Felipe VI appelle les hommes politiques au dialogue et à la sérénité pour le bien commun

Dans son message de Noël, le roi a donné l'exemple des jeunes volontaires et solidaires qui aident à Valence, et a demandé l'envoi d'une aide aux victimes de la catastrophe du Dana et une meilleure coordination des administrations. L'immigration, le logement et la défense des démocraties libérales ont été les autres thèmes de son discours depuis le Palais royal de Madrid
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Philippe VI. Photographie de la Maison Royale
  1. Texte intégral du message de Noël du roi Felipe VI

La terrible catastrophe de Dana, qui a causé tant de dommages à des milliers de personnes dans la Communauté valencienne et dans d'autres régions d'Espagne, a été le thème principal du message de Noël du roi Felipe VI, prononcé depuis le palais royal de Madrid.

Dans ce contexte de conflit politique tonitruant, il a appelé les hommes politiques au dialogue et à la sérénité, avec une conscience du bien commun et un pacte de coexistence, que la société exige de la classe politique.

Précisément, le concept de bien commun est apparu sept fois dans les propos de Felipe VI, qui a demandé que l 'aide parvienne aux personnes qui en ont besoin pour reconstruire leur avenir et que les administrations se coordonnent davantage et mieux pour résoudre les problèmes des citoyens, qui ont tout à fait le droit d'exprimer leur mécontentement à l'égard de ce qu'ils subissent.

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Philippe VI. Photographie de la Maison Royale

Felipe VI a souligné le rôle des jeunes dans la manifestation de la solidarité, qu'il considère comme une garantie pour l'avenir, et a plaidé pour que la solidarité qui nous a unis dans les moments les plus difficiles continue d'être présente dans chaque geste, dans chaque action, dans chaque décision.

Il a également abordé l'instabilité internationale croissante, les difficultés d'accès au logement et l'importance d'une bonne gestion de l'immigration, un phénomène qu'il a qualifié de complexe et d'une grande sensibilité sociale, qui doit être traité de manière équilibrée et responsable. Les migrations, qui sont donc une réalité quotidienne, peuvent, si elles ne sont pas correctement gérées, entraîner des tensions qui érodent la cohésion sociale.

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Philippe VI. Photographie de la Maison Royale

Felipe de Borbón a souligné que l'effort d'intégration est une tâche partagée qui exige le respect de la loi, la dignité des personnes et l'engagement à respecter les règles de base de la coexistence. Il a également insisté sur la nécessité de lutter fermement contre les mafias qui pratiquent la traite des êtres humains.

Le Roi a rappelé la difficulté pour les jeunes d'accéder à un logement décent et a appelé tous les acteurs concernés, des institutions au secteur privé, à s'engager dans un dialogue constructif permettant d'aboutir à des solutions concrètes et abordables.

En ce qui concerne la situation géopolitique, Felipe VI a souligné la nécessité de défendre les principes démocratiques dans un contexte mondial marqué par l'incertitude. Il a rappelé que la violence, la remise en cause du droit international et le déni des droits de l'homme universels menacent l'ordre mondial. Il a également exprimé son inquiétude face aux défis mondiaux tels que les crises climatiques, les pandémies, la transition énergétique et la raréfaction des ressources naturelles.

Felipe VI a affirmé que dans ce contexte, l'Espagne et les autres États membres de l'Union européenne, ainsi que nos partenaires internationaux, doivent continuer à défendre avec conviction et fermeté les fondements de la démocratie libérale, la défense des droits de l'homme et les acquis en matière de protection sociale sur lesquels repose notre grand projet politique.

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Philippe VI. Photographie de la Maison Royale

Texte intégral du message de Noël du roi Felipe VI

Bonsoir et merci de m'avoir permis de vous accompagner quelques instants en cette nuit si particulière de rencontre et de fête, que je vous souhaite, avec la reine, la princesse Leonor et la princesse Sofía, heureuse et paisible.

En cette veille de Noël, je voudrais tout d'abord évoquer, et je suis sûr que vous me comprendrez, le terrible Dana qui, il y a presque deux mois, a frappé avec une force inhabituelle plusieurs régions de l'est et du sud de l'Espagne, en particulier à Valence.

Les personnes qui ont perdu la vie et celles qui ont disparu méritent tout notre respect et nous ne devons jamais oublier la douleur et la tristesse qu'elles ont laissées dans leurs familles. Des milliers de personnes ont vu ce qui était jusqu'à récemment leur village, leur quartier, leur travail, leur maison, leur entreprise, leur école, réduit à l'état de ruines ou même disparaître. C'est un événement difficile à accepter, mais dont nous devrions tous pouvoir tirer les leçons nécessaires qui nous renforceront en tant que société et nous feront grandir.

Nous ne devons jamais oublier les premières images de l'inondation qui a tout emporté, les sauvetages de personnes, parfois malades, âgées ou épuisées, qui tentaient de sortir de leur voiture ou qui se réfugiaient sur les toits et les terrasses. Nous avons aussi vu ceux qui ont ouvert leur maison pour accueillir les plus vulnérables, opposant à la force implacable de l'eau et de la boue la force écrasante de la solidarité et de l'humanité. Voisins, volontaires, équipes de protection civile, pompiers, forces de sécurité, forces armées, ONG, mais aussi entreprises qui ont organisé des collectes et des dons, mobilisant même leur personnel et leurs machines... l'aide et la collaboration de tous permettent peu à peu aux plus de 800 000 personnes touchées de retrouver une certaine normalité dans leur vie. Et que le moyen et le long terme soient également pris en charge afin d'assurer une véritable reprise. 

Cette solidarité, nous l'avons reconnue dans son sens le plus pur et le plus concret, jour après jour, dans l'énorme travail des bénévoles anonymes et des fonctionnaires ; et nous avons aussi vu - et compris - la frustration, la douleur, l'impatience, les demandes d'une coordination plus grande et plus efficace de la part des administrations. Parce que toutes ces émotions - celles qui émeuvent et réconfortent et celles qui blessent et affligent - ont la même racine : la conscience du bien commun, l'expression du bien commun ou l'exigence du bien commun.

Au-delà des différences et des désaccords éventuels, il existe dans la société espagnole une idée claire de ce qui est dans l'intérêt de tous, de ce qui est dans l'intérêt de chacun, et c'est pourquoi nous avons un intérêt et une responsabilité à le protéger et à le renforcer. C'est quelque chose que la Reine et moi-même avons pu voir et apprécier encore plus au cours de cette décennie de règne. Il incombe à toutes les institutions, à toutes les administrations publiques, de veiller à ce que cette notion de bien commun continue d'être clairement reflétée dans tout discours ou toute décision politique. Le consensus sur l'essentiel, non seulement comme résultat, mais aussi comme pratique constante, doit toujours guider la sphère publique. Non pas pour éviter la diversité des opinions, légitime et nécessaire en démocratie, mais pour éviter que cette diversité ne conduise à nier l'existence d'un espace commun.

C'est dans cet accord sur l'essentiel que nous devons aborder les questions qui nous préoccupent et qui nous affectent diversement dans notre vie collective. L'instabilité internationale croissante, le climat dans lequel se déroule souvent notre débat public, les difficultés d'accès au logement ou la gestion de l'immigration sont des questions, parmi d'autres, qui méritent notre attention et que je voudrais également aborder ce soir.

L'immigration est un phénomène complexe et socialement sensible qui répond à des causes diverses. Sans les mouvements de population au cours de l'histoire, les sociétés actuelles, qui sont des sociétés ouvertes et interconnectées, ne pourraient s'expliquer. La migration est donc une réalité quotidienne qui, sans une gestion adéquate, peut conduire à des tensions qui érodent la cohésion sociale.

L'effort d'intégration, qui est de la responsabilité de chacun, le respect - également de la responsabilité de chacun - des lois et des règles élémentaires de coexistence et de civilité, et la reconnaissance de la dignité que mérite tout être humain, sont les piliers qui doivent nous guider dans la gestion de l'immigration. Sans jamais oublier la fermeté nécessaire dans la lutte contre les réseaux et les mafias qui pratiquent le trafic d'êtres humains. Notre capacité à gérer l'immigration - qui nécessite également une bonne coordination avec nos partenaires européens, ainsi qu'avec les pays d'origine et de transit - en dira long à l'avenir sur nos principes et la qualité de notre démocratie.

Un autre sujet de préoccupation, en particulier pour les jeunes, est la difficulté d'accès au logement. Les villes, en particulier les grandes villes, agissent comme des pôles de croissance et génèrent une demande que l'offre ne peut satisfaire. Il est important, une fois de plus, que tous les acteurs concernés réfléchissent, s'écoutent, examinent les différentes options et que ce dialogue débouche sur des solutions qui facilitent l'accès au logement dans des conditions abordables, en particulier pour les plus jeunes et les plus vulnérables, car c'est la base de la sécurité et du bien-être de tant de projets de vie. Et nous pouvons vraiment le faire.

Nos vies sont également affectées par un scénario extérieur de plus en plus complexe et changeant, voire convulsif. Nous voyons trop souvent le droit international remis en question, la violence utilisée, l'universalité des droits de l'homme niée, ou le multilatéralisme remis en cause pour faire face aux défis mondiaux de notre temps, tels que les crises climatiques et environnementales, les pandémies, la transition énergétique, ou encore le commerce et la rareté des ressources naturelles. Nous pouvons même constater que la validité même de la démocratie en tant que système de gouvernement est remise en question.

Dans ce contexte, l'Espagne et les autres États membres de l'Union européenne, ainsi que nos partenaires internationaux, doivent continuer à défendre avec conviction et fermeté les fondements de la démocratie libérale, la défense des droits de l'homme et les acquis en matière de protection sociale sur lesquels repose notre grand projet politique. Parce que l'Europe - l'idée de l'Europe - est un élément essentiel de notre identité commune, de l'héritage que nous devons laisser aux générations futures. Dans un monde qui a besoin d'acteurs forts et cohérents, mais surtout de comportements inspirés par des principes et des valeurs, l'Europe reste notre référence la plus précieuse.

Et si nous regardons vers l'intérieur, notre grande référence en Espagne est la Constitution de 1978, sa lettre et son esprit. L'accord sur l'essentiel est le principe fondamental qui l'a inspirée. Œuvrer pour le bien commun, c'est précisément préserver le grand pacte de coexistence où s'affirment notre démocratie et nos droits et libertés, piliers de notre État de droit social et démocratique. Malgré le temps écoulé, la concorde dont elle est le fruit continue d'être notre grand fondement. Cultiver cet esprit de consensus est nécessaire pour renforcer nos institutions et maintenir la confiance de l'ensemble de la société à leur égard.

Un pacte de coexistence est protégé par le dialogue ; ce dialogue, avec générosité, doit toujours nourrir la définition de la volonté commune et l'action de l'État. C'est pourquoi il est nécessaire que la dispute politique légitime, mais parfois tonitruante, ne nous empêche pas d'entendre une demande encore plus retentissante : une demande de sérénité. Sérénité dans la sphère publique et dans la vie quotidienne, pour faire face aux projets collectifs ou individuels et familiaux, pour prospérer, pour soigner et protéger ceux qui en ont le plus besoin. La récente réforme de l'article 49 de la Constitution, relatif aux personnes handicapées, est un bon exemple de ce que nous pouvons réaliser ensemble. Et nous ne pouvons pas permettre que la discorde devienne un bruit de fond constant qui nous empêche d'écouter le véritable pouls du peuple.

Vous m'avez entendu le dire à maintes reprises et je voudrais le répéter : l'Espagne est un grand pays. Une nation avec une histoire merveilleuse, malgré ses chapitres sombres, et un modèle de développement démocratique au cours des dernières décennies, qui a même vaincu le harcèlement terroriste qui a fait tant de victimes. Un pays avec un présent qui, malgré tout ce qui reste à faire, par exemple en termes de pauvreté et d'exclusion sociale, est prometteur si l'on considère les performances de notre économie - en termes, entre autres, de croissance, d'emploi et d'exportations - et le niveau général de notre bien-être social. Pour ce qui est de l'avenir, je crois sincèrement que nous, Espagnols, disposons d'un énorme potentiel qui devrait nous donner de l'espoir, tant au niveau national que sur la scène internationale.

Cet avenir repose principalement sur notre jeunesse, celle-là même qui a fait briller notre nom aux Jeux olympiques et paralympiques et au dernier championnat d'Europe, celle qui entreprend malgré les difficultés et qui est à l'avant-garde de notre science ; la jeunesse qui respecte nos aînés et leur précieuse expérience, la jeunesse la plus déterminée à exiger des progrès en matière d'égalité, la jeunesse qui se prépare dans nos écoles, nos collèges, nos universités, nos centres de formation professionnelle, à entrer sur le marché du travail avec énergie malgré les chiffres du chômage des jeunes ; la jeunesse, en somme, qui cherche des opportunités et surmonte les obstacles par le mérite et l'effort. Mais surtout, la jeunesse qui nous a rempli de fierté en venant donner le meilleur d'elle-même dans les rues des villes touchées par la DANA.

C'est dans cet esprit de travail et d'engagement pour ce qui appartient à tous, pour le bien commun, que je termine mon propos et que je reviens au début. Je reviens à toutes les communes et départements touchés par les inondations, dans beaucoup desquels il y a encore tant à faire, où les besoins des habitants sont si grands que tous les efforts sont trop faibles, même sans perdre l'espoir.

Que la solidarité qui nous a unis dans les moments les plus difficiles continue d'être présente dans chaque geste, dans chaque action, dans chaque décision. Que l'aide parvienne à tous ceux qui en ont besoin, afin qu'ils puissent reconstruire l'avenir pour lequel ils se sont tant battus, en affrontant avec courage et dignité les défis d'un présent parfois implacable. Plus vite nous y parviendrons, plus nous renforcerons notre sens de la communauté, notre sens de la patrie. Car la mémoire du chemin parcouru, la confiance dans le présent et l'espoir dans l'avenir sont une part incontournable, peut-être la plus précieuse, mais aussi la plus délicate, de notre bien commun.

Que l'esprit de ces journées de rencontre et de coexistence se prolonge dans la nouvelle année et que vous passiez, avec la Reine et nos filles, la Princesse Leonor et l'Infante Sofia, un très joyeux Noël.

Eguberri On, Bon Nadal, Boas Festas.