Le différend sur l'eau au cœur de la visite du ministre tunisien des Affaires étrangères en Algérie

La Tunisie aborde le différend par le biais de sa « diplomatie discrète », sachant que l'Algérie a besoin d'un soutien régional de plus en plus important pour éviter d'être isolée 
El presidente de Argelia, Abdelmadjid Tebboune (izqda.) saluda al ministro de Asuntos Exteriores tunecino, Mohamed Ali Al-Nafti, durante la visita de éste a Argelia – PHOTO/@MohamedAliNafti
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune (à gauche) salue le ministre tunisien des Affaires étrangères Mohamed Ali Al-Nafti lors de sa visite en Algérie - PHOTO/@MohamedAliNafti
  1. Sécurité de l'eau 
  2. Une diplomatie discrète 
  3. L'origine du différend 
  4. Comité des eaux souterraines 

Les bonnes relations entre la Tunisie et l'Algérie pourraient être ternies par la décision du gouvernement d'Abdelmadjid Tebboune d'entreprendre des travaux d'infrastructure hydraulique qui pourraient affecter l'approvisionnement en eau précieuse de la Libye et de la Tunisie voisines. 

D'ailleurs, la visite en Algérie du ministre tunisien des Affaires étrangères, Mohamed Ali Al-Nafti, le lundi 27 janvier, avait pour objectif principal de discuter de cette question. 

Le ministre tunisien des Affaires étrangères a été reçu à Alger par le président Abdelmadjid Tebboune, qui était accompagné du secrétaire privé de la présidence algérienne, Boualem Boualem, et du ministre des affaires étrangères, Ahmed Attaf. 

El ministro de Asuntos Exteriores de Argelia, Ahmed Attaf y su homólogo tunecino, Mohamed Ali Al-Nafti, durante la reunión que mantuvieron en Argel el pasado 27 de enero – PHOTO/@MohamedAliNafti
Le ministre algérien des Affaires étrangères Ahmed Attaf et son homologue tunisien Mohamed Ali Al-Nafti lors de leur rencontre à Alger le 27 janvier - PHOTO/@MohamedAliNafti

Sécurité de l'eau 

Dans un domaine aussi compromettant pour les pays d'Afrique du Nord que l'approvisionnement en eau, qui est une question d'Etat dans des pays comme le Maroc, la décision de l'Algérie de construire une série de barrages dans les vallées fluviales qu'elle partage avec la Libye et la Tunisie, ainsi que l'exploitation d'aquifères souterrains également partagés, pourrait conduire à une confrontation diplomatique tendue entre les pays concernés et le gouvernement de Tebboune. 

Cependant, le gouvernement tunisien dirigé par Kais Saied a une fois de plus fait preuve de retenue et aborde le conflit avec la diplomatie calme qu'on lui connaît. 

Les bonnes relations de Saied avec Tebboune lui-même ne l'ont pas empêché de soulever la question de la garantie de la sécurité hydrique, mais avec un vocabulaire soigneusement choisi pour ne pas froisser les susceptibilités. 

Ainsi, le communiqué du ministère tunisien des Affaires étrangères concernant la visite du ministre Mohamed Ali Al-Nafti en Algérie indiquait qu'elle visait à « résoudre certains différends, dont ceux liés à la sécurité de l'eau ». 

Esta fotografía difundida por la Presidencia de Túnez muestra al presidente de Túnez, Kais Saied, mojando su dedo en tinta después de votar en un colegio electoral durante las elecciones presidenciales de 2024 en Túnez el 6 de octubre de 2024 - PHOTO/ SERVICIO DE PRENSA DE LA PRESIDENCIA DE TÚNEZ
Cette photo publiée par la présidence tunisienne montre le président tunisien Kais Saied trempant son doigt dans l'encre après avoir voté dans un bureau de vote lors des élections présidentielles de 2024 en Tunisie, le 6 octobre 2024 - PHOTO/SERVICE DE PRESSE DE LA PRESIDENCE DE LA TUNISIE

Une diplomatie discrète 

La gestion du différend par le gouvernement tunisien a été saluée par un certain nombre d'observateurs internationaux, qui ont apprécié l'habileté du dirigeant tunisien Kais Saied, qui a su tirer parti de ses bonnes relations avec le président algérien Tebboune et de la convergence de leurs positions sur un certain nombre de questions bilatérales et régionales. 

Par ailleurs, le gouvernement tunisien est conscient que le moment est propice pour mettre sur la table la question de l'eau, l'Algérie étant de plus en plus isolée tant en Afrique qu'en Europe. 

Il convient de rappeler que les relations bilatérales se sont intensifiées après le 25 juillet 2021, date du « self-coup » qui a permis à Saied de rester à la tête du gouvernement tunisien en limogeant le parlement. 

Depuis lors, l'Algérie a fourni à la Tunisie un soutien énergétique, sous forme d'électricité et de gaz, qui a permis au gouvernement de Saied de surmonter une situation intérieure difficile. Récemment, la Tunisie a annoncé la fourniture de plus de 22 000 tonnes de gaz algérien pour couvrir ses besoins pendant l'hiver froid. 

El ministro de Asuntos Exteriores de Argelia, Ahmed Attaf (dcha.) estrecha la mano de su homólogo tunecino, Mohamed Ali Al-Nafti, durante la visita de éste a Argel el pasado 27 de enero <strong>– PHOTO/@MohamedAliNafti</strong>
Le ministre algérien des Affaires étrangères Ahmed Attaf (à droite) serre la main de son homologue tunisien Mohamed Ali Al-Nafti lors de sa visite à Alger le 27 janvier - PHOTO/@MohamedAliNafti

L'origine du différend 

La Tunisie a tiré la sonnette d'alarme en raison de la détérioration du débit du fleuve Meyerda, qui traverse l'Algérie et la Tunisie pour se jeter dans la mer Méditerranée. Le manque de débit est dû non seulement à la sécheresse persistante de ces dernières années, mais aussi à la construction par l'Algérie d'une série de barrages dans la région de Souk Ahras (la Tagaste romaine, lieu de naissance de Saint Augustin), où la Meyerda prend sa source, qui ont affecté le niveau de la rivière en aval. 

De plus, la région naturelle qui englobe les territoires de l'Algérie, de la Libye et de la Tunisie possède d'importantes réserves d'eau souterraine que le gouvernement algérien aurait commencé à exploiter unilatéralement au profit de ses projets agricoles. Une décision controversée à l'heure où les rapports des organisations internationales prévoient une période de sécheresse durable en Afrique du Nord. 

Comité des eaux souterraines 

Pour éviter une éventuelle confrontation diplomatique avec la Tunisie et la Libye, le gouvernement Tebboune a encouragé la signature, en novembre 2024, d'un accord entre les trois pays établissant un « comité de consultation sur les eaux souterraines partagées ».

Pour rassurer la Tunisie et la Libye, le président algérien a signé en novembre dernier l'accord entre les trois pays portant sur la création d'un « comité de concertation sur les eaux souterraines partagées », ce qui n'a pas pour autant permis d'arrêter les travaux d'exploitation entrepris par l'Algérie. 

La nécessité de créer ce comité mixte qui a vu le jour en novembre a été adoptée sept mois plus tôt, en avril 2024, lorsque l'Algérie, la Tunisie et la Libye ont convenu de « renforcer le partenariat pour mettre en place un mécanisme de consultation relatif aux eaux souterraines et développer une nouvelle approche visant à préserver les intérêts communs et à améliorer la coopération et la coordination dans le domaine des ressources en eau de manière durable, en tenant compte du principe de la souveraineté de chaque pays sur ses eaux souterraines ». 

Dans ce contexte, le fait que la Tunisie ait ouvertement soulevé la question de l'eau (bien qu'avec un tact exquis) avant la visite du ministre des affaires étrangères Al-Nafti à Alger a été interprété comme un avertissement voilé au gouvernement Tebboune. 

Selon le communiqué antérieur du ministère tunisien des Affaires étrangères, l'intention était que Al-Nafti discute avec son homologue algérien, Ahmed Attaf, « de l'approfondissement de la coopération et du partenariat de solidarité dans les secteurs vitaux qui constituent une priorité pour les deux parties, notamment l'énergie, la sécurité alimentaire et hydrique, le transport, le commerce et les activités irrégulières ». 

En tout état de cause, le gouvernement de Tebboune est bien conscient que la Tunisie est un allié essentiel pour l'Algérie, qui est de plus en plus isolée sur le continent africain et sur la scène internationale.