Nous allons vous dire que, si vous êtes intéressés, nous avons des opportunités, nous pouvons les partager ensemble, d'égal à égal, nous pouvons mettre en commun nos compétences, nos connaissances pour essayer de construire le monde de demain.  

Je pense que c'est un objectif pour nous de faire une bonne communication, une bonne information, et que cette livraison devrait être refaite l'année prochaine. Je pense que cela devrait être un très bon outil dans les relations entre l'Espagne, l'Europe et l'Afrique. Il s'agit de deux activités très différentes. Nous devons aller de l'avant, nous devons essayer et nous devons faire de la communication un objectif en soi. Nous devons y travailler, nous devons en prendre soin, et je pense que des initiatives comme cet événement sont très intéressantes, très importantes, et que nous devons les répéter. Je le crois sincèrement. C'est incroyable. Je pense que nous devons en parler. Nous avons appris beaucoup de choses, et parfois il s'agit d'un dialogue entre des personnes qui ne s'écoutent pas. Nous devons faire un effort supplémentaire au cours des prochaines années. Si ce grand plan Afrique de la Commission européenne se réalise, comme je le crois, nous devrons nécessairement faire des efforts supplémentaires en termes de communication, d'échange, d'opinion, de propositions, en essayant de comprendre les autres et de nous comprendre nous-mêmes avec une mentalité ouverte, flexible, coopérative et éthique. Oui, la communication est fondamentale, et je vous remercie de cet effort pour jouer ce rôle très important de facilitateur de compréhension et de dialogue. 

Je remercie également Aldo, parce qu'il est un professionnel et que je suis un enseignant, bien que nous ayons réussi à établir un pont entre deux pensées et deux mondes, et que nous ayons réussi à comprendre pour essayer de faire avancer certaines idées très modestement. Et, bien sûr, nos administrations diverses et variées doivent tenir compte du son que nous émettons, des idées que nous formulons et de la modeste contribution que nous essayons d'apporter, grâce aussi aux médias, qui jouent un rôle transparent et qui, nous l'espérons, deviendront de plus en plus importants.  

Je voudrais ajouter qu'il existe un grand défi lié au concept selon lequel la nouvelle Afrique ne peut être développée avec l'ancien concept de financement lié au soutien public. Aujourd'hui, si vous voulez mener une opération en Afrique, si vous n'avez pas la garantie d'un État, si vous n'avez pas la garantie de votre État, si vous êtes espagnol, vous avez toujours des politiques bilatérales, tandis que les sociétés civiles et les opérateurs privés ont très peu d'espace, parce que si la décision publique n'est pas de garantir un pays, rien n'est fait. Par conséquent, nous devons approfondir les marchés de capitaux, nous devons privatiser en Afrique afin d'y attirer des capitaux internationaux, nous devons libéraliser les secteurs, il y a beaucoup de choses à faire des deux côtés, mais le concept, le vieux concept selon lequel rien n'est fait s'il n'y a pas de garantie de l'État, n'est pas respecté. L'importance de l'éducation doit être soulignée. Je pense qu'il y a un grand travail, une grande voie qui s'ouvre à nous en termes d'éducation de notre population, de nos futurs dirigeants ; l'éducation dans une vision de coopération plus juste, plus égale, moins condescendante, et qui est aussi bien, bien sûr, basée sur une vision de durabilité, de développement humain et de développement durable. Je pense qu'il est très important que nous puissions, de part et d'autre, ouvrir la voie à cette forme d'éducation qui sera très utile pour une meilleure compréhension.