Augmentation des conflits sociaux dans les services publics en Algérie

Ce week-end, des policiers ont dispersé par la force une manifestation de membres de la protection civile et des pompiers qui protestaient à Alger pour demander de meilleurs emplois et la reconnaissance des efforts qu'ils déploient pour contrôler la pandémie de coronavirus, qui, selon les chiffres officiels, a infecté plus de 122 000 Algériens et causé 3 261 décès dans le pays. Les manifestants, vêtus de leurs uniformes respectifs, ont commencé à marcher à midi depuis la place du 1er mai en direction du palais Al Mouradia, mais ont été repoussés avec des gaz lacrymogènes à la hauteur du quartier d'Hydra, l'un des plus riches de la ville.
Cette marche était la troisième action de protestation des deux groupes après deux autres sit-in en avril dernier devant les principales unités de la protection civile. Les pompiers se plaignent que leur salaire de base n'est que de 15 000 dinars, alors que le salaire national minimum garanti (SNMG) est de 20 000 dinars (un peu plus de 125 euros) à partir de 2020. La Confédération des syndicats algériens estime qu'un salaire minimum décent devrait atteindre quatre fois ce montant. En outre, les pompiers prétendent travailler 80 heures par semaine, alors que la semaine de travail légale est de 40 heures.

Dans un communiqué de presse et de télévision, le ministère de l'Intérieur a qualifié la marche des pompiers d'"illégale" et a évoqué "un complot contre le pays", une accusation récurrente contre toute voix dissidente en Algérie. Il a également accusé les manifestants d'être poussés "par des parties hostiles à l'Algérie". En réponse, les agents de la protection civile de Béjaïa, dans la région de Kabylie (nord-est), ont dénoncé le communiqué "mensonger" du ministère de l'Intérieur qui les "diabolise", et ont annoncé une manifestation nationale pour le 9 mai à Alger. Le 1er mai, lors de son message du 1er mai, le président algérien Albdemadjid Tebboune a averti que "toute forme d'expression des revendications dans les différents secteurs doit tenir compte des intérêts des citoyens, respecter les lois de la République et ne pas servir de motif à une instrumentalisation douteuse".

Signe inquiétant pour un régime impopulaire paralysé par le retour du Hirak dans la rue, les conflits sociaux se multiplient dans les services publics : éducation, administration fiscale, chemins de fer, pompiers et secteur de la santé, usés par le COVID-19. Le président algérien, Albdemadjid Tebboune, a exhorté dimanche 2 mai son gouvernement à établir "un dialogue" avec les partenaires sociaux pour tenter d'apaiser la colère sociale qui monte dans le pays. Lors d'un conseil des ministres, Tebboune a "ordonné un dialogue avec les différents partenaires sociaux pour améliorer la situation socioprofessionnelle des employés du secteur de l'éducation et de la santé", selon un communiqué officiel.
En réponse, la Direction générale de la protection civile a assuré dimanche que toutes les revendications des agents inscrites dans le statut spécial et exprimées lors de la marche d'aujourd'hui seront satisfaites après la révision des statuts. Il a donc exhorté tous les officiers "à faire preuve de discipline, de bon sens et d'un sens élevé des responsabilités, et à éviter les actions et organisations subversives visant à semer la confusion et le chaos, qui menacent la stabilité du pays."

Les autorités sont confrontées à un conflit croissant dans les services publics : éducation, administration fiscale, chemins de fer, pompiers et un secteur de la santé usé par la pandémie. Grèves, chômage élevé (15 %), paupérisation, hausse des prix et pénurie de produits de base, ce front social latent s'ajoute à une crise économique profonde, née de la chute des revenus pétroliers, et à un marasme politique qui perdure depuis la révolte populaire contre le régime du Hirak, il y a deux ans. Cette année de pandémie a détérioré son économie déjà fragile, plongée dans une crise aiguë depuis la chute brutale du pétrole et du gaz en 2014 - seule richesse qu'elle exploite - et qui, selon le ministère du travail, a supprimé près de 50 000 emplois.
Plus de 24 millions de citoyens sont appelés aux urnes le 12 juin, bien que la plupart des partis et le Hirak appellent au boycott, considérant qu'il s'agit d'une "façade pour cacher la corruption du régime" et d'une tentative de démanteler la contestation sans avoir à entreprendre les réformes réclamées par les citoyens. Le Hirak, qui a repris en mars dernier les manifestations hebdomadaires tous les mardis et vendredis après une année d'absence due aux mesures sanitaires contre le coronavirus, estime qu'il n'y a pas eu de réel changement et insiste pour réclamer "un État civil, pas un État militaire".